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Espoir déçu : pas de CTI aux exclus du Ségur SMS public

Article rédigé le 25 mars 2024 par Me Caroline Lesné

Près de deux ans après la dernière extension du CTI à certains agents de la fonction publique hospitalière, qu’en est-il de la situation des derniers exclus du Ségur du secteur public social et médico-social alors que les acteurs du secteur ont décidé de saisir la justice ? La Haute juridiction administrative et le Conseil Constitutionnel auront-ils à cœur de faire leur, les moyens qui conduisent à dénoncer une rupture d’égalité entre les agents de la fonction publique hospitalière, afin que cette fonction publique demeure une et entière pour le bien du service public et de ses usagers ?

 

 

 

La persévérance est la noblesse de l’obstination (Adrien Decourcelle).
L’appel à l’égalité des droits des agents publics hospitaliers devant la loi instituant le complément de traitement indiciaire aura-t-il raison de la résistance gouvernementale fondée sur des considérations budgétaires ?
La Fédération hospitalière de France (FHF) et le Groupe national des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux (GEPSo) ainsi que de nombreux établissements publics du secteur sont mobilisés depuis près de trois ans face aux pouvoirs publics pour obtenir l’attribution du complément indiciaire de traitement (CTI) aux derniers agents publics de la fonction publique hospitalière qui sont encore exclus de son bénéfice.
Ces professionnels exclus sont estimés à quelques milliers selon la FHF et le GEPSo ou à une centaine de milliers selon le gouvernent sur les 1,2 million d’agents de la fonction publique hospitalière.

 

Le sort des exclus du CTI confié à la Justice

Arrivant au bout de leurs démarches d’influence mais persévérants, la FHF rejointe ensuite par le GEPSo s’est résolue à envisager une action plus offensive à visée contentieuse.

Sollicité à cette fin, le cabinet Houdart et associés a eu le plaisir de les accompagner dans leur action.

La Première Ministre a donc été solennellement saisie par courrier du 21 février 2023 d’une demande de modification du décret n°2020-1152 du 19 septembre 2020 relatif au CTI. La FHF et le GEPSo ont demandé que les dispositions réglementaires précitées soient modifiées pour ouvrir le bénéfice du CTI à l’ensemble des agents de la fonction publique hospitalière en vertu du principe d’égalité devant la loi en matière de rémunération. La Première Ministre n’a pas répondu à leur demande d’abrogation et de modification réglementaire. L’absence de réponse a constitué une décision implicite de rejet susceptible de recours contentieux.

La FHF a donc déposé devant le Conseil d’Etat :

  • D’une part le 23 juin 2023 un recours pour excès de pouvoir (REP) visant à l’annulation de cette décision implicite de rejet de sa demande de modification réglementaire du dispositif de CTI et à ce qu’il soit enjoint au Premier Ministre de modifier les dispositions réglementaires dans un délai de six mois afin que l’ensemble des agents de la FPH soit bénéficiaire du CTI ;
  • D’autre part, le 25 septembre 2023, une requête afin que soit transmise au conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de rupture d’égalité des agents de la fonction publique hospitalière devant la loi instituant le CTI.

 

Le GEPSo est ensuite intervenu en janvier 2024 dans ces procédures aux côtés de la FHF.

Si la transmission par une décision du 21 décembre 2023 du Conseil d’Etat de la QPC a constitué un premier temps fort dans ce débat juridique désormais engagé, l’audience publique du Conseil constitutionnel qui a eu lieu le 13 mars 2024 (QPC n°2023-1084) en a constitué assurément un deuxième moment décisif.

 

Pour mémoire : Quel est l’objet du dispositif créant le CTI ?

Pour bien comprendre l’enjeu du sujet, revenons un instant sur le dispositif du CTI et la rupture d’égalité de traitement entre les agents de la fonction publique hospitalière qui est ici dénoncée.

