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Il y a un an, 135 conventions constitutives de GHT étaient approuvées par les directeurs généraux des ARS. Succès incontestable pour la ministre, Mme Marisol Touraine qui n’avait accepté aucun report allant jusqu’à inverser l’ordre préconisé par le législateur de commencer par établir  le projet médical partagé pour rédiger ensuite  la convention constitutive.

Ainsi, au 1 er juillet, après 6 mois de marche forcée et forts de leur convention constitutive, les 135 GHT devaient s’engager dans la rédaction de projet médical partagé et mettre en place les délégations de compétences (dénommées avec pudeur « fonctions mutualisées ») au bénéfice de l’établissement support.

 

 

Les GHT fêtent ainsi leur premier anniversaire, belle occasion de dresser un premier bilan :

– À l’exception notable d’une dizaine d’établissements, tous les EPS sont désormais parties d’un GHT. Les dérogations concernaient essentiellement des établissements autorisés en psychiatrie. Plus pour longtemps : la ministre, Mme Agnès Buzyn a annoncé le 6 septembre dernier qu’elle entend ne pas les renouveler. Les dérogations ne seront donc plus que des exceptions.

– Leur périmètre est très variable, de 3 à 4 établissements, couvrant un territoire d’une centaine de milliers d’habitants pour les plus petits, à plus de 18 établissements couvrant plusieurs départements pour le plus grand. La moyenne se situe sur une échelle départementale.

– La gouvernance complète des GHT a mis du temps à être mise en place. À décharge, cela représente de nombreuses instances dont certaines composées de plus de 60 participants (comité stratégique).

– Les projets médicaux partagés sont, pour beaucoup, terminés : au 1er juillet, 109 PMP avaient été transmis aux ARS. Se pose maintenant la question de la place des autres opérateurs, établissements de santé et médico sociaux privés et acteurs de santé libéraux. Faut-il les associer et jusqu’où ? La loi est floue qui prévoit l’association des seuls établissements privés par la conclusion d’accord de partenariat organisant l’articulation de leur projet médical avec celui du GHT (article L. 6132-1 du CSP). Rien n’est prévu pour les professionnels de santé libéraux.

En d’autres termes, le projet médical partagé est-il celui du territoire ou des seuls établissements parties ? La question est stratégique et met en lumière l’ambiguïté de l’exercice demandé aux GHT :  un projet médical qui soit le leur tout en ayant un ancrage territorial cohérent… sauf à ruiner tout ce qui a été entrepris jusqu’ici pour faciliter un parcours de santé coordonné.

– Gardons le meilleur pour la fin : les trop fameuses et mal nommées fonctions mutualisées qui ne sont juridiquement pas autre chose que des délégations de compétence des établissements parties au bénéfice de l’établissement support. Elles concernent la mise en cohérence des systèmes d’information, les DIM, les instituts de formation et surtout la fonction achats. Peu importe que l’on soit favorable ou non à une centralisation de certaines fonctions. Depuis la diffusion du projet de loi, nous dénonçons les incohérences juridiques source d’insécurité qui ont obligé l’administration centrale à s’y reprendre à plusieurs reprises pour tenter d’apporter un tant soit peu de cohérence …mais en vain. Nous y reviendrons.

 

Bilan mitigé et les résultats du sondage IFOP qui a eu lieu du 19 mai au 7 juin auprès de 1089 Directeurs et cadres en sont une illustration : « 64% jugent que la réforme a altéré — ou va altérer — leurs conditions de travail »… « 67% des directeurs et cadres interrogés n’ont pas de vision claire de leur avenir au sein de leur GHT, d’autant plus dans les établissements membres (75%) que les supports (47%) ».. . « Seuls 55% des sondés jugent les projets médicaux partagés adaptés aux enjeux de recomposition sanitaire, et ce taux chute à 22% pour la délégation de compétences des fonctions supports » (HOSPIMEDIA 22 juin 2017 : le bilan à un an des GHT mené par le SMPS révèle un mal-être croissant dans les directions)

 

Faut-il alors supprimer les GHT et remettre l’ouvrage sur le métier ? La décision serait mal venue. Ce n’est pas le principe d’un regroupement et de la restructuration des établissements de santé publics qui est rejeté mais ses conditions et ses modalités de mise en œuvre.

