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Exposé des motifs

 

Le premier alinéa du I de l’article L. 6132-1, dans sa version issue de l’article 27 exclut que le  groupement hospitalier de territoire (GHT) soit doté de la personnalité morale : « Chaque établissement public de santé, sauf dérogation tenant à sa spécificité dans l’offre de soins régionale, est partie à une convention de groupement hospitalier de territoire. Le groupement hospitalier de territoire n’est pas doté de la personnalité morale ».

 Une telle pétition de principe emporte des conséquences préjudiciables quant à la capacité du groupement à nouer des relations avec les autres acteurs du secteur sanitaire et n’est pas cohérente avec le reste du dispositif (I) et comporte plus d’inconvénients que d’avantages ce qui imposera très rapidement aux acteurs concernés de se doter d’une structure juridique ad hoc (II).

 

I – Une pétition de principe peu cohérente qui affaiblit la capacité du groupement à devenir un acteur de l’organisation territoriale

 

Ne disposant pas de la personnalité morale, le GHT ne pourra conclure quelque convention que ce soit et en particulier avec les établissements privés de santé ou médico-social ou encore avec les professionnels libéraux.

 Pour autant le III bis (nouveau) de l’article L. 6132-1 prévoit que les établissements privés pourront « être partenaires d’un groupement hospitalier de territoire ». Il précise que « ce partenariat prend la forme d’une convention de partenariat prévue à l’article L.6134-1 ». Force est de constater que la convention de partenariat ne dispose d’aucune définition juridique, l’article L.6134-1 se contentant d’indiquer : « Dans le cadre des missions qui leur sont imparties et dans les conditions définies par voie réglementaire, les établissements publics de santé peuvent participer à des actions de coopération, y compris internationales, avec des personnes de droit public et privé. Pour la poursuite de ces actions, ils peuvent signer des conventions, participer à des groupements d’intérêt public, des groupements d’intérêt économique ou des groupements de coopération sanitaire ou constituer entre eux des fédérations médicales interhospitalières. »

  Deux solutions s’imposeront donc alors :

  – Soit la constitution d’un groupement formalisé entre l’ensemble des établissements membres du GHT et les établissements privés intéressés, ce que ne traduit qu’imparfaitement l’actuelle rédaction du III bis (nouveau) de l’article L. 6132-1 et ce qui conduira, comme actuellement dans la très grande majorité des cas, à doubler la constitution de la structure régionale dénuée de la personnalité morale, de la constitution d’un groupement dûment formalisé ; Ce qui ne saurait constituer un allégement du dispositif.

 – Soit la désignation d’un chef de file, ce qui nécessite un mandat explicite de la part de chacun des établissements concernés, à l’instar de l’article 3 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation  de l’action publique  territoriale et  l’affirmation des métropoles. En quelque sorte, le GHT emprunte la personnalité juridique de l’une des parties à la convention. Telle est l’option du II bis (nouveau) de l’article L. 6132-1 « Tous les groupements hospitaliers de territoire s’associent à un centre hospitalier universitaire au titre des activités hospitalo-universitaires prévues au III de l’article L. 6132-4. Cette association est traduite dans le projet médical partagé du groupement hospitalier de territoire ainsi que dans une convention d’association entre l’établissement support du groupement hospitalier de territoire et le centre hospitalier universitaire ».

 Ainsi les parties à la convention de GHT renoncent à une part de leur souveraineté au bénéfice de l’une d’entre elles et non au bénéfice d’un groupement doté de la personnalité morale dont elles assureraient ensemble la gouvernance.

 

II – De nombreux inconvénients

 

Selon les membres de la Mission Groupements Hospitaliers de  Territoire, « les  coopérations  donnant  lieu  à  la  création  d’une  nouvelle  personne morale  en  sus  de  celle  des  établissements  membres,  comme  c’est  le  cas  pour  les  GCS,   sont   largement   dénoncées   par   les   acteurs   du   fait   de   la   dilution   des  responsabilités et de la lourdeur administrative induite (duplication d’instances et de budgets) ». Il leur semble donc préférable de ne pas doter les GHT de la personnalité morale et de « définir et créer un véritable statut de l’établissement support afin que chacun puisse bénéficier   de   cette   souplesse   de   fonctionnement   tout   en   maintenant   une transparence  adaptée  pour  tous  les  établissements  engagés ».