C’est pour prendre en compte les bouleversements de l’épidémie de Covid-19 et la situation des professionnels fortement sollicités et exposés au sein de la fonction publique hospitalière, que le « Ségur de la santé », présenté comme une grande concertation réunissant le Premier ministre, le ministre en charge des solidarités et de la santé et les représentants des acteurs du système de santé, a érigé en premier pilier de son action, la transformation des métiers et la revalorisation des carrières.

Dans ce cadre, le Ségur de la santé a recommandé la création d’un complément de traitement indiciaire, destiné à revaloriser l’implication des agents de la fonction publique hospitalière dès lors que les acteurs du Ségur constataient que les rémunérations « ne sont ni en adéquation avec l’utilité sociale de l’ensemble de ces professionnels, ni en adéquation avec leur engagement professionnel ». (Page 2 de l’accord du Ségur de la Santé du 13 juillet 2020)

 

Un dispositif excluant encore certains agents et établissements relevant de la fonction publique hospitalière du bénéfice du CTI

Ce complément de traitement indiciaire dit CTI a donc été institué par l’article 1er du décret modifié n°2020-1152 du 19 septembre 2020 et par l’article 48 I. modifié de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) n°2020-1576 du 14 décembre 2020.

Le complément de traitement indiciaire est équivalent à 49 points d’indice majoré, soit un montant mensuel de 183 euros porté par la suite à 189 euros puis à 191 euros bruts.

Il n’était attribué dans un premier temps qu’aux agents publics des établissements publics de santé et aux EHPAD.

Le CTI a ensuite été étendu progressivement entre juin 2021 et avril 2022 aux établissements publics sociaux et médicosociaux rattachés à un hôpital ou à un établissement gérant un EHPAD puis à certains professionnels de certains établissements et services sociaux et médicosociaux et enfin aux fonctionnaires relevant des corps permettant un accompagnement socio-éducatif quel que soit l’établissement, en exécution des engagements pris dans le cadre des accords Laforcade de février et mai 2021.

Cependant, demeurent encore exclus du bénéfice du CTI, selon les estimations soit de la FHF soit du gouvernement, entre 4 000 et 120 000 agents de la fonction publique hospitalière relevant des filières administratives, techniques, ouvrières, ou de fonctions d’ASHQ de la filière soignante des établissements publics sociaux et médico-sociaux autonomes.

A l’incompréhension a succédé la sidération des professionnels, des établissements et des élus dénonçant par voie de presse spécialisée, locale et régionale la situation des « oubliés du Ségur » ou encore des « exclus du Ségur ». Les effets de cette disparité de traitement ne se sont pas fait attendre :

  • Accroissement des difficultés à pourvoir les postes vacants de ces établissements exclus,
  • Démotivation des professionnels exclus,
  • Situation de mise en concurrence entre les établissements publics de la FPH,
  • Demande de mutation vers les autres établissements de la FPH éligibles au CTI
  • Démission ou demande de disponibilité pour négocier des contrats aux conditions financières attractives.

 

 

Rupture ou pas rupture d’égalité devant la loi ? Les clefs pour comprendre

Tant le Conseil d’Etat que le Conseil constitutionnel sont actuellement saisis de la question de savoir si le législateur et le pouvoir réglementaire du Premier Ministre pouvaient traiter différemment dans leur rémunération des agents publics n’exerçant pas dans les mêmes établissements mais relevant des mêmes corps et grades de la fonction publique hospitalière.

L’approche de la question est similaire dans son principe que ce soit devant le Conseil d’Etat ou devant le Conseil constitutionnel.

Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur ou le pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situations susceptibles de la justifier (Cons. Const. Décision n°2016-592 DC 21 octobre 2016 notamment ; Conseil d’Etat, 17 mars 2021, n°440208, publié au recueil Lebon notamment)

En présentant une question prioritaire de constitutionnalité, la FHF a donc demandé au Conseil d’Etat d’interroger le Conseil constitutionnel sur la méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité tel qu’il résulte des articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ainsi que de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, des dispositions de l’article 48 modifié de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021, ayant conduit à la modification du décret n° 2020-1152 du 10 septembre 2020.

