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La mise en régie consiste à exécuter tout ou partie du marché avec le matériel et le personnel du titulaire, à ses frais et risques (CCAG-Travaux, art 49-1). Elle n’est expressément prévue que pour les marchés de travaux et les marchés de FCS pour des prestations qui, par leur nature, ne peuvent souffrir aucun retard. Il semble cependant qu’elle soit possible pour tous types de contrat. En effet, les pouvoirs coercitifs "sont inhérents à tout contrat passé pour l’exécution d’un service public" (CE 6 mai 1985, OPHLM d’Avignon c/ M. Guichgard, RDP 1985, p. 1706). La sanction de mise en régie n’a pas pour effet de mettre fin aux relations contractuelles entre le maître de l’ouvrage et son cocontractant (CE 23 janvier 1981, Commune d’Aunay-sur-Odon).

Un arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 8 janvier 2013, N° 11BX01796) qui en soi n'appelle pas de commentaire, fournit l'occasion de rappeler tout l'intérêt d'une mise en régie du prestataire défaillant.

Au cas d'espèce, le centre hospitalier de Rochefort-sur-Mer avait confié à un groupement constitué par la société Eurelec Aquitaine, mandataire, et la société Sogedex le lot n°19 " électricité courants forts – groupe électrogène " du programme du nouvel hôpital de Rochefort-sur-Mer d’un montant de 4 985 510,10 euros hors taxes. Un ordre de service d’engager les travaux avait été adressé le 19 juillet 2006, le délai d’exécution des travaux prévu à l’acte d’engagement étant de trente mois y compris la préparation du chantier. Des retards ont été enregistrés par rapport au calendrier d’exécution, notamment en ce qui concerne le lot électricité. A partir du mois de mai 2008, la société Eurelec et le maître d’oeuvre du projet ont procédé à des échanges de courriers, par lesquels ils se renvoyaient la responsabilité des difficultés rencontrées pour la poursuite des travaux du lot électricité. C'est alors que le centre hospitalier a adressé un ordre de service le 22 juillet 2008 à la société Eurelec l’invitant à produire, dans des délais précis, une liste de documents, notamment un bilan de puissance actualisé pour le 1er août 2008 ainsi que des schémas de puissance pour le 22 août 2008. Le bilan de puissance n’ayant pas été produit dans les délais impartis, sa réalisation a été confiée au maître d’oeuvre dans le cadre d’une mise en régie et son coût, 8 400 euros, ainsi que des pénalités de retard pour un montant de 83 400 euros ont été retenus sur le règlement des travaux dû à la société. Enfin, par décision du 22 décembre 2008, le directeur du centre hospitalier a prononcé la résiliation du marché aux frais et risques du groupement. La société Eurelec a alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d’une première demande tendant à la condamnation du centre hospitalier à lui verser les sommes qu’elle estimait avoir été indûment retenues, et d’une seconde demande tendant à la condamnation du centre hospitalier à l’indemniser, à hauteur de 5 858 618 euros toutes taxes comprises, des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de la résiliation du marché dont elle était titulaire.Par un jugement du 26 mai 2011, le tribunal administratif, après avoir joint ces deux demandes, les a rejetées. Le mandataire liquidateur de la société Eurelec Aquitaine, devenue GE d’Aquitaine, qui a fait l’objet d’une procédure de liquidation amiable, a alors interjeté appel de ce jugement.

La CAA de Bordeaux confirme la décision de première instance et condamne la société GE d’Aquitaine à verser la somme de 1 500 euros au centre hospitalier de Rochefort-sur-Mer en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Cette sanction de la défaillance d'un prestataire n'est donc pas tombée en désuétude comme certains ont pu le penser. L'article 49 du CCAG Travaux est là pour en témoigner.

La mise en régie doit cependant respecter un certain formalisme ainsi que le rappelle une abondante jurisprudence, notamment :