 

La simplification qui en découlerait paraît cependant particulièrement sujette à caution. Ainsi :

 – Il conviendra de définir précisément « Les délégations éventuelles d’activités, mentionnées au II de l’article L. 6132-4 » ainsi que « Les transferts éventuels d’activités de soins ou d’équipements de matériels lourds entre établissements parties au groupement », leurs modalités de mise en œuvre et les règles de responsabilité afférentes ;

En outre dès lors que devront être mis en place un « comité stratégique chargé de se prononcer sur la mise en œuvre de la convention et du projet médical partagé, comprenant notamment les directeurs d’établissement, les présidents des commissions médicales d’établissement et les présidents des commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques de l’ensemble des établissements parties au groupement. » et un « comité territorial des élus ».

 – auxquels s’ajouteront  le cas échéant « un bureau restreint » auquel le comité stratégique pourra déléguer tout ou partie de sa compétence et des instances communes ; 

 – et qu’il faudra articuler les commissions médicales d’établissement pour l’élaboration du projet médical partagé ;

 la plupart de ces instances nouvelles viendront donc bien s’ajouter aux instances des établissements membres qui sont maintenus, de la même manière que dans l’hypothèse de la constitution d’un groupement de coopération formalisé entre les membres.

 La seule vraie simplification en la matière serait de doter les GHT de la personnalité morale et de faire des établissements membres des « régies non personnalisées » ou des filiales du GHT.

 

En tout état de cause, l’absence de personnalité morale génèrera indubitablement des difficultés de fonctionnement, voire des risques notamment de contentieux.

 Parmi ces derniers, on peut d’ores et déjà identifier les risques suivants :

 – en matière de droit des autorisations.

L’article 27 autorise le transfert d’activités entre établissements de santé membres du GHT. Ce transfert fait l’objet d’une procédure de confirmation extrêmement simplifiée, l’approbation de la convention constitutive du GHT valant confirmation et autorisation de changement de lieu d’implantation des autorisations. Le risque contentieux est évident, le changement de lieu d’implantation pouvant constituer un avantage concurrentiel certain pour l’établissement bénéficiaire. Il convient donc de s’attendre à ce que les conventions constitutives de GHT soient déférées pour vice de forme autant que pour erreur manifeste d’appréciation.

 – en matière de droit de la commande publique.

 Le I de l’article L. 6132-4 (nouveau) transfère à l’établissement support un certain nombre de missions qui vont incontestablement se traduire par la réalisation de prestations de service au profit des membres du groupement : gestion commune d’un système d’information hospitalier convergent, gestion d’un département de l’information médicale de territoire, fonction achats. Le II du même article autorise l’établissement support à « gérer pour le compte des établissements parties au groupement des activités administratives, logistiques, techniques et médico-techniques ». Parmi celles-ci se trouvent indiscutablement la pharmacie à usage intérieur, les laboratoires de biologie médicale, la blanchisserie, la restauration, l’informatique de gestion. Or, qu’il s’agisse des prestations obligatoires ou des prestations facultatives, toutes se trouvent dans le domaine concurrentiel couvert par le droit de la commande publique : un contrat à titre onéreux conclu par écrit entre un opérateur économique et un pouvoir adjudicateur et ayant pour objet la réalisation des prestations visées par la directive en matière de travaux, de fournitures ou de services constitue un marché public. Il a été jugé qu’il est sans incidence que cet opérateur soit lui-même un pouvoir adjudicateur (CJCE, 18 novembre 1999, Teckal, C‑107/98, Rec. p. I‑8121, point 51). Il est également indifférent que l’entité concernée ne poursuive pas à titre principal une finalité lucrative, qu’elle n’ait pas une structure d’entreprise ou encore qu’elle n’assure pas une présence continue sur le marché (CJCE, 23 décembre 2009, C‑305/08, CoNISMa, Rec. p. I‑12129). Seuls deux types de marchés conclus par des entités publiques ne rentrent pas dans le champ d’application du droit de l’Union en matière de marchés publics :

        * Il s’agit, en premier lieu, des marchés conclus par une entité publique avec une personne juridiquement distincte de celle-ci lorsque, à la fois, cette entité exerce sur cette personne un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et que ladite personne réalise l’essentiel de ses activités avec la ou les entités qui la détiennent (prestations « in house » : CJCE, 1999, 18 novembre 1999, Teckal, aff. C-107/98 ; CJCE, 8 mai 2003, Espagne c/ Commission ; CJCE, 7 décembre 2000, ARGE, aff. C-94/99 ; CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo SpA), un tel organisme ne pouvant en effet être regardé, alors, comme un opérateur sur un marché concurrentiel (CJCE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant, aff. C-324/07).

