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Référé-suspension confirmez votre demande de fond
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RÉFÉRÉ-SUSPENSION : CONFIRMEZ LE MAINTIEN DE VOTRE DEMANDE AU FOND

Article rédigé le 23 septembre 2019 par Me Xavier Laurent

L’engorgement des tribunaux en France est une réalité à laquelle tous les justiciables sont confrontés. Pouvant être assimilé à un déni de justice, un délai de jugement anormalement long pose un véritable problème démocratique. C’est dans le sens d’une bonne administration de la justice que le législateur a entendu faire le tri dans certaines procédures au fond faisant directement suite à des procédures de référé par une technique couperet : le désistement d’office.

 

Contrairement au procès civil, dont le déroulement dépend assez largement des bonnes diligences des parties, la procédure devant le juge administratif est véritablement dirigée par celui-ci : mise en demeure de conclure, clôture rétroactive, moyens d’ordre public soulevés d’office, etc…

Malgré cette mainmise sur les différents aspects procéduraux, le juge administratif est tout autant confronté à l’engorgement de son rôle que les autres juridictions.

 

UNE TENTATIVE BIENVENUE DE RÉDUIRE LE NOMBRE DE REQUÊTES SOUMISES À L’EXAMEN DU JUGE

 

Afin de tenter de réduire le nombre d’affaires soumises au juge administratif et ainsi lutter contre un allongement des délais de jugement, le législateur a mis en place un dispositif novateur mais également couperet : le désistement d’office en cas d’absence de confirmation du maintien des conclusions d’annulation au fond par le requérant en référé-suspension.

 

Le  décret n°2018-617 du 17 juillet 2018a ainsi créé l’article R. 612-5-2 du code de justice administrative, lequel pose désormais la règle selon laquelle :

 

« En cas de rejet d’une demande de suspension présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 au motif qu’il n’est pas fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu’un pourvoi en cassation est exercé contre l’ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d’annulation ou de réformation dans un délai d’un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s’être désisté.

Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l’ordonnance de rejet mentionne qu’à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d’un mois, le requérant est réputé s’être désisté »

 

Pour bien comprendre ce dispositif, il convient de rappeler qu’un requérant introduisant une requête en référé-suspension, c’est-à-dire une demande de suspension d’une décision administrative en urgence, doit également présenter une demande au fond d’annulation de cette décision ; l’obligation procédurale de solliciter l’annulation au fond simultanément à la demande de suspension en urgence est posée par l’article L. 521-1 du CJA[1]à peine d’irrecevabilité de la demande en référé.

 

Encore faut-il préciser que la demande de suspension en référé doit être fondée sur deux conditions cumulatives pour être accueillie : le requérant doit faire la démonstration de l’urgence à statuer sur sa demande de suspension (par exemple en faisant état des conséquences financières dommageables de la décision sur sa situation personnelle) et doit soumettre au juge des référé au moins un argument de droit permettant de penser qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision.

 

L’article R. 612-5-2 du CJA, applicable aux instances introduites à compter du 1eroctobre 2018, prévoit désormais que, lorsque le juge des référés rejette la demande de suspension en référé en considérant qu’il n’existe aucun doute sérieux sur la légalité de la décision, il appartient au requérant de confirmer le maintien de sa demande d’annulation au fond dans le délai d’un mois suivant la notification de l’ordonnance de rejet.

 

Le dispositif apparaît parfaitement justifié par la pratique : la requête en référé et la requête au fond, par leur simultanéité, comportent généralement les mêmes arguments de droit pour justifier de l’illégalité (ou du doute sérieux sur la légalité) de la décision ; si le juge des référés rejette tous les arguments du requérant, il est très probable que le juge du fond statue dans le même sens.

 

Autrement dit, si la requête en référé ne contient aucun argument sérieux permettant de douter de la légalité de la décision administrative, la requête au fond a de grandes chances de ne pas en contenir également.

 

C’est la raison pour laquelle le requérant en référé qui a vu sa demande de suspension rejetée pour défaut de « moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » fait face à un risque non négligeable que sa requête au fond soit rejetée comme infondée.

 

En quelque sorte, le rejet de la demande en référé donne un indice au requérant sur les faibles chances de succès de son recours au fond.

 

Dans ce contexte, les dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA contraignent le requérant en référé à confirmer expressément sa demande d’annulation au fond dans le délai d’un mois afin de ne pas encombrer la juridiction, alors que ladite demande au fond a de sérieuses chances d’être rejetée.

 

Le défaut de confirmation du maintien de la requête au fond dans le délai imparti a une conséquence pour le moins définitive : le juge administratif prononce le désistement d’office du requérant.

