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L’hôpital dépendant de l’intérim médical

 

Article rédigé le 27 octobre 2021 par Me Stéphanie Houdart et Me Guillaume Champenois

 

L’intérim médical à l’hôpital est un sujet brûlant. Par un communiqué de presse du 21 septembre 2021, le ministère de la Santé a annoncé une application progressive des dispositions de l’article 33 de la loi n° 2021-502 du 26 avril 2021. Cependant, le texte étant adopté et publié, son application ne peut être reporté que par une loi. Comment les comptables publics qui sont responsables du maniement des deniers publics sur leur patrimoine propre vont-ils réagir ? Le ministère a réalisé un travail conséquent pour simplifier et rendre attractif le statut des praticiens à l’hôpital. Ainsi, pas moins de 4 décrets seront prochainement publiés. Cela sera-t-il suffisant ?

 

 

Comme a pu le juger le Conseil d’État comme le conseil constitutionnel, le service public hospitalier ne peut souffrir d’aucune interruption de sorte que la continuité du service public hospitalier doit être la priorité du directeur de l’hôpital public. Mais à quel prix ?

Confrontés depuis de très nombreuses années à des difficultés majeures de recrutement de professionnels médicaux, phénomène amplifié par la crise sanitaire, les directeurs d’établissements publics de santé n’ont souvent pas d’autres choix que de recourir aux services d’agences de travail temporaire afin de garantir la continuité du service public.

Ce faisant, ce recours contraint et devenu massif aux médecins intérimaires a un coût et souvent très élevé pour les finances de l’établissement et installe des inégalités entre professionnels au sein du service public inacceptables.

Les rémunérations accordées aux praticiens recrutés par l’intermédiaire des agences d’intérim obéissent en effet pour partie à la loi du marché (plus il s’agit d’une discipline en forte tension, plus l’établissement est peu attractif en raison par exemple de son isolement, et plus les montants exigés seront élevés et le recours à l’intérim fréquent). Ainsi les médecins intérimaires peuvent gagner en une journée plus d’argent qu’une infirmière en un mois : entre 2200 et 2500 euros nets par tranche de 24 heures (pour un anesthésiste).

 

Un contrôle de l’intérim médical initié depuis plusieurs années

 

Dès 2016, le législateur a souhaité s’attaquer aux dérives en fixant un plafond aux rémunérations versées aux médecins recrutés par l’intermédiaire d’agence de travail temporaire.

Issue de la loi du 26 janvier 2016, l’article L 6146-3 du Code de la santé publique dispose que « le montant journalier des dépenses susceptibles d’être engagées par praticien par un établissement public de santé au titre d’une mission de travail temporaire prévue au premier alinéa du présent article ne peut excéder un plafond dont les conditions de détermination sont fixées par voie réglementaire. »

Aux termes des dispositions combinées de l’article R 6146-26 du code de la santé publique et de l’arrêté du 24 novembre 2017 fixant le montant du plafond des dépenses engagées par un établissement public de santé au titre d’une mission de travail temporaire, la rémunération d’une garde de 24 heures est plafonnée à 1170,04 euros brut.

Pour autant ces dispositions législatives et règlementaires n’ont eu que peu d’impact et ont été très peu appliquées. Nécessité fait loi…

 

La continuité du service public conduit à des injonctions paradoxales et expose les directeurs à une mise en cause de leur responsabilité

 

On relèvera que les directeurs d’hôpitaux qui à ce jour pour assurer le maintien de l’offre de soins et attirer des médecins intérimaires, dépassent le montant plafonné de rémunération engagent incontestablement leur responsabilité personnelle et sont susceptibles de se voir traduit tant devant les juridictions financières que pénales.

A cet égard, la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) considère désormais que l’obligation dans lequel peut se trouver un directeur pour assurer la continuité du service d’enfreindre les règles de rémunération des professionnels si elle peut constituer une circonstance atténuante et conduire à l’atténuation de la peine, elle n’est pas une cause exonératoire de responsabilité.

La situation actuelle positionne les directeurs en première ligne de responsabilité.

