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L’ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier dernier rétablit la possibilité pour les praticiens hospitaliers temps plein ayant une activité libérale à l’hôpital public de pratiquer des dépassements d’honoraires, ce que la loi du 26 janvier 2016 avait interdit. Cette nouvelle disposition législative qui créé une différence entre les établissements publics assurant le service public hospitalier et les établissements privés qui pourraient souhaiter l’assurer risque de créer une confusion et surtout la sanction du Conseil constitutionnel.

 

Cette ordonnance a été publiée sur la base de l’article 225 de la loi de modernisation de notre système de santé qui habilitait le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi visant à assurer la cohérence des textes au regard des dispositions de cette loi et à abroger les dispositions devenues sans objet.

 

Le rapport au Président de la République présentant cette ordonnance indique que l’une de ses dispositions « explicite l’articulation entre le principe de l’interdiction de dépassements d’honoraires au sein du service public hospitalier et le maintien d’une dérogation possible dans le cadre de l’activité libérale des praticiens statutaires temps plein ».

 

La loi de janvier 2016 avait interdit aux PH ayant une activité libérale à l’hôpital de pratiquer des dépassements d’honoraires 

 

En définissant, dans la loi de modernisation de notre système de santé, le service public hospitalier comme un bloc d’obligations fondamentales auxquelles devaient satisfaire les établissements assurant le service public hospitalier, quel que soit leur statut, mais aussi “les professionnels de santé qui exercent en leur sein“, le législateur avait notamment précisé que ces établissements, ainsi que leurs professionnels, devraient notamment, garantir à toute personne qui recourt à leurs services, l’absence de facturation de dépassements d’honoraires (article L. 6122-2, I, 4° du code de la santé publique).

 

Le projet de loi santé, déposé à l’Assemblée nationale en octobre 2014, comportait une disposition tendant à prévoir une dérogation à cette obligation pour les établissements publics de santé permettant ainsi aux praticiens hospitaliers concernés de pouvoir continuer de pratiquer ces dépassements.

 

Dès le dépôt de ce texte, les représentants des cliniques privées avaient dénoncé l’impossibilité pour leurs établissements d’être reconnus comme exerçant le service public hospitalier, de nombreux médecins, en secteur 2, y pratiquant la liberté d’honoraires et avaient pointé l’inégalité de traitement entre les établissements de santé puisque les praticiens hospitaliers ayant une activité libérale à l’hôpital pouvaient donc continuer de pratiquer ces dépassements.

 

Lors de l’examen du texte en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale cette dérogation pour les établissements publics a été supprimée au motif que “le volume d’honoraires en cause est limité à 1,8 % de l’ensemble de la masse des honoraires perçus dans l’ensemble du secteur libéral”. (Rapport n° 2673, Assemblée nationale, mars 2015, p. 524)

 

La disposition législative ainsi adoptée avait fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel de la part de soixante députés et de soixante sénateurs qui considéraient qu’elle méconnaissait le principe d’égalité devant la loi dès lors qu’elle ne s’imposerait pas aux établissements publics de santé.

 

Le Conseil constitutionnel avait écarté ce grief en considérant que “les dispositions du 4° du paragraphe I de l’article L. 6112-2 du code de la santé publique qui prévoient l’absence de facturation de dépassements des tarifs de remboursement s’appliquent identiquement à tous les établissements de santé publics ou privés assurant le service public hospitalier et aux professionnels de santé exerçant en leur sein”.

 

Ainsi, le texte promulgué en janvier était constitutionnel puisqu’il ne permettait pas les dépassements d’honoraires dans les établissements de santé assurant le service public hospitalier, quel que soit par ailleurs le statut juridique de l’établissement.

 

La dérogation revenant sur les dispositions de la loi de janvier 2016 créé de la confusion et encourt le risque d’inconstitutionnalité

 

En réintroduisant la dérogation par ordonnance, non seulement le gouvernement créé une différence de traitement entre les établissements publics et les établissements privés, mais, de plus, il ne se conforme pas à l’habilitation qu’il a reçu du Parlement. Il ne s’agit pas en effet ici d’assurer la cohérence des textes, mais bien de revenir sur un choix qu’a fait le Parlement. Ce choix était-il conscient ? Nul ne saurait sans doute le dire, tant le débat tendant à définir le service public hospitalier a, lors de l’examen du texte de loi, davantage relevé de l’idéologie que d’une analyse objective de la réalité de notre offre de soins. Mais l’écriture de la loi et l’interprétation qu’en a fait le Conseil constitutionnel ont bien fixé aux professionnels qui exercent dans les établissements assurant le service public hospitalier l’interdiction de pratiquer des dépassements d’honoraires.

 

L’activité libérale à l’hôpital public est relativement limitée. Elle ne concerne qu’environ 10 % de l’ensemble des 46 000 praticiens hospitaliers exerçant à temps plein qui sont éligibles à cette activité. Il n’existe environ que 2 000 praticiens qui pratiquent des dépassements d’honoraires. Les praticiens qui ont une activité libérale sont souvent des médecins pratiquant la chirurgie, l’obstétrique, la cardiologie ou la radiologie, dont la notoriété est forte, notamment en CHU, et dont l’activité libérale la plus importante se concentre en fin de carrière. Il est certes de l’intérêt de l’hôpital public de veiller à garder en son sein des compétences qui trouveront toujours à s’exercer ailleurs.

 

Laisser les médecins pratiquer des dépassement d’honoraires de manière encadrée au sein des établissements publics répond sans doute à un principe de réalité, mais les principes constitutionnels obligent à ce qu’il en soit de même dans les établissements privés qui aspireraient à assurer un service public hospitalier.

 

L’ordonnance du 12 janvier a assujetti la dérogation à la publication « le cas échéant » de dispositions réglementaires. En l’absence de cette publication, une telle rédaction confirme bien qu’il n’est pas, à ce jour, possible pour les praticiens hospitaliers ayant une activité libérale à l’hôpital de déroger aux dispositions du 4° du I de l’article L. 6112-1 du code de la santé qui interdit aux établissements de santé assurant le service public hospitalier et aux professionnels qui y exercent de facturer des dépassements d’honoraires.

 

Ce n’est sans doute pas ce que souhaitait le gouvernement, mais la non-maîtrise du débat législatif sur la notion de service public hospitalier conduit aujourd’hui à une certaine confusion dans les établissements et à un risque de question prioritaire de constitutionnalité concernant le dispositif législatif.

Claude Evin est avocat depuis avril 2004, associé au sein du Cabinet Houdart au 1er septembre 2016.

Il a auparavant exercé diverses responsabilités politiques : élu municipal et régional, député, ministre.

Au cours de son activité parlementaire et ministérielle il a constamment travaillé sur les questions relatives à la santé et à la protection sociale : président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale et rapporteur de nombreux textes de loi sur ces sujets.

Sa connaissance du secteur hospitalier s'est forgée dans le cadre de diverses responsabilités notamment au sein de la Fédération hospitalière de France. Appelé à préfigurer l'Agence régionale de santé d'Ile de France en octobre 2009, il en a assuré la direction générale jusqu'en aout 2015, date à laquelle il a repris son activité d'avocat.