En tout premier lieu, les juges doivent déterminer si les agents exclus et les établissements publics sociaux et médicosociaux (EPSMS) autonomes exclus sont dans une situation différente des agents et des établissements bénéficiaires du CTI dans la fonction publique hospitalière.

Lors de l’audience publique du Conseil constitutionnel délocalisée pour l’occasion le 13 mars dernier à la Cour administrative d’appel de Toulouse, certains sages du Conseil ont semblé considérer que les agents quels que soient les établissements publics de la FPH étaient dans des situations semblables. M. Michel Pinault a notamment fait observer que s’agissant des principes de fixation de la rémunération dans la fonction publique, les agents publics sont rémunérés sur la base du traitement indiciaire. Dès lors que les professionnels des EPSMS autonomes appartiennent aux mêmes corps et grades que les agents des établissements bénéficiaires du CTI, ils devraient être considérés comme étant dans une même situation. Si le représentant du Premier ministre a tenté de faire valoir que le CTI relèverait d’un dispositif sui generis étranger à la logique indiciaire, les termes mêmes de « complément de traitement indiciaire » rendaient peu audible la réplique. La FHF et le GEPSo représentés par l’avocat au Conseil d’Etat Maître Waquet ont insisté avec force d’exemples sur la similarité des fonctions des agents classés dans les mêmes corps et grades quels que soient les établissements relevant de la FPH rattachés ou autonomes.

A l’issue des débats, rien n’interdisait de penser que les sages pourraient conclure à l’existence d’une discrimination.

Mais quand bien même il y aurait discrimination, il faut encore que cette différence de traitement ne soit pas en rapport avec l’objet de la loi pour que les sages accueillent son inconstitutionnalité.

 

Le point névralgique du débat : une discrimination en rapport ou sans rapport avec la loi ?

Rappelons à nouveau le principe : la différence de traitement de situations différentes ou la différence de traitement faite dans l’intérêt général de situations semblables doit, dans l’un comme dans l’autre cas, être en rapport avec l’objet de la norme instituant le CTI.

Si le représentant du Premier Ministre a répété à l’audience que le CTI n’était pas une mesure générale de revalorisation des rémunérations dans la fonction publique hospitalière mais visait à revaloriser les métiers les plus en tension et les agents exposés aux conditions de travail les plus difficiles dans le contexte de l’épidémie de la covid-19, à l’inverse la FHF et le GEPSo ont mis en avant les termes mêmes de l’accord du Ségur du 13 juillet 2020 rappelés précédemment et des débats parlementaires qui fondent l’esprit même des dispositions législatives et réglementaires relatives au CTI (rapport de la commission des affaires sociales du Sénat sur le PLFSS pour 2021 Tome II, p.164).

Le versement d’un complément de traitement indiciaire poursuivait un double objectif :

  • Revaloriser la rémunération des personnels de la fonction publique hospitalière :

 

« revalorisation socle des salaires »

« les rémunérations du service public de la santé ne sont ni en adéquation avec l’utilité sociale de l’ensemble de ces professionnels, ni en adéquation avec leur engagement professionnel »

« le complément de traitement indiciaire, nouveau dispositif de rémunération spécifique à la fonction publique hospitalière et pris en compte pour la retraite, sera créé par une dispositions législative inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 »

(Page 2 de l’accord du Ségur de la Santé du 13 juillet 2020 relatif à la fonction publique hospitalière « rendre attractive la fonction publique hospitalière : revaloriser les carrières et les rémunérations et sécuriser les environnements de travail »),

 

  • Améliorer l’attractivité de ces carrières afin de faciliter le recrutement de personnel par les établissements relevant de la fonction publique hospitalière

 

« les signataires de cet accord se sont fixés l’objectif commun d’agir sur l’attractivité de la fonction publique hospitalière quel qu’en soit le lieu d’exercice : établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux »

Enfin, l’attention des sages a été attirée sur le fait que la différence de traitement dénoncée ne participe en aucune manière d’un meilleur fonctionnement du service public dont doivent être garants les établissements de la fonction publique hospitalière.