Ils se trouvent dans les faits le plus souvent confrontés à une injonction paradoxale : maintenir à tout prix des services sans médecin sous statut pérenne et respecter des réglementations qui si elles sont appliquées à la lettre feront fuir les médecins intérimaires comme d’ailleurs les contractuels.

 

L’adoption dans la Loi RIST de dispositions pour mettre un terme définitif aux abus

 

Pour mettre définitivement fin à ce que les pouvoirs publics ont qualifié de mercenariat médical, l’article 33 de la loi n° 2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, codifié à l’article L 6146-4 du code de la santé publique, prévoit un dispositif qui se voudrait imparable.

« Le directeur général de l’agence régionale de santé, lorsqu’il est informé par le comptable public de l’irrégularité d’actes juridiques conclus par un établissement public de santé avec une entreprise de travail temporaire, en application de l’article L. 6146-3, ou avec un praticien pour la réalisation de vacations, en application du 2° de l’article L. 6152-1, défère ces actes au tribunal administratif compétent. Il en avise alors sans délai le directeur de l’établissement concerné ainsi que le comptable public. « Lorsque le comptable public constate, lors du contrôle qu’il exerce sur la rémunération du praticien ou sur la rémunération facturée par l’entreprise de travail temporaire, que leur montant excède les plafonds réglementaires, il procède au rejet du paiement des rémunérations irrégulières. Dans ce cas, il en informe le directeur de l’établissement public de santé, qui procède à la régularisation de ces dernières dans les conditions fixées par la réglementation. »

Le mécanisme est à double détente : le premier repose sur le contrôle de légalité opéré par le comptable public sur les contrats eux-mêmes conclus avec une entreprise de travail temporaire ou encore des praticiens contractuels. Dès que le comptable public constate des irrégularités, il en informe le Directeur général de l’ARS et celui-ci en compétence liée est tenu de déférer l’acte juridique litigieux devant le Tribunal administratif.

Le contrôle que le législateur demande au comptable public d’exercer étend singulièrement son champ de responsabilité.

En effet, et le Conseil d’Etat n’’hésite pas à le rappeler régulièrement lorsque les juridictions financières l’oublient le contrôle du comptable patent ne porte pas sur la légalité des actes.

Dans un arrêt récent (CE 13 novembre 2019, n°421299), la haute juridiction a ainsi rappelé :

« Il résulte des dispositions citées au point précédent que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications. A ce titre, il leur revient d’apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée. Pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l’ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable lorsqu’elle existe, ou à défaut, l’ensemble des pièces leur permettant d’opérer les contrôles qui leur incombent, leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d’une part, complètes et précises, d’autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l’objet de la dépense telle qu’elle a été ordonnancée. Si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l’origine de la créance et s’il leur appartient alors d’en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n’ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité. Enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu’à ce que l’ordonnateur leur ait produit les justifications nécessaires. »

 

Quant au directeur général de l’ARS s’il dispose déjà du pouvoir de déférer au tribunal administratif des délibérations du Conseil de surveillance et des décisions du directeur prises en concertation avec le directoire qu’il estime illégales, il serait amené là à intervenir au cœur de la fonction du chef d’établissement.

Le second mécanisme a trait au paiement :

Lorsque le comptable public constate, lors du contrôle qu’il exerce sur la rémunération du praticien ou sur la rémunération facturée par l’entreprise de travail temporaire, que leur montant excède les plafonds réglementaires, il procède au rejet du paiement des rémunérations. Le directeur de l’établissement aussitôt informé est tenu de régulariser les rémunérations.

L’article 33 exige en fait du comptable public qu’il apprécie la régularité de fond d’une décision de l’ordonnateur…

Le comptable public étant responsable sur ses deniers propres de toute dépense versée irrégulièrement, l’efficacité du dispositif est ainsi garantie.

C’est justement là que le bât blesse car les hospitaliers ont compris qu’une fois l’article 33 appliqué et si d’autres mesures fortes et immédiates ne sont pas prises pour renforcer l’attractivité des carrières à l’hôpital, ce n’est pas un mais un nombre incalculable de services qui vont se trouver dépourvu de médecins.

