Scroll Top
Partager l'article



*




Un médecin libéral se retrouvant, suite aux départs de confrères, seul lié par un contrat d’exercice de groupe  peut-il être individuellement tenu de supporter les obligations découlant de ce contrat ?

C’est la question à laquelle s’est retrouvé confronté le Tribunal de grande instance de Montluçon ce 30 décembre 2016 n° 14/01129 dans une espèce tout à fait atypique.

Petit rappel préalable, le contrat d’exercice privilégié de groupe est un contrat qui était très usité dans les années 80. Il permettait à une clinique de s’assurer la participation exclusive d’une équipe de plusieurs praticiens sur son site qui, en échange, disposait d’une exclusivité. De ce fait, ces contrats étaient signés pour une durée longue ; 20 ou 30 ans.

Dans les faits de l’espèce, un contrat d’exercice libéral avait été conclu à l’origine entre une partie simple, la Polyclinique, et une partie plurale, des médecins anesthésistes-réanimateurs. Ce dernier liait les parties pour une durée de 30 ans, avec reconduction tacite pour des durées successives de 10 ans et reconnaissait aux praticiens un monopole dans leur spécialité.

Le contrat précisait notamment qu’en cas de résiliation à l’initiative des anesthésistes une indemnité devait être versée correspondant à la moyenne annuelle des honoraires perçus pendant leurs 3 dernières années d’exercice.

Relevons que dans ce type de contrat, en principe, les titulaires du contrat bénéficient d’un exercice exclusif de la spécialité, en l’occurrence, l’anesthésie. La Polyclinique s’interdit donc de recruter d’autres professionnels de la spécialité. Ce faisant, en cas de départ, le Groupe trouve des successeurs au sortant et le nouvel entrant intègre le contrat de groupe qui se poursuit. Or, en l’occurrence, de nouveaux anesthésistes libéraux ont rejoint la Polyclinique mais par le biais de contrats d’exercice individuel.

Par la suite, à raison de départs successifs des médecins signataires, un des médecins anesthésistes se retrouvait in fine seul titulaire du contrat conclu avec la Polyclinique.

Il signifiait à son tour, à raison de manquements graves et répétés de la Polyclinique, son intention de résilier le contrat moyennant un préavis.

En retour, l’établissement de santé privé sollicitait au titre de la résiliation le versement de l’indemnité prévue dans le contrat d’exercice libéral du groupe (indemnité qui n’avait jamais été sollicitée lors des départs successifs antérieurs). Elle décidait de saisir après échec de la procédure de conciliation le Tribunal afin d’obtenir la condamnation du médecin anesthésiste pour un montant de 300.000 euros.

Le Tribunal a fort justement rejeté intégralement la réclamation présentée. Pour fonder sa décision, il s’appuie sur deux axes.

En premier lieu, dans le cadre d’une approche très didactique, le Tribunal recherche, la commune intention des parties :

« On retrouve répétitivement dans le corps du contrat l’indication du : « groupement des médecins anesthésistes » et, ainsi, les termes mêmes de la convention indiquent de façon non équivoque qu’elle est intervenue non avec l’un ou l’autre des médecins anesthésistes-réanimateurs mais bien avec « le groupement » »

Il est ensuite constaté que la clause dont la Polyclinique demande application est intitulée « La résiliation résulte des Anesthésistes ».  Ainsi, la clause encadrant la résiliation du contrat vise le « Groupe » et non chaque médecin pris individuellement.

Ce faisant,  le Tribunal conclut au fait que la clause de résiliation prévoyant une indemnité ne pouvait être rendue opposable à un seul médecin anesthésiste-réanimateur mais uniquement au « Groupe ».

En second lieu, le Tribunal examine les circonstances particulières dans lesquelles est intervenue la rupture. Il est ainsi relevé que la Polyclinique concédait à de nouveaux médecins anesthésistes-réanimateurs des contrats d’exercice individuel alors que le contrat signé avec le Groupe leur conférait un monopole au titre de leur spécialité. Le Tribunal retient ainsi qu’une modification en profondeur du contrat est intervenue à raison du non respect par la Polyclinique du monopole accordé au « Groupe ». De même, le Tribunal relève avec force des dysfonctionnements graves et globalement non traités par la Polyclinique notamment dus à l’insuffisance des moyens mis à disposition du praticien  pour l‘exercice de son art.

Par conséquent, le Tribunal rejette la demande de la Polyclinique. Plus encore, il décide de la condamner à un euros de dommages et intérêts au regard de « la légèreté de l’action introduite » par cette dernière anéantissant toute velléité.

Si l’on ne peut que se réjouir de cette décision extrêmement motivée tant en droit qu’en fait, au-delà de la question des contrats de Groupe, elle illustre une des problématiques récurrentes en matière de contrats d’exercice : la nécessaire adaptation des contrats à l’évolution de l’exercice.

En effet, si une attention particulière est (souvent)  réservée à  la conclusion d’un contrat d’exercice qui peu donner lieu à d’âpres négociations, une fois signé par les parties, le contrat est oublié… jusqu’au jour où un différend éclos.

Ainsi, malgré des bouleversements dans l’économie du contrat provoqués, par exemple, par des fusions, des transferts d’activité, l’arrivée de nouveaux confrères ou tout simplement des modifications des moyens mis à disposition ou de la redevance pratiquée, ces évènements ne sont pas nécessairement retranscrits contractuellement.

Le contrat se poursuit alors parfois en totale inadéquation avec la réalité de l’exercice professionnel et ne reflète plus la commune intention des parties.

Ce faisant, le contrat initial ne joue alors plus son rôle protecteur vis-à-vis des parties,  mais au contraire devient un nid prolifique aux différends et aux contentieux.

N’oublions jamais qu’un bon accord vaut toujours mieux qu’un bon procès.

Marine JACQUET, avocate associée, exerce au sein du Cabinet HOUDART ET ASSOCIÉS depuis 2011.

Maître Jacquet se consacre plus particulièrement aux problématiques relatives aux ressources humaines au sein du Pôle social du cabinet, Pôle spécialisé en droit du travail, droit de la sécurité sociale, droit public et droit de la fonction publique.

Présentant une double compétence en droit du travail et en droit de la fonction publique, elle conseille quotidiennement depuis 7 ans  les établissements de santé privés comme publics, les établissements de l’assurance maladie, les acteurs du monde social, médico social et les professionnels de santé libéraux notamment sur la gestion de leurs personnels,  leurs projets et leur stratégie en s’efforçant de proposer des solutions innovantes.

Elle accompagne ces acteurs sur l’ensemble des différends auquel ils peuvent être confrontés avec leur personnel (à titre d’exemple, gestion d’accusation de situation d’harcèlement moral ou de discrimination syndicale, gestion en période de grève, gestion de l’inaptitude médicale, des carrières et contentieux y afférents, procédures disciplinaires ou de licenciement, indemnités chômage …etc).