Ne faudrait-il pas plutôt envisager quelques modifications ?

Nous recensons 3 axes d’amélioration du dispositif, 3 axes simples qui ne remettront pas en cause les groupements, 3 axes de mise en cohérence :

– Le projet médical partagé,

– Le périmètre des GHT,

– Les fonctions mutualisées.

Reprenons ;

 

I –  LE PROJET MÉDICAL PARTAGÉ

Projet médical partagé ou projet médical de territoire ? Il faut lever cette ambiguïté et en clarifier l’objet.

La demande des opérateurs privés – acteurs de santé libéraux, établissements de santé privé à but lucratif ou sans but lucratif, établissements médico sociaux – est parfaitement légitime et censée. Le territoire doit bénéficier d’un projet médical propre, déclinaison en proximité du projet régional de santé. L’exemple nous en est donné par la psychiatrie et l’élaboration des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) prévue par l’article 69 de la loi du 26 janvier 2016, désormais codifié dans le code de la santé publique sous l’article L 3321-2, qui associent tous les acteurs de la santé mentale : les établissements et les professionnels de santé  publics et privés bien sûr mais aussi les collectivités territoriales, les associations, tous les acteurs du champ médicosocial et social, l’éducation nationale, la justice, les caisses d’assurance maladie, les administrations… bref de tous les acteurs qui interviennent sur le territoire.

Les premiers exemples sont une réussite. Citons le PTSM des Pyrénées-Orientales initié par le Centre Hospitalier de Thuir ; les travaux engagés ont permis de réunir tous ces acteurs et de développer de très nombreuses actions, coopérations dans le but de faciliter la prise en charge de la santé mentale sur le territoire.

Pourquoi ne pas prévoir alors l’élaboration d’un projet territorial de santé et d’y associer les établissements publics et privés, tous les acteurs de santé, les établissements et services médico sociaux, mais aussi les collectivités territoriales, les services sociaux, l’éducation nationale, etc. La santé est affaire d’aménagement du territoire. Cela présenterait également l’avantage d’ordonner et de mettre en cohérence ces multiples plans ;

– le projet de santé des Communauté professionnelles de territoire (art. L. 1434-12)  élaborés par les professionnels de santé libéraux sans lien avec le PMP,

– Le diagnostic territorial (art. L. 1434-10) qui « contribue à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation du PRS » « en s’appuyant notamment sur les projets des équipes de soins primaires et des communautés professionnelles territoriales de santé : pas un mot sur les PMP.

Et pour les seuls établissements parties au GHT seraient  prévus un projet stratégique, déclinaison pour les établissements publics du projet territorial de santé et qui pourrait alors tenir compte de leurs spécificités.  Il n’y aurait plus alors de confusion ou d’ambiguïté.  Nul besoin de s’interroger de la participation d’autres opérateurs.

 

II LE PÉRIMÈTRE DES GHT

Ce n’est pas faire offense aux Agences régionales de santé que d’affirmer l’inadaptation des périmètres de plusieurs GHT ; relisons quelques extraits  du  rapport final de la mission sur les GHT de Mme Jacqueline Hubert et de M Frédéric Martineau de février 2016 concernant les périmètres :

« Mettre en place des GHT de grande taille est pourtant porteur de risques. Le premier risque est de conduire à des groupements n’ayant pas les mêmes responsabilités et identités territoriales car ne prenant pas en charge la même patientèle. L’élaboration du projet médical partagé sera alors un exercice qui ressemblera plus à la somme des projets de chaque établissement qu’à un projet mutualisé de prise en charge d’un bassin de vie. Le deuxième risque est de conduire à des GHT trop lourds à gouverner car rassemblant un trop grand nombre d’établissements. Les mutualisations nécessaires à la mise en œuvre du projet médical partagé n’en seront que plus complexes : la convergence des systèmes d’information, la gestion de l’information médicale, etc. Au total, un périmètre trop large peut engendrer le risque de créer des coquilles vides ou des coopérations très ponctuelles, sur une activité́, sans convergence des infrastructures.