        * Il s’agit, en second lieu, des contrats qui instaurent une coopération entre des entités publiques ayant pour objet d’assurer la mise en œuvre d’une mission de service public qui est commune à celles-ci (CJCE, 9 juin 2009, Commission/Allemagne, C‑480/06, Rec. p. I‑4747, point 37). Or, la notion de mission de service publique est interprétée particulièrement strictement (CJUE, 19 décembre 2012, Aff. N° C‑159/11, Azienda Sanitaria Locale di Lecce, Università del Salento c/Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce e.a ; CJUE, 13 juin 2013, Aff. N° C‑386/11, Piepenbrock Dienstleistungen GmbH & Co. KG c/Kreis Düren, en présence de  Stadt Düren). La  mission d’intérêt général doit être effectivement et réellement partagée par les personnes publiques contractantes, de sorte que se trouvent exclus tous les cas où une mission serait simplement confiée unilatéralement par une personne publique à une autre et où la première se bornerait à jouer un rôle d’auxiliaire pendant que la seconde prendrait en charge l’ensemble de la mission (CJUE, 19 décembre 2012 précité). La Commission européenne estime que le contrat doit impliquer une exécution conjointe de la même mission, une véritable coopération, par opposition à un marché public ordinaire, où l’une des parties exécute une prestation définie contre rémunération. Une attribution unilatérale d’une tâche par un pouvoir adjudicateur à un autre ne saurait être regardée, selon la Commission, comme une coopération. 

(http://ec.europa.eu/internal_market/publicprocurement/docs/public_public_cooperation/sec2011_1169_fr.pdf

       * Dans ces conditions, tant que l’établissement support disposera d’une sorte de « monopole légal », il y a vraisemblablement peu de risque que les prestations en la matière donnent lieu à contentieux. Rien ne permet d’affirmer que les autres prestations qui seront effectuées de manière optionnelle par l’établissement support au profit des établissements membres du GHT pourront bénéficier du dispositif de la dérogation « in house » compte-tenu de la jurisprudence européenne actuelle. Alors même que l’ensemble des prestations fournies par le GHT pourraient être fournies en toute sécurité juridique, en dehors des procédures de la commande publique, dans le cadre d’un groupement disposant de la personnalité morale (CE, 4 mars 2009, N° 300481, Publié au recueil Lebon ; CE sect. 6 avril 2007, Lebon p. 155 ; CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, affaire C 26-03).

 

 – en matière fiscale

 Il ne fait pas de doute, malgré des interprétations souvent divergentes des services fiscaux, que les prestations fournies par l’établissement support du groupement à ses membres devraient être exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu des dispositions de l’article 261 B du code général des impôts (CJCE, 20 novembre 2003, n°C-8/01, Taksatorringen ; 11 décembre 2008, C-407/07 Stichting Centraal Begeleidingsorgaan voor de Intercollegiale Toetsing/Staatssecretaris van Financiën).

 En revanche, rien ne permet d’affirmer que le produit des activités menées par l’établissement support au profit des autres établissements membres du GHT pourra être exonéré des autres impôts commerciaux (impôt sur les sociétés ; Contribution économique territoriale).

 Alors même que la constitution d’un groupement disposant de la personnalité morale constitué exclusivement entre personnes publiques devrait garantir une certaine neutralité fiscale.

 

 – en matière de pharmacie à usage intérieur (PUI)

 En application de l’article[1] L. 5126-1 du code de la santé publique, « L’activité des pharmacies à usage intérieur est limitée à l’usage particulier des  malades dans les établissements de santé ou médico-sociaux où elles ont été constituées ou qui appartiennent au groupement de coopération sanitaire ».

 En l’absence de disposition spécifique aux GHT, l’établissement support ne pourra pas approvisionner les établissements membres ce qui ne serait pas le cas si le GHT disposant de la personnalité morale apparaissait comme l’établissement principal.

 

 – en matière de droit de la fonction publique

 La convention constitutive du GHT, qui devra être approuvée par l’ARS, devra déterminer[2] notamment les points suivants qui sont susceptibles d’avoir un impact social :

        * Les délégations d’activités administratives, logistiques, techniques et médico-techniques

        * Les transferts d’activités de soins ou d’équipements de matériels lourds entre établissements parties au GHT

        * Les modalités de constitution des équipes médicales communes et des pôles inter établissements

        * La désignation de l’établissement support chargé d’assurer pour le compte des autres établissements partis au groupement les fonctions et les activités déléguées

        * Les modalités d’articulation entre les CME et la mise en place d’instances communes.