Bien au contraire, cette différence de traitement crée une mise en concurrence entre les établissements de la fonction publique hospitalière, qui crée une fuite des personnels, l’accroissement des difficultés de recrutement, un climat social délétère préjudiciant au service public et aux usagers pour lesquels il est essentiel de garantir la fluidité et la continuité des soins et accompagnements en amont et en aval de l’hôpital sans distinguer et opposer le secteur sanitaire et le secteur social et médicosocial de la fonction publique hospitalière.

 

La déception du délibéré du Conseil constitutionnel le 21 mars 2024 :

Le Conseil constitutionnel considère que l’exclusion du bénéfice du CTI à 191 euros bruts mensuels des agents publics visés plus haut exerçant dans des établissements publics sociaux et médicosociaux autonomes est conforme aux principes constitutionnels.

Les dispositions du paragraphe 1er de l’article 48 de la loi du 14 décembre 2020 « instaurent une différence de traitement entre les agents des établissements et services sociaux et médico-sociaux selon qu’ils exercent leurs fonctions dans un établissement rattaché à un autre établissement ou autonome et, dans ce dernier cas, selon les fonctions qu’ils exercent.

Toutefois, le conseil constitutionnel précise que :

  • « d’une part, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 23 décembre 2021 mentionnée ci-dessus que, en prévoyant que le complément de traitement indiciaire versé aux agents des établissements publics de santé et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes est également versé aux agents des établissements et services sociaux et médico-sociaux qui leur sont rattachés, le législateur a entendu que tous les agents publics exerçant leurs fonctions au sein de ces établissements bénéficient des mêmes conditions de rémunération. »,
  • « D’autre part, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 16 août 2022 que, en étendant le bénéfice du complément de traitement indiciaire aux seuls agents publics des établissements sociaux et médico-sociaux autonomes exerçant certaines fonctions paramédicales, sociales et éducatives, le législateur a entendu renforcer l’attractivité de ces fonctions eu égard aux difficultés particulières de recrutement que rencontrent ces établissements. »

 

En conséquence, le conseil constitutionnel retient qu’« Au regard de l’objet de ces dispositions, les établissements et services sociaux et médico-sociaux qui sont rattachés à un établissement public de santé ou à un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes se distinguent, en raison des modalités particulières de leur gestion, des établissements et services sociaux et médico-sociaux autonomes. En outre, les agents publics de ces établissements autonomes qui exercent des fonctions paramédicales, sociales et éducatives ne sont pas placés dans la même situation que ceux exerçant d’autres fonctions, notamment administratives, techniques ou ouvrières. ».

Ainsi, le législateur a pu réserver le bénéfice du complément de traitement indiciaire aux seuls agents publics visés par les dispositions contestées, sans l’étendre à tous les agents des établissements mentionnés à l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles.

Le Conseil constitutionnel conclut que la différence de traitement résultant de ces dispositions, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi.

 

Le délibéré ne s’est pas fait attendre et il est bien décevant que les sages n’aient finalement pas conclu que la différence de traitement ainsi faite entre des agents d’une même fonction publique ne soit pas en rapport avec l’objet de cette loi issue des accords du Ségur.

 

Caroline LESNÉ est avocate associée et Responsable du département Fonction publique du pôle social. Elle accompagne depuis plus de 15 ans les établissements de santé. Encadrant une équipe d’avocats spécialisés, Maître Lesné conseille quotidiennement les directions d’établissements sur leurs projets et leur stratégie tant au plan individuel que collectif de leur GRH notamment dans le cadre des regroupements et coopérations. Elle les représente et les assiste devant les juridictions administratives et judiciaires et assure par ailleurs des formations, Outre des compétences aguerries en droit de la fonction publique, Maître Lesné délivre une expertise poussée en droit statutaire des médecins et des conseils en gestion stratégique notamment dans le cadre des différentes formes de coopération.
Elle intervient également tant en conseil qu’en représentation en justice en droit du travail auprès d’opérateurs de droit privé et en droit de la sécurité sociale.