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– Mais pourquoi ce cri d’effroi ébouriffant ? Je suis tout hérissé. Ebouriffant, non ?

– C’est que… C’est que j’ai feuilleté la dernière livraison du BO du ministère de la santé…

– Et, alors ?…

– Lisez donc… : « Instruction interministérielle DGOS/PF1 no 2010-350 du 23 septembre 2010 relative au signalement par la direction générale des finances publiques aux agences régionales de santé de faits susceptibles de constituer des illégalités ou des dérives de gestion dans les établissements publics de santé ».

– Certes !… mais il n’y a rien, vraisemblablement rien, de nouveau depuis l’article 40 du code de procédure pénale qui impose à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs…

– Que nenni ! Lisez donc ! L’article 40 ne concerne que les crimes et les délits. Or l’instruction interministérielle qui se réfère également à l’article 40 va bien au-delà. Je cite : « L’article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale dispose que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Lorsque le directeur départemental ou régional des finances publiques saisira le parquet, il en informera le directeur d’agence régionale de santé.

De même, le directeur départemental ou régional des finances publiques l’informera des actions qu’il engage auprès des juridictions financières en cas de :

– faute de gestion : il s’agit d’infractions aux règles budgétaires et comptables, notamment celles définies par le décret no 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique (cf. art. R. 6145-1 du CSP), qui engagent la responsabilité d’un gestionnaire public dans les cas prévus par le code des juridictions financières ;

– gestion de fait : il s’agit de l’ingérence fautive d’un gestionnaire public dans les compétences confiées exclusivement au comptable public par l’article 11 du décret no 62-1587 du 29 décembre 1962 (recouvrement de recettes publiques et/ou paiement de dépenses publiques notamment). Il peut, en ce cas, être déclaré comptable de fait par les juridictions financières et sanctionné à ce titre par celles-ci à l’issue de leur enquête sur les fonds publics irrégulièrement détenus ou maniés. Pour prévenir ces situations, les directeurs d’agences régionales de santé doivent notamment veiller, lors du contrôle de légalité, au respect de ces dispositions par les conventions passées par les établissements publics de santé, en sollicitant l’expertise des services de la DGFiP».

Tout est dans le « De même » qui laisse penser qu’il y a une seule et même base juridique et une seule procédure à la dénonciation de faits qui sont de nature très différente : des crimes et délits d’un côté, des fautes, voire de simples erreurs de gestion de l’autre.

On est manifestement dans le syndrome « Kerviel » ainsi que le démontre l’annexe II de l’instruction.

Celle-ci vise en effet dans un même tableau :
– la dissimulation d’un dépassement de crédit,
– l’engagement de dépenses sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation de signature à cet effet,
– l’infraction des règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens,
– le fait de procurer à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice financier,
– le fait d’entraîner la condamnation d’un organisme public à une astreinte en raison de l’inexécution totale ou partielle ou de l’exécution tardive d’une décision de justice,
– le fait de causer un préjudice grave à un organisme, par des agissements manifestement incompatibles avec les intérêts de celui-ci, par des carences graves dans les contrôles ou par des omissions ou négligences répétées dans le rôle de direction,
– le fait d’émettre abusivement un ordre de réquisition du comptable refusant de payer une dépense,
– l’abus d’autorité, dirigé contre l’administration (ex. : faire échec à l’