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nouveau code de la commande publique – jusque ou va la possibilite de modifier ou de resilier le marche
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« Les prérogatives exorbitantes du droit commun que détient l’Administration ont deux sources : les unes proviennent simplement de ce que les contrats administratifs comportent des clauses exorbitantes du droit commun inscrits dans leur texte même (…). En ce cas, les prérogatives de l’Administration ne sont que la mise en œuvre du contrat lui-même (…). En revanche – et c’est ici que le caractère exorbitant des prérogatives ressort pleinement – certaines d’entre elles ne sont pas d’origine contractuelle. Sans doute peuvent-elles être inscrites dans le contrat, mais même si elles n’étaient pas stipulées, elles n’existeraient pas moins. »

Soixante ans après ces écrits du Doyen Georges Vedel dans l’édition 1959 de son manuel de Droit administratif, à l’orée de l’entrée en vigueur du nouveau code de la commande publique d’ici la fin de la l’année, la question demeure particulièrement intéressante.

On sait depuis fort longtemps que les personnes publiques possèdent dans les contrats administratifs, et même dans le silence de ceux-ci, une prérogative de modification unilatérale (Conseil d’Etat, 10 janvier 1902, Compagnie nouvelle de gaz de Déville-lès-Rouen, rec. 5). On connait aussi la contrepartie de cette prérogative qui consiste dans le droit pour le cocontractant à l’équilibre financier du contrat. Ceci implique que les surcoûts engendrés par la modification unilatérale doivent être intégralement compensés par la personne publique (CE Sect. 27 octobre 1978, Ville de Saint-Malo, rec. 401). Le même principe s’applique, et à plus forte raison, s’agissant de la résiliation unilatérale du contrat. Très dissuasif en pratique…

Comme l’écrit le Doyen Vedel, ces prérogatives de la puissance publique existent en principe « même si elles n’étaient pas stipulées… ». Cependant, le droit de la commande publique encadre strictement ces éventuelles modifications et résiliations unilatérales, non simplement pour garantir les droits du cocontractant, mais aussi pour respecter le principe d’égalité : une modification unilatérale ou par avenant peut s’analyser en un nouveau marché, passé en dehors des règles de publicité et de mise en concurrence applicables. Les limites sont ici évidentes et tendent à empêcher de contourner ces règles.

Néanmoins, le projet de code ajoute aux possibilités antérieures de nouveaux articles (présentés dans le projet actuel comme des créations d’articles), qui consacrent ce régime, dégagé par la jurisprudence, de modification ou de résiliation pour cause d’intérêt général en contrepartie d’un maintien de l’équilibre financier du contrat.

A côté des causes classiques de modification, la modification ou la résiliation pour cause d’intérêt général seraient donc, à l’avenir, codifiées. L’articulation entre les deux pourra être délicate en pratique.

Reprise des dispositions antérieures relatives aux modifications

Ordonnance de 2015. L’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics prévoyait que « Les conditions dans lesquelles un marché public peut être modifié en cours d’exécution sont fixées par voie réglementaire. Ces modifications ne peuvent changer la nature globale du marché public. Lorsque l’exécution du marché public ne peut être poursuivie sans une modification contraire aux dispositions prévues par la présente ordonnance, le marché public peut être résilié par l’acheteur. »

Décret de 2016. Le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics précisait dans son article 139 les cas dans lesquels une modification était possible. En synthèse : « 1° Lorsque les modifications, quel qu’en soit leur montant, ont été prévues dans les documents contractuels initiaux sous la forme de clauses de réexamen (…) ; 2° Lorsque, sous réserve de la limite fixée au I de l’article 140, des travaux, fournitures ou services supplémentaires, quel qu’en soit leur montant, sont devenus nécessaires et ne figuraient pas dans le marché public initial (…) 3° Lorsque, sous réserve de la limite fixée au I de l’article 140, la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir ; 4° Lorsqu’un nouveau titulaire remplace le titulaire initial du marché public (…) ; 5° Lorsque les modifications, quel qu’en soit leur montant, ne sont pas substantielles. Une modification est considérée comme substantielle lorsqu’elle change la nature globale du marché public (…) ; 6° Lorsque le montant de la modification est inférieur aux seuils européens publiés au Journal officiel de la République française et à 10 % du montant du marché initial pour les marchés publics de services et de fournitures ou à 15 % du montant du marché initial pour les marchés publics de travaux, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si les conditions prévues au 5° sont remplies. »

Projet de nouveau code. Le projet de nouveau code de la commande publique, en l’état, prévoit en son article L. 2194-2 une reprise de ces cas de modification possibles :

