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Les pouvoirs publics encouragent depuis de nombreuses années la coopération entre les acteurs et professionnels de santé, de droit public comme de droit privé, et ce, dans tous les domaines, y compris dans des activités de prestations de service qui relèvent incontestablement du secteur concurrentiel (imagerie médicale, examens de biologie médicale, etc.). Et donc des procédures de marchés publicsdès lors qu’elles sont réalisées à la demande et pour le compte d’une personne publique, au regard de la Directive 2004/18/CE du Parlement Européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.

Dans ces conditions, certaines de ces coopérations, sous forme de groupements (GIE, GIP, GCS, GCSMS) ne sont pas sans risque au regard des obligations de transparence, de publicité, de mise en concurrence et d’égalité face aux charges publiques, d’origine européenne ou non.

Si de telles coopérations entre acteurs publics ou assimilés ne posent pas de problème particulier (I), il n’en va pas de même des coopérations public/privé (II), excepté dans le champ ouvert par la jurisprudence Acoset qui ne demande qu’à être confirmée dans la future directive européenne marchés publics et transposée en droit interne (III).

I – La coopération entre acteurs publics

La jurisprudence européenne puis la jurisprudence nationale ont admis l’existence d’un régime juridique spécifique applicable aux prestations fournies à des pouvoirs adjudicateurs dans le cadre d’un groupement formalisé ou non. Il s’agit du régime dit des “prestations intégrées” ou “in house”[i] qui est admis lorsque deux conditions cumulatives sont remplies :

–       le contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur sur son cocontractant doit être comparable à celui qu’il exerce sur ses propres services ;

–       l’activité du cocontractant doit être principalement consacrée à ce pouvoir adjudicateur.

 La mise en œuvre de ce régime impose au cocontractant (au cas d’espèce, le groupement) d’appliquer l’ensemble des règles du code des marchés publics ou de l’ordonnance du 6 juin 2005 pour répondre à ses propres besoins.

 Cette jurisprudence a été transcrite à l’article 3 du code des marchés publics : “1° Accords-cadres et marchés conclus entre un pouvoir adjudicateur et un cocontractant sur lequel il exerce un contrôle comparable à celui qu’il exerce sur ses propres services et qui réalise l’essentiel de ses activités pour lui à condition que, même si ce cocontractant n’est pas un pouvoir adjudicateur, il applique, pour répondre à ses besoins propres, les règles de passation des marchés prévues par le présent code ou par l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ;”

 Cependant, un tel régime d’exception n’est pas susceptible d’être régulièrement mis en œuvre dans tous les cas d’espèce.

II – Pas de “in house” en présence d’intérêts privés

Par son arrêt “Stadt Halle” du 11 janvier 2005, confirmé par l’arrêt Parking Brixen du 13 octobre 2005, la CJCE a précisé que « la participation, fût-elle minoritaire, d’une entreprise privée dans le capital d’une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut en tout état de cause que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ». Elle considère en effet que si le rapport entre une autorité publique, qui est un pouvoir adjudicateur, et ses propres services est régi par des considérations et des exigences propres à la poursuite d’objectifs d’intérêt public, en revanche, tout placement de capital privé dans une entreprise obéit à des considérations propres aux intérêts privés et poursuit des objectifs de nature différente.

 Ceci s’applique même lorsque la participation de ces intérêts privés, bien que postérieure à date de conclusion d’un marché, était prévisible à cette date, la condition relative au « contrôle comparable » ne pouvant alors être regardée comme satisfaite[ii].

 Dès lors, tous les contrats conclus par les personnes publiques avec des sociétés dont le capital est détenu pour partie par des actionnaires privés sont exclus de la qualification de contrats de quasi-régie et entrent, par conséquent, dans le champ d’application des règles de publicité et de mise en concurrence de droit commun.

On relèvera que dans l’hypothèse où un pouvoir adjudicateur se procurerait des biens ou des services auprès d’un groupement dont il serait membre, en contravention avec la jurisprudence précitée, il s’exposerait à se voir opposer l’illégalité du contrat.

Tel est, par exemple, le cas d’une société d’économie mixte locale (SEML) transformée en société anonyme[iii] ou encore celui d’une SEML contrôlée pour moitié par la collectivité, l’autre moitié du capital étant détenue par une société privée[iv].

Il pourrait éventuellement s’exposer également à des sanctions pénales. En effet, la Cour criminelle de la Cour de cassation[v], reprenant à son compte le moyen selon lequel “la participation, fût-elle minoritaire, d’une entreprise privée dans le capital d’une société à laquelle participe également une collectivité locale exclut que cette dernière puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services“, a considéré que “justifie sa décision, la cour d’appel, qui, pour déclarer le prévenu coupable de favoritisme, pour avoir attribué, sans concurrence, les marchés relatifs à la création et à la réalisation d’un bulletin municipal, pour les années 2003 à 2006, à une société d’économie mixte locale, transformée en société anonyme, écarte notamment l’application de l’article 3 1° du code des marchés publics alors applicable, excluant du champ d’application du code des marchés publics les contrats à prestations intégrées.

Dans ces conditions, les groupements constitués par exemple dans le domaine de l’imagerie médicale ou de la biologie médicale sont extrêmement fragiles dès lors qu’ils permettent au partenaire privé de participer à la fourniture de prestations de service du secteur concurrentiel à un ou plusieurs pouvoirs publics.