A l’inverse, mettre en place de trop petits GHT présente le risque de passer à coté́ de l’objectif de gradation des soins. Sans intégration d’un recours et en se limitant à une offre de proximité́, les GHT ne répondront alors plus à l’objectif d’égalité́ d’accès à des soins sécurisés et de qualité́. Les mutualisations en seront également plus difficiles et moins profitables compte tenu, d’une part, du potentiel d’économies d’échelle et, d’autre part, de l’existence d’une expertise confirmée. »

Propos prémonitoires ! Nous n’avons échappé ni au risque du « trop petit » ni, surtout, au risque « du trop grand ». Nous pouvons citer sans effort plusieurs GHT que la taille handicape et interdit la mise en œuvre d’un projet médical cohérent, fédérateur et tout simplement réalisable (Ses ailes de géant l’empêchent de marcher).

La révision du périmètre s’impose, au moins pour quelques-uns, sauf à vider de son sens le groupement et scléroser les perspectives d’évolution des établissements.

Osons également nous interroger et regretter l’absence de participations des collectivités territoriales dans le découpage du périmètre des GHT ; les collectivités sont de plus en plus présentes dans la prise en charge sanitaire de la population, directement ou indirectement (personnes dépendantes,  personnes handicapées, maisons médicales, contrats locaux de santé, actions de prévention et de sensibilisation, etc.). Et que dire de la prise en charge de la santé mentale ? Un directeur d’établissement public autorisé en psychiatrie ne voit-il pas plus souvent le préfet que le DG d’ARS ?

Les solutions à apporter au problème des déserts médicaux ne sont-elles pas liées à l’aménagement du territoire ?

Ne faut-il donc pas accepter de revoir certains périmètres au prix d’un temps supplémentaire et d’une recomposition mais qui permettra  au final de gagner  du temps, et surtout d’apporter une meilleure réponse aux besoins de la population ?

 

III LES FONCTIONS MUTUALISÉES

Revenons un peu en arrière et à la genèse du projet de GHT ; les auteurs de la loi ont délibérément refusé toute création d’une personne morale et, franchissant un pas supplémentaire, ont substitué à la notion de coopération celle de centralisation des pouvoirs entre les mains d’un « leader », l’établissement support tout en refusant de reconnaître qu’il s’agissait d’une marche vers la fusion.

Le vocabulaire emprunté (groupement, fonctions mutualisées) a pu faire illusion. Désormais, il n’est plus contesté que le mécanisme est bien celui d’un transfert obligatoire de compétences pour les fonctions visées par l’article L6132-3 (gestion commune d’un système d’information, gestion d’un département de l’information médicale de territoire, coordination des instituts de formation paramédicale, et fonction achats). À la différence de l’intercommunalité, ce ne sont pas des activités qui sont transférées mais des fonctions transversales nécessaires au fonctionnement de chaque établissement. Cela est particulièrement sensible en ce qui concerne la fonction achats. La délégation va donc avoir un impact déterminant sur le fonctionnement de chaque établissement partie.

Le mécanisme étant désormais défini, il reste à en examiner les modalités de fonctionnement et de mise en œuvre.

Chacun s’accorde pour en souligner la complexité et les difficultés et pour cause :

– La délégation de compétence est légale (article L 6132-3) et obligatoire. Il n’y a donc aucune dérogation.

– La délégation de compétence transfère la responsabilité entière de la fonction à l’établissement support. Il ne peut donc y avoir de mode intermédiaire – juridiquement opposable – autorisant l’établissement à être associé à son accomplissement. Tout au plus peut-il être informé et concerté dans le cadre des instances propres au GHT.

En d’autres termes, l’établissement support va faire à la place des établissements parties[i].