–        La mise en régie est dépourvue de fondement lorsque le maître d’œuvre s’est abstenu de notifier l’ordre de service prescrivant la date fixée pour le commencement des travaux comme l’acte d’engagement le prévoyait, dans la mesure où les délais contractuels de livraison n’ont pu courir (CAA Lyon, n°05LY00461, 18 juillet 2007, Commune de Tignes) ;
–        La décision de mise en régie du marché doit être précédée d’une mise en demeure adressée au titulaire du marché par laquelle l’Administration enjoint au titulaire du marché d’exécuter le contrat dans un délai déterminé, et ce même si aucune clause ne le prévoit (CE 28 septembre 1984, Sté STRICKBICK) ;
–        La mise en demeure préalable doit faire état des manquements précis de l’entrepreneur et de la sanction encourue (CE 26 novembre 1993, SA du nouveau port de Saint-Jean-Cap-Ferrat: no 85161) et fixer un délai au cocontractant pour qu’il se conforme à ses obligations. Le délai doit être raisonnable (15 jours dans le CCAG-Travaux) ;
–        la décision de mise en régie aux frais et risques de l’entreprise qui n’a pas été prise dans le respect du délai minimum de quinze jours à compter de la mise en demeure d’exécuter le marché, prévu à l’article 49-1 du CCAG, est illégale, dès lors que la collectivité publique ne justifie pas que le titulaire du marché ait accepté une réduction de ce délai (CE, n°278770, 30 janvier 2008, Office public d’aménagement et de construction de Clermont-Ferrand c/ Entreprise Marie) ;
–        La décision doit obligatoirement être signée par la personne compétente pour conclure le marché (CE 25 novembre 1994, Société Mastelloto: no 85341 85647) ;
–        La mise en œuvre doit être précédée, de manière contradictoire, à la constatation des travaux à exécuter, des approvisionnements existants ainsi qu’à l’inventaire descriptif du matériel de l’entrepreneur et à la remise à celui-ci de la partie de ce matériel qui n’est pas utile à l’achèvement des travaux poursuivis en régie (CAA Nancy, 6 mai 2004, n° 98NC00713, Cne de Henriville c/ Entreprise Alfred Koenig) ;
–        Le titulaire du marché n’a droit à aucune indemnisation (CE 20 janvier 1988, Société d’étude et de réalisation des applications du froid: Rec. p. 29) ;
–        L’Administration peut demander au juge administratif le versement de dommages-intérêts alors même qu’elle a exercé son pouvoir de mise en régie (CE 31 mai 1907, Deplanque: Rec. p. 513) ;
–        Les fautes commises par le maître d’ouvrage dans l’exécution de la régie ne peuvent pas êtremises à la charge de l’entrepreneur (CE 28 avril 1978, Société des Ets Lucius).

Un jugement du 4 avril 2012 devenu définitif du tribunal administratif de Paris a rappelé récemment les conditions dans lesquelles la mise en régie aux frais et risques de l’entrepreneur peut être effectuée.

En l’espèce :
–        Le ministère de la défense n'avait pas notifié les marchés passés avec les entreprises de substitution à la société SERTBA, titulaire du contrat ;
–        Il avait interdit l’accès au chantier aux ouvriers de la Société ;
–        en violation des dispositions de l’article 49.5 du CCAG, il avait de surcroît interdit à la société SERTBA de suivre l’exécution des travaux réalisés à ses frais puisque l’interdiction d’accès au chantier n’avait pas été levée.
–        l’état des lieux prétendument contradictoire dressé le 4 février 2004 n’avait pas été notifié à la Société SERTBA.

Le tribunal a donc considéré que:"la SOCIETE SERTBA soutient que les cinq marchés de substitution conclus par le ministre de la défense ne lui ont pas été notifiés et qu’interdite de chantier, elle n’a pas été mise a même de suivre l’exécution de ces marchés réalisés à ses frais , que, d’une part, si le ministre soutient que lesdits marchés ont été adressés à la société requérante, il n’établit pas à quelle date cette notification aurait été faite et n’est donc pas en mesure de démontrer qu’elle est intervenue avant le début des travaux; que, d’autre part, il résulte de l’instruction et notamment de l’ordre de service n° 263 du 13 janvier 2004 que l’accès au site de la cité de l’Air a été effectivement interdit à la SOCIETE SERTBA à compter du 22 décembre 2003 ; que le ministre n’établit ni même n’allègue avoir permis, dans ces conditions, à la société requérante de suivre l’exécution des travaux réalisés par les entreprises de substitution; que, dès lors, la SOCIETE SERTBA est fondée à soutenir qu’elle n’a pas été mise à même d’user du droit qu’elle avait de suivre, en vue de sauvegarder ses intérêts, les opérations exécutées à ses frais et risques par les nouveaux entrepreneurs; ».

Par suite, la société SERBTA« ne saurait être tenue de supporter les conséquences onéreuses qui en ont résulté ».

Tant pis pour le ministère de la défense qui n'avait qu'à respecter les procédures…