III – L’arrêt Acoset : Intérêt et limites actuelles

Un arrêt de la Cour de justice européenne semble désormais offrir cependant une solution : « Les articles 43 CE, 49 CE et 86 CE ne s’opposent pas à l’attribution directe d’un service public impliquant la réalisation préalable de certains travaux, tel que celui en cause au principal, à une société à capital mixte, public et privé, spécialement créée aux fins de la fourniture de ce service et ayant un objet social unique, dans laquelle l’associé privé est sélectionné sur appel d’offres public, après vérification des conditions financières, techniques, opérationnelles et de gestion se rapportant au service à assurer et des caractéristiques de l’offre au regard des prestations à fournir, pourvu que la procédure d’appel d’offres en question soit conforme aux principes de libre concurrence, de transparence et d’égalité de traitement imposés par le traité CE pour les concessions »[i].

 La CJCE a en effet considéré de manière particulièrement explicite que “le recours à une double procédure de mise en concurrence serait difficilement compatible avec l’économie procédurale qui inspire les partenariats public-privé institutionnalisés, tels que celui en cause au principal, dont la mise en place réunit en une seule démarche le choix d’un partenaire économique privé et l’attribution de la concession à l’entité à capital mixte à créer à cette seule fin.

59. Si l’absence de mise en concurrence dans le cadre de l’attribution de services apparaît inconciliable avec les articles 43 CE et 49 CE et avec les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, la sélection de l’associé privé dans le respect des exigences rappelées aux points 46 à 49 du présent arrêt et le choix des critères de sélection de l’associé privé permettent de remédier à cette situation, dès lors que les candidats doivent établir, outre leur capacité à devenir actionnaire, avant tout leur capacité technique à fournir le service et les avantages économiques et autres découlant de leur offre.

60. Dans la mesure où les critères de sélection de l’associé privé sont fondés non seulement sur les capitaux apportés, mais également sur la capacité technique de cet associé et sur les caractéristiques de son offre au regard des prestations spécifiques à fournir, et que cet associé se voit, comme en l’espèce au principal, confier l’activité opérationnelle du service en question et donc la gestion de celui-ci, l’on peut considérer que la sélection du concessionnaire résulte indirectement de celle dudit associé qui a eu lieu au terme d’une procédure respectant les principes du droit communautaire, en sorte qu’une seconde procédure de mise en concurrence en vue de la sélection du concessionnaire ne se justifierait pas.

61. Le recours, dans une telle situation, à une double procédure de sélection du partenaire privé de la société à capital mixte, d’abord, et d’attribution de la concession à ladite société, ensuite, serait de nature à décourager les entités privées et les autorités publiques de constituer des partenariats public-privé institutionnalisés, tels que celui en cause au principal, en raison de la durée inhérente à la mise en œuvre de telles procédures et de l’incertitude juridique en ce qui concerne l’attribution de la concession au partenaire privé préalablement sélectionné.

62. Il convient de préciser qu’une société à capital mixte, public et privé, comme celle en cause au principal, doit garder le même objet social pendant toute la durée de la concession et que toute modification substantielle du contrat entraînerait une obligation de mise en concurrence[ii].”

 Il suffirait dès lors que l’établissement public de santé sélectionne sur appel d’offre son partenaire avant de constituer avec lui un groupement destiné à exploiter une activité dont une part  serait effectuée à son profit .

 Malheureusement, à ce jour, rien ne permet d’affirmer que l’on puisse étendre sans risque la “jurisprudence” précitée de la CJCE qui concernait en tout état de cause une concession et non un marché. 

 Bien au contraire, on doit relever que le Conseil d’Etat, dans un avis du 1er décembre 2009[iii] a pris une distance importante avec la CJCE, affirmant que « l’introduction dans le droit français d’une formule de « PPP-I[iv] » au stade de la passation, c’est-à-dire avant la conclusion du contrat, nécessiterait une modification substantielle de l’ensemble des textes applicables. Dissociant le candidat initial et la personne retenue pour conclure le contrat, elle n’irait pas sans difficultés au regard des principes de valeur constitutionnelle et des impératifs communautaires (…) », « seule la méthode de la constitution d’une société dédiée à l’exécution du contrat cédé apparaît, en l’état du droit applicable, pouvoir être mise en œuvre pour donner le cas échéant une existence au « PPP-I » en droit français ». Pour la Haute Juridiction, il convient de mettre en avant le principe de« l’identité entre le candidat ayant présenté l’offre et le titulaire du contrat ».

L’initiative sénatoriale est donc particulièrement bienvenue, mais elle n’aura d’intérêt que si elle embrasse toutes les formes de sociétés et de groupements et non les seules SEML.



[i] CJCE, 15 octobre 2009, Affaire C-196/08, Acoset SpA.

[ii] Voir, en ce sens, CJCE, 19 juin 2008, Pressetext Nachrichtenagentur, C‑454/06, Rec. p. I‑4401, point 34.

[iii] CE, avis, 1er déc. 2009, n° 383264, Publié au Rapport annuel du Conseil d’État pour 2010 : EDCE 2010, p. 353 s.

[iv] Partenariat public-privé institutionnalisé.


[i] Notamment CJCE, 18 novembre 1999, Teckal, affaire C-107/98 ; CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, affaire C-26/03 ; CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo SpA ; CJCE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant SA ; CJCE, 19 avril 2007, ASEMFO.

[ii] CJCE, 10 novembre 2005, Commission c/ Autriche ; CJCE, 17 juillet 2008, Commission c/ Italie.

[iii] Cour de cassation, chambre criminelle, 25 juin 2008, N° 07-88373, Bulletin criminel 2008, N° 166.

[iv] CAA Paris, 14 janv. 2010, Commune de Chelles, n° 08PA04104.

[v] Cour de cassation, Chambre criminelle, 25 juin 2008, n° 07-88373 précité.