 

La mise en œuvre de ce dispositif, en l’absence de personnalité morale du GHT,  ne manquera pas de poser de nombreuses difficultés en matière sociale, qu’il s’agisse de positions du personnel (mise à disposition statutaire, détachement, autre ?), de représentation du personnel au sein de cette structure, de procédure à mettre en œuvre en cas de transfert d’activités entre établissements, de pouvoirs respectifs du CNG (directeur et médecins) du directeur de l’établissement support et des établissements membres en matière de gestion des carrières, d’affectation et de mutation, ou d’exercice du pouvoir disciplinaire.

 Là encore, la reconnaissance du GHT disposant de la personnalité morale comme centre hospitalier de territoire auxquels serraient rattachés des établissements-site dirigés par des directeurs « délégués » règlerait simplement la plupart des questions et limiterait le risque contentieux.

 Le GHT, dans cette nouvelle conception, permettrait effectivement alors de constituer un véritable pôle ressources humaines centralisé au bénéfice de l’ensemble des établissements membres.

 Maintenant, s’il existe des craintes de constituer des centres hospitaliers de territoire, il convient de maintenir les GHT mais en permettant à leurs membres de les doter de la personnalité morale afin de permettre une mise en œuvre en toute sécurité juridique et au mieux des intérêts des établissements.

 


 

 

Proposition de rédaction

 

 

« Art. L. 6132-1. – I. – Chaque établissement public de santé, sauf dérogation tenant à sa spécificité dans l’offre de soins régionale, est partie à une convention de groupement hospitalier de territoire. Le groupement hospitalier de territoire peut se doter de la personnalité morale de droit public dans les conditions précisées à l’article L. 6134-1».

 


[1] « Les établissements de santé et les établissements médico-sociaux dans lesquels sont traités des malades, les groupements de coopération sanitaire, les groupements de coopération sociale et médico-sociale, les hôpitaux des armées, les installations de chirurgie esthétique satisfaisant aux conditions prévues à l’article L. 6322-1 ainsi que les organismes, établissements et services mentionnés aux articles L. 5126-9 et L. 5126-13 peuvent disposer d’une ou plusieurs pharmacies à usage intérieur dans les conditions prévues au présent chapitre.

L’activité des pharmacies à usage intérieur est limitée à l’usage particulier des malades dans les établissements de santé ou médico-sociaux où elles ont été constituées ou qui appartiennent au groupement de coopération sanitaire, dans les hôpitaux des armées ou dans les installations de chirurgie esthétique.

Toutefois, dans le cadre de recherches biomédicales réalisées sur des produits, substances ou médicaments, la pharmacie à usage intérieur d’un établissement de santé peut être autorisée à titre exceptionnel par le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à distribuer ces produits, substances ou médicaments à d’autres pharmacies à usage intérieur d’établissement de santé où la recherche est réalisée.

Dans les établissements publics de santé, la ou les pharmacies à usage intérieur autorisées dans les conditions définies à l’article L. 5126-7 sont organisées selon les modalités prévues par le chapitre VI du titre IV du livre Ier de la partie VI du présent code. 

[2] Art.L6132-2 II (nouveau) : « La convention constitutive du groupement hospitalier de territoire définit :

« 1° Un projet médical partagé de l’ensemble des établissements parties à la convention de groupement hospitalier de territoire ;

« 2° Les délégations éventuelles d’activités, mentionnées au II de l’article L. 6132-4 ;

« 3° Les transferts éventuels d’activités de soins ou d’équipements de matériels lourds entre établissements parties au groupement ;

« 4° Les modalités de constitution des équipes médicales communes et, le cas échéant, des pôles inter établissements;

« 5° Les modalités d’organisation et de fonctionnement du groupement, notamment :

« a) La désignation de l’établissement support chargé d’assurer, pour le compte des autres établissements parties au groupement, les fonctions et les activités déléguées. Cette désignation doit être approuvée par les conseils de surveillance des établissements du groupement, à la majorité des deux tiers. À défaut, l’établissement support est désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé concernée, après avis d’un comité territorial des élus locaux ;

« b) La composition du comité stratégique chargé de se prononcer sur la mise en œuvre de la convention et du projet médical partagé. Il comprend notamment les directeurs d’établissement, les présidents des commissions médicales d’établissement et les présidents des commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques de l’ensemble des établissements parties au groupement. Le comité stratégique peut mettre en place un bureau restreint auquel il délègue tout ou partie de sa compétence ;

« b bis) (nouveau) Les modalités d’articulation entre les commissions médicales d’établissement pour l’élaboration du projet médical partagé et, le cas échéant, la mise en place d’instances communes ;

« c) Le rôle du comité territorial des élus, chargé d’évaluer les actions mises en œuvre par le groupement pour garantir l’égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité sur l’ensemble du territoire du groupement. À ce titre, il peut émettre des propositions et est informé des suites qui leur sont données. […] »