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Le bricoleur du dimanche connait bien cette énigme paralysante : une fois l’ouvrage réalisé, il reste toujours une pièce inutilisée ; n’avait-elle pas pour autant une fonction cruciale ? Un esprit légèrement provocateur pourrait se demander s’il n’en va pas un peu de même en matière de sécurité sanitaire.

Le cataclysme de l’affaire dite du sang contaminé avait en son temps précipité les pouvoirs publics dans un bouleversement de l’organisation sanitaire, ce qui avait inauguré une kyrielle d’établissements publics ad hoc, dont la fonction-métier (le sang, le médicament, le dispositif médical, l’organe, l’acte de soins, l’environnement, etc…) venait intégrer la sécurité sanitaire et, ce faisant, préserver l’exposition directe de l’autorité supérieure. Las ! La réitération de “scandales sanitaires” – qui n’en ont parfois que le nom – conduit chroniquement l’autorité ministérielle en première ligne, hantise du procès médiatique oblige.

Par-delà le maelstrom des agences, il est une évolution, plus discrète, qui conduit certainement à une acculturation en profondeur de notre système de santé à la sécurité : la vigilance sanitaire. La vigilance, qu’un bon dictionnaire définit comme une “surveillance attentive, sans défaillance”, associe deux démarches : la veille et l’alerte. Chacun étant responsable de la sécurité des autres (pour paraphraser les marins), il s’agit de faire en sorte qu’un accident survenu ici soit rapproché d’un accident similaire constaté là-bas, permettant de lancer l’alerte et de prendre en temps réel des mesures correctrices, de prévention sanitaire ou de précaution (en l’absence de certitudes scientifiques absolues).

Il peut cependant s’avérer malaisé pour un professionnel de santé de déterminer s’il y a lieu ou non de déclarer un évènement indésirable, a fortiori un évènement indésirable devenant rétrospectivement grave (voir à ce sujet l’indispensable article de Claude Evin du 6 décembre 2016 publié sur ce blog commentant le décret n° 2016-606 du 25 novembre 2016). Cette démarche peut en effet s’avérer auto-incriminante. Mais l’obstacle est nécessairement franchi, car d’une part, il est fait une obligation absolue pour tout professionnel de santé d’informer le patient d’un évènement indésirable[1] depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002 ; d’autre part, l’organisation hospitalière a progressivement intégré cet objectif de qualité et de sécurité, incarné par le Coordonnateur de la gestion des risques associés aux soins (loi HPST du 21 juillet 2009). Une autre difficulté peut alors apparaître : quoi et à qui déclarer ? Car il est fréquent qu’un accident, un évènement indésirable, ait une cause incertaine ou plurifactorielle.

L’article 4 de l’Ordonnance n°2017-51 du 19 janvier 2017 portant harmonisation des dispositions législatives relatives aux vigilances sanitaires (elle-même prise en application de l’article 166 III 2° de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé) vient d’annoncer une clarification dans le domaine de la vigilance des infections et évènements indésirables associés aux soins. L’article L.1413-14 du Code de la santé publique s’en trouve substantiellement réécrit.

L’alinéa 1er prévoit que l’obligation de déclaration est étendue à tout établissement et service médico-social et qu’il y a lieu désormais de distinguer l’infection associée aux soins de l’évènement indésirable grave associé à des soins : “Tout professionnel de santé, établissement de santé ou établissement et service médico-social ayant constaté soit une infection associée aux soins, dont une infection nosocomiale, soit tout événement indésirable grave associé à des soins, dans le cadre de soins réalisés lors d’investigations, de traitements, d’actes médicaux y compris à visée esthétique ou d’actions de prévention en fait la déclaration au directeur général de l’agence régionale de santé”.

L’alinéa 2 demeure inchangé : “Les professionnels de santé concernés analysent les causes de ces infections et événements indésirables”.

L’attention est surtout attirée par l’alinéa 3 du nouvel article. Celui-ci disposait jusqu’alors : “Ces dispositions s’entendent sans préjudice de la déclaration à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé des événements indésirables liés à un produit mentionné à l’article L. 5311-1”. Autrement dit, le signalement d’un évènement indésirable grave au directeur général de l’ARS doit être doublé d’un signalement à l’ANSM (Agence nationale du médicament) lorsqu’un produit de santé est impliqué ou susceptible de l’être. Sauf que cette compréhension n’est pas nécessairement évidente au moment de l’accident. Le nouvel alinéa 3 énonce désormais : Les conditions dans lesquelles le respect de cette obligation satisfait d’autres obligations déclaratives portant sur les mêmes faits sont précisées par voie réglementaire. Cette nouvelle rédaction laisse donc entrevoir une importante simplification du dispositif de sécurité sanitaire, un évènement indésirable n’ayant à être déclaré qu’une seule fois, charge à l’autorité qui  reçoit le signalement de le transmettre à toute autre agence sanitaire possiblement intéressée.

Les articles 1 à 3 de l’Ordonnance ayant re-réparti les missions de vigilance exercées par l’ANSM (Agence nationale du médicament) dont le rôle en matière d’hémovigilance est renforcé, par l’ANSES (Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) dont la compétence est rappelée en matière de toxicovigilance, de vigilance alimentaire, de vigilance sur les médicaments vétérinaires et les produits phytopharmaceutiques et par l’Agence de la biomédecine (ABM) pour ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation, le décret d’application réservé par le nouvel alinéa 3 de l’article L.1413-14 sera donc déterminant.

S’agira-t-il de mettre en place un guichet unique permettant de déclarer, une bonne fois pour toutes, un évènement indésirable grave associé aux soins ?

Cet office sera-t-il confié aux Agences régionales de santé (ARS), dont il n’est pas inutile de rappeler les liens fonctionnels avec la nouvelle Agence nationale de santé publique (ANSP) grâce aux cellules d’intervention en région, mais également avec les agences sanitaires nationales, l’autorité préfectorale (pour ce qui peut toucher à la sécurité civile) ou plus encore l’autorité ministérielle ?

Gageons que ce décret d’application puisse véritablement clarifier le dispositif de vigilance sanitaire et solutionner cette forme d’énigme paralysante décrite tout à l’heure.

Bien souvent le plus compliqué c’est de faire simple !

 

 



[1] Article L.1142-4 du Code de la santé publique : “Toute personne victime ou s’estimant victime d’un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins ou ses ayants droit, si la personne est décédée, ou, le cas échéant, son représentant légal, doit être informée par le professionnel, l’établissement de santé, les services de santé ou l’organisme concerné sur les circonstances et les causes de ce dommage. / Cette information lui est délivrée au plus tard dans les quinze jours suivant la découverte du dommage ou sa demande expresse, lors d’un entretien au cours duquel la personne peut se faire assister par un médecin ou une autre personne de son choix”.

Depuis sa prestation de serment (février 2000), Pierre-Yves FOURÉ conseille et défend directeurs d’établissements, cadres et professionnels du monde de la santé (établissements de santé, médecins, établissements médico-sociaux, organismes d’assurance maladie et complémentaires), de l’université, ainsi que tous dirigeants et institutions nationales, déconcentrées ou locales.

Avocat de la défense dans les affaires complexes à forts enjeux de responsabilités (sang contaminé, amiante, surriradiés, accidents graves, harcèlement et conflits professionnels, infractions aux biens), Pierre-Yves FOURÉ est également le conseil de proximité au quotidien comme celui des situations de crises médiatisées.

Pierre-Yves FOURÉ intervient devant les juridictions pénales (juge d’instruction, tribunal correctionnel), disciplinaires (conseil de l’ordre), financières (cour de discipline budgétaire et financière), administratives ou civiles.

Au-delà de sa maitrise des matières juridiques qu’il pratique depuis plus de 20 ans, Pierre-Yves FOURÉ est reconnu pour son engagement dans la défense et la forte dimension humaine de la relation client.