 

 

DES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE EFFECTIVE DU DISPOSITIF SOUMISES AUX BONNES DILIGENCES DU GREFFE

 

Aucune jurisprudence publiée ne s’était encore prononcée sur l’application de ce dispositif et sur les conditions de régularité de l’ordonnance donnant acte du désistement, laissant les justiciables dans une incertitude qu’il convenait de lever.

 

C’est désormais chose faite par le Conseil d’Etat, qui est venu préciser récemment les conditions d’application de cette disposition dans une décision du 24 juillet 2019 n°429741.

 

Dans cette affaire, le requérant avait sollicité auprès du ministre de l’intérieur l’abrogation d’une disposition décrétale (art. D. 211-17 du code de la sécurité intérieure) ; face au refus du ministre, le juge des référés du Conseil d’Etat (seule juridiction compétente en matière de demande d’annulation de décret et donc de la demande de suspension concomitante) avait été saisi d’une demande de suspension de l’exécution de ce refus, outre une demande d’annulation.

 

Le juge des référés avait rejeté la requête aux fins de suspension au motif qu’il n’existait aucun doute sérieux sur la légalité de la décision.

 

Dans le cadre de la procédure au fond, le ministre de l’intérieur faisait valoir que, faute pour le requérant d’avoir confirmé expressément le maintien de sa demande d’annulation, il convenait de donner acte de son désistement d’office, sur le fondement des dispositions de l’article R. 612-5-2 du CJA.

 

Rappelant ces dispositions, et notamment leur 2èmealinéa (« Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l’ordonnance de rejet mentionne qu’à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d’un mois, le requérant est réputé s’être désisté »), le Conseil d’État considère que :

 

« Il en ressort qu’il ne peut être donné acte du désistement d’office du requérant que si la notification de l’ordonnance de référé qui lui a été adressée comporte la mention prévue au second alinéa de cet article »

 

La Haute Juridiction fait donc une lecture littérale – et protectrice des intérêts des requérants– des dispositions applicables en considérant que c’est à la seule condition que la lettre de notification de l’ordonnance de référé rejetant la demande du requérant mentionne l’obligation de confirmer le recours au fond dans le délai d’un mois que le désistement d’office peut être prononcé.

 

En l’espèce, il relève donc que :

 

« les courriers de notification de cette ordonnance aux requérants ne mentionnent pas qu’à défaut de confirmation du maintien de leur requête en excès de pouvoir dans le délai d’un mois, ils seraient réputés s’être désistés. Il s’ensuit que le ministre de l’intérieur n’est pas fondé à demander qu’il soit donné acte du désistement d’office des requérants en application de ces dispositions »

 

Il appartient donc aux greffes des juridictions de s’assurer de la complétude de leurs lettres de notification pour donner un plein effet utile à cette disposition qui, sans cela, ne permettra pas un véritable désengorgement des juridictions.

 

Lorsque l’habitude sera prise par les juridictions, les requérants (et leurs avocats) devront faire preuve d’une attention toute particulière à la confirmation de leur demande d’annulation : faute d’y déférer, la « sanction » procédurale sera définitive.

 

Il ne reste qu’à espérer que ce dispositif permettra un véritable allègement du nombre de procédures soumises à l’examen du juge administratif, notamment en faisant prendre conscience aux requérants en référé que les chances de succès au fond sont minimes lorsque la demande de suspension a été rejetée faute de démonstration d’un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

 

 


 

[1]Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision.

Avocat depuis 2014, Xavier LAURENT a initialement exercé au sein d’un Cabinet parisien une activité plaidante et de conseil auprès d’entreprises sociales pour l’habitat tant publiques que privées (OPHLM, SA d’HLM), notamment dans le cadre de contentieux immobiliers (droit locatif, copropriété, construction, urbanisme).

Fort d’une solide formation en droit public et désireux de donner une nouvelle orientation à sa carrière, Xavier LAURENT a par la suite intégré un Cabinet spécialisé en droit de la fonction publique, au sein duquel il a exercé en conseil et contentieux pour de nombreuses collectivités territoriales (contentieux du harcèlement moral et des sanctions disciplinaires, conseil en gestion RH, marchés publics, etc…).

C’est en 2018 qu’il a rejoint le pôle social du Cabinet HOUDART ET ASSOCIE.

Au-delà de ses compétences en droit de la fonction publique, Xavier Laurent a eu l’occasion de traiter des dossiers en droits du travail et de la sécurité sociale, lui donnant une vision transversale et une capacité d’analyse complète sur toutes les questions intéressant la gestion des ressources humaines des acteurs du monde de la santé (salariés relevant du code du travail, agents statutaires et contractuels).