Le concept est séduisant mais se heurte à la réalité du fonctionnement des établissements parties qui conservent leur autonomie : l’exemple de la fonction achats et de ses difficultés de mise en œuvre est une parfaite illustration. Le seul habilité à signer les marchés (au premier euro) est le directeur de l’établissement support. Peut-il, pour des raisons pratiques, déléguer au directeur de l’établissement partie la signature de certains marchés ? Les plus faibles, ne serait-ce que pour faciliter le fonctionnement quotidien ? La réponse est négative ; il ne lui est permis de déléguer sa signature qu’à un agent de son propre établissement quand bien même cet agent serait mis statutairement à la disposition de l’établissement support.

Allons plus loin, le directeur de l’établissement support supportera une responsabilité dont les limites n’ont pas été complètement explorées, mais passons-les rapidement en revue :

– Responsable de la politique des achats, il peut donc refuser ou modifier les besoins exprimés par l’établissement partie qui reste pourtant doté de l’autonomie administrative et financière (Article L. 6141-1 du CSP). Si ce refus (par exemple refus d’achat d’un équipement médical) justifié économiquement ne l’est pas médicalement, ne verrait-il pas sa responsabilité engagée ?

– Responsable de la passation des marchés, l’établissement support se verra-t-il condamné aux dommages et intérêts qu’une juridiction infligera en cas d’annulation du marché ?

– Quid de la compatibilité avec la loi MOP ?

Nous pourrions multiplier à l’envi ces hypothèses anxiogènes. Elles n’ont d’autre intérêt en l’état que de souligner la formidable ambiguïté et la confusion que crée ce dispositif que nous qualifions de milieu du gué. Nous avons quitté les rives de l’autonomie de l’établissement partie sans atteindre celui de la fusion. Et en voici le résultat : le directeur de l’établissement partie ne dispose plus de toutes les commandes de l’appareil et cela va compliquer son exercice et le directeur de l’établissement support n’a pas de commandes suffisantes pour le remplacer efficacement.

Faut-il alors franchir le Rubicon et s’engager dans un processus accéléré de fusion ? Nous ne le croyons pas.

L’examen objectif et attentif des GHT oblige à constater leur incroyable diversité celui-ci est prêt à engager les établissements dans une fusion attendue par tous, celui-là devrait reposer sur un mode fédératif et la recherche de coopérations.

Ne pourrait-on pas alors apporter de la souplesse au dispositif ? Et permettre aux établissements de recourir à des mécanismes juridiques adaptés à leurs objectifs et besoins ?

Il suffirait de pas grand-chose dit justement la chanson. En effet, il suffirait de modifier très légèrement l’article L. 6132-2 du CSP : Sans remettre en cause la voie de la délégation de compétences retenue par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, la modification aurait pour objet de favoriser, en complément de cette voie, le développement de coopérations entre établissements relevant d’un même GHT ainsi qu’entre ces établissements parties et d’autres établissements ou professionnels intéressés pour lequel le GHT ne constitue pas aujourd’hui un cadre adapté. Il s’agirait de fournir aux gestionnaires hospitaliers publics la possibilité d’adapter aux circonstances locales le droit des groupements hospitaliers de territoire.

Cette très légère modification de l’article L. 6132-2 pourrait s’accompagner de la possibilité de doter, en tant que de besoin, les groupements hospitaliers de territoire de la personnalité morale publique afin de faciliter les coopérations entre les établissements parties et avec les autres établissements ou professionnels intéressés. De surcroît, l’octroi de la personnalité morale pourrait permettre d’ouvrir la voie à la filialisation des établissements parties par rapport à l’établissement support ce qui mettrait définitivement fin aux interrogations en matière notamment de droit de la commande publique, de fiscalité, de délégation de compétences, de gestion des ressources humaines médicales ou non médicales, ou des autorisations.

Autant de modifications qui permettraient aux GHT de prendre leur envol …

[i] Citons une nouvelle fois le rapport de fin de mission sur les GHT, février 2016 ; « Un établissement support des mutualisations dont le chef d’établissement se voit confier, pour les activités mutualisées, les compétences de chef d’établissement pour le compte de tous les établissements (à savoir: représenter l’établissement dans tous les actes de la vie civile, disposer du pouvoir de nomination et de l’autorité sur les personnels, être l’ordonnateur en dépenses et en recettes) … »

Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.

Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …). 

Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).

Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.

Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.