« Un marché public peut être modifié par voie conventionnelle ou lorsqu’il s’agit d’un contrat administratif, par l’acheteur unilatéralement, sans nouvelle procédure de mise en concurrence dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat, lorsque : 1° les modifications ont été prévues dans les documents contractuels initiaux ; 2° des travaux, fournitures ou services supplémentaires sont devenus nécessaires ; 3° les modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues ; 4° un nouveau titulaire se substitue au titulaire initial du marché public ; 5° les modifications ne sont pas substantielles ; 6° le montant des modifications est inférieur aux seuils européens qui figurent dans l’avis annexé au présent code. Ces modifications ne peuvent changer la nature globale du marché public. »

Le projet de partie réglementaire du nouveau prévoit, quant à lui, article par article les cas d’ouverture d’une modification unilatérale (articles R. 2194-1 à R. 2194-7 ; l’article R. 2194-1 précisant, non sans une lourdeur superflue, que les articles R. 2194-2 à R. 2194-7 règlent les cas de modifications unilatérales…).

Le projet d’article R. 2194-2 codifie la possibilité de prévoir contractuellement des évolutions ultérieures. L’article R. 2194-3 ouvre la possibilité de modifier le marché lorsque des travaux ont été rendus nécessaires. L’article R. 2194-4, dédié aux sujétions imprévues, prévoit que « Le marché public peut être modifié lorsque, sous réserve de la limite fixée à l’article R. 2194-8, la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir. » L’article R. 2194-5 consacre la possibilité d’une modification en cas de substitution d’un nouveau titulaire du marché, pourvu en ce cas qu’il est été prévu une clause de réexamen dans le contrat et à la condition que cette substitution s’exerce « dans le cas d’une cession du marché public, à la suite d’une opération de restructuration du titulaire initial, à condition que cette cession n’entraîne pas d’autres modifications substantielles et ne soit pas effectuée dans le but de soustraire le marché public aux obligations de publicité et de mise en concurrence. » L’article R. 2194-7 prévoit qu’une modification est possible lorsqu’elle porte sur « un faible montant » et, enfin, l’article R. 2194-6 autorise les modifications dites « non substantielles ».

Interdiction des modifications substantielles. Il s’agit d’un principe issu initialement de la jurisprudence européenne (CJUE, 19 juin 2008, Pressetext Nachrichtenagentur GmbH, aff. C-454/06). Ces modifications non substantielles font l’objet d’une définition négative, l’article, comme le texte de 2016, donnant une liste (non exhaustive comme le souligne l’emploi d’un prudent « notamment ») des modifications qui, à l’inverse, sont considérées comme substantielles. Est considérée comme telle la modification lorsqu’elle :

« 1° Elle introduit des conditions qui, si elles avaient été incluses dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage d’opérateurs économiques ou permis l’admission d’autres opérateurs économiques ou permis le choix d’une offre autre que celle retenue ;

2° Elle modifie l’équilibre économique du marché public en faveur du titulaire d’une manière qui n’était pas prévue dans le marché public initial ;

3° Elle modifie considérablement l’objet du marché public ;

4° Elle a pour effet de remplacer le titulaire initial par un nouveau titulaire en dehors des hypothèses prévues à l’article R. 2194-5. »

Les termes auraient pu être davantage précisés, l’emploi au 3° du « considérablement » étant topique d’un standard qu’il appartiendra à la jurisprudence de déterminer.

Création de nouveaux articles pour la modification et la résiliation pour cause d’intérêt général

A côté de ces reprises, le projet de code prévoit en outre la création d’articles consacrant, notamment, la faculté de modification ou de résiliation unilatérales du marché public (marché public… « de droit public » précise le texte, visant ainsi, dans une formulation aussi claire que lourde, les contrats administratifs).

Reprenant une jurisprudence constante (CE, Ass. 2 mai 1958, « Distillerie de Magnac-Laval, rec. 246), le projet d’article L. 2195-3 prévoit désormais que « Lorsque marché public est un contrat administratif, l’acheteur peut le résilier pour un motif d’intérêt général. »

L’article L. 3136-2 codifie la même possibilité s’agissant des concessions (« Lorsque le contrat de concession est un contrat administratif, l’autorité concédante peut le résilier pour un motif d’intérêt général. »)

S’agissant, non plus de la résiliation unilatérale mais de la modification unilatérale du contrat, le projet de code prévoit deux articles, L. 2194-2, pour les marchés publics, et L. 3136-2, pour les concessions, qui chacun pose le principe du droit au maintien de l’équilibre financier du contrat. Reprenant là aussi une jurisprudence constante (CE 27 octobre 1978, Ville de Saint-Malo, n° 05722), le texte prévoit ainsi une garantie évidente pour le cocontractant.

Bien évidemment, le motif d’intérêt général ne peut faire l’objet d’une définition précise et a priori des cas concrets. Il reviendra, là aussi et comme il le fait déjà (CE sect. 21 mars 2011, Commune de Béziers (dit Béziers II), n° 304806), au juge administratif d’en contrôler le caractère impérieux.