 

Un risque prégnant de fermeture de très nombreux services

 

Aussi, dès juin 2021 de nombreux directeurs d’établissements ont alerté les pouvoirs publics et les élus de la République sur les conséquences de l’entrée en vigueur de ce dispositif à compter du 28 octobre.

Comme s’en est fait l’écho le journal Le Monde dans un article paru le 22 octobre et Libération dans un article du 23 octobre 2021, un cri d’alarme a retenti sur la prévisible fermeture de nombreux services hospitaliers, ici une maternité, ici un service d’urgence, etc…

Ces « mercenaires », se « révèlent » indispensables pour assurer la continuité du service public hospitalier au point que le Premier Ministre a invité le Ministre des solidarités et de la santé à trouver une solution rapidement.

 

Un communiqué de presse qui ne peut avoir pour effet de reporter l’application de la loi

 

C’est ainsi que par un communiqué de presse du 21 octobre 2021, le Ministère des solidarités et de la santé a annoncé « une application progressive des dispositions de l’article 33 de la loi n° 2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification prévoyant un contrôle du comptable public des rémunérations versées aux médecins intérimaires ».

La première réflexion qui vient aux juristes que nous sommes est que le report de l’entrée en vigueur d’un texte législatif ne peut découler que d’un texte législatif et rien d’autre.

De fait, nonobstant le communiqué de presse du Ministère, l’article L 6146-4 du code de la santé publique entrera bien en vigueur à la date prévue, soit au 28 octobre 2021.

Aussi que peut évoquer « l’application progressive » dont il est fait état ?

Des instructions qui seront données aux comptables publics et aux ARS pour mettre la pédale douce et chercher avec les direction hospitalières le moyen de régulariser au fur et à mesure les situations litigieuses° ?

Pour autant le texte existe et est entrée en vigueur.

Par conséquent, les comptables publics auxquels échoient ces nouvelles responsabilités vont-ils accepter de fermer les yeux et pour combien de temps ?

Cruel dilemme pour les comptables publics.

Et cruelle leçon pour le Ministère lequel n’a pas ménagé ses efforts ces derniers mois pour finaliser une réforme ambitieuse du statut des praticiens exerçant à l’hôpital public afin d’améliorer son attractivité et tenter justement de desserrer l’étau des mercenaires

 

Dans l’attente de la publication des décrets réformant le statut des praticiens

 

Ainsi, 4 décrets portant réforme des statuts médicaux seront prochainement publiés au journal officiel pour une entrée en vigueur prévue au début de l’année 2022. Ces textes règlementaires représentent un travail très conséquent de clarification du statut des praticiens (statut unique du PH et statut unique du praticien contractuel).

Auront-ils les effets escomptés ?

Espérons le car à défaut, à côté des directeurs d’hôpitaux, seront en première ligne les comptables publics et les Directeurs généraux des ARS ; les responsabilités personnelles ne se soustrayant jamais mais s’additionnant.

Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.

Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :

- contrats d’exercice, de recherche,

- tarification à l’activité,

- recouvrement de créances,

- restructuration de la dette, financements désintermédiés,

- emprunts toxiques

Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.

Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).

Guillaume CHAMPENOIS est associé et responsable du pôle social – ressources humaines au sein du Cabinet.

Il bénéficie de plus de 16 années d’expérience dans les activités de conseil et de représentation en justice en droit de la fonction publique et droit du statut des praticiens hospitaliers.

Expert reconnu et formateur sur les problématiques de gestion et de conduite du CHSCT à l’hôpital, il conseille les directeurs d’hôpitaux au quotidien sur l’ensemble des problématiques statutaires, juridiques et de management auxquels ses clients sont confrontés chaque jour.

Il intervient également en droit du travail auprès d’employeurs de droit privé (fusion acquisition, transfert d’activité, conseil juridique sur des opérations complexes, gestion des situations de crise, contentieux sur l’ensemble des problématiques sociales auxquelles sont confrontés les employeurs tant individuelles que collectives).