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jurisprudence administrative
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ARRÊT DES SOINS : LES CONDITIONS PRÉCISÉES PAR LE CONSEIL D’ÉTAT

Article rédigé le 1er février 2024 par Marie Courtois 

 

CE, juge des référés, 10 janvier 2024, n°490403 

 

Dans un arrêt du 10 janvier 2024, le Conseil d’état, statuant en référé, précise les conditions permettant à un médecin d’arrêter un traitement de suppléance des fonctions vitales et la nécessaire conciliation devant être opéré par le juge des référés, entre le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical.

 

Les faits et la décision du Conseil d’état

En l’espèce, un homme souffrant d’hypertension artérielle maligne a été admis dans une unité de réanimation en état de coma spontané profond à la suite d’un AVC hémorragique. Son état neurologique était alors très péjoratif : aucune intervention neurochirurgicale ni tentative de neuro-réanimation ne pouvaient être pratiquées. L’équipe médicale chargée de son suivi a considéré que la poursuite des soins constituerait une obstination déraisonnable dans des traitements apparaissant inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie.  Par une décision du 23 novembre 2023, elle a pris la décision de l’arrêt des soins et des traitements prodigués au patient.

Sa sœur a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon afin de suspendre l’exécution de cette décision. Le tribunal administratif de Lyon a, par une ordonnance du 7 décembre 2023, rejeté sa demande. Par requête, elle a relevé appel de cette ordonnance et a saisi le juge des référés du Conseil d’état de la même demande.

Le juge des référés du Conseil d’Etat, dans un arrêt du 10 janvier dernier, a accueilli la demande et a décidé de suspendre l’exécution de la décision du 23 novembre 2023 d’arrêt des traitements jusqu’à ce que le juge d’appel se soit prononcé et après la mise en œuvre de l’expertise médicale qu’il ordonne.

 

Les conditions permettant à un médecin d’arrêter un traitement de suppléance des fonctions vitales

Le Conseil d’état a pris soin, à l’occasion de cet arrêt, de préciser les conditions permettant à un médecin d’arrêter un traitement de suppléance des fonctions vitales à l’égard d’un patient qui est hors d’état d’exprimer sa volonté.

Au visa des articles L.1110-1, L.1110-5 et L.1111-11 et R.4127-37-1 et -2 du Code de la Santé publique, le médecin peut décider d’arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l’obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Toutefois :

  • Cette décision ne peut être prise qu’à l’issue d’une procédure collégiale, destinée à éclairer le médecin sur le respect des conditions légales et médicales d’un arrêt du traitement.
  • L’état irréversible d’inconscience du patient ou la perte d’autonomie qui le rend tributaire d’un tel mode de suppléance des fonctions vitales, ne suffit pas à caractériser une situation dans laquelle la poursuite du traitement constituerait une obstination déraisonnable.
  • Le patient, victime de lésions cérébrales graves, doit se trouver dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d’état d’exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d’alimentation et d’hydratation.
  • Cette décision doit être fondée sur un ensemble d’éléments médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique.
  • L’arrêt des traitements ne peut pas être décidé par l’équipe médicale sans prise en compte de la volonté du patient, exprimée via des directives anticipées, ou à défaut, sans une consultation préalable de sa personne de confiance, de sa famille et de ses proches, ou le cas échéant de son tuteur.

 

En l’espèce, le centre hospitalier fait valoir que la décision d’arrêt des traitements a bien été prise en suivant la procédure collégiale prévue par l’article R.4127-37-2 et justifie son bien-fondé par le fait que le patient présente des lésions hémorragiques particulièrement graves, qu’il ne peut respirer qu’avec l’assistance d’un respirateur artificiel et que son état est insusceptible de toute amélioration, il ne fait au contraire que se dégrader.

S’il semble que ces circonstances justifient un arrêt des traitements, la sœur du patient soutient une évolution positive de la situation médicale de son frère qui réalise des bâillements et des mouvements oculaires à la demande. En outre, puisqu’un seul examen d’imagerie médicale a été réalisé et peu de temps après l’AVC, il est impossible d’affirmer avec certitude que toute poursuite de soins serait inutile. Il doit en être déduit que l’obstination déraisonnable n’est pas caractérisée.

Au regard des divergences dans l’appréciation de l’état du patient et de l’absence d’examen d’imagerie médicale récente, le juge des référés du Conseil d’Etat considère qu’une expertise médicale doit être réalisée et l’exécution de la décision d’arrêts des soins, suspendue jusqu’à sa réalisation.

 

La fonction particulière du juge des référés : une conciliation à opérer entre le droit à la vie et le droit du patient de consentir à un traitement

En matière de santé publique, le juge des référés est souvent amené à se prononcer sur la décision prise par un médecin, d’arrêter ou de ne pas entreprendre un traitement qui traduirait une obstination déraisonnable, puisque cette décision porte une atteinte irréversible à la vie. Dans cet arrêt du 10 janvier 2024, le juge des référés rappelle l’étendue de ses pouvoirs.

 

En vertu de l’article L.521-2, il peut, lorsque la demande dont il est saisi, est justifiée par l’urgence, « ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public […] aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale ».

 

L’arrêt précise cependant, que le juge des référés doit exercer ses pouvoirs de manière particulière lorsqu’il est saisi d’une décision d’arrêt des traitements, dans la mesure où l’exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Dans cette hypothèse, il ne pourra pas suspendre l’exécution d’une telle décision sur le seul motif qu’elle porte une atteinte grave à la vie. Il devra opérer une nécessaire conciliation entre deux libertés fondamentales : le droit au respect à la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable. En l’espèce, si le Conseil d’état suspend la décision d’arrêt des traitements, ce n’est pas parce qu’elle porte une atteinte manifestement illégale au droit au respect de la vie mais parce que l’état de santé du patient n’est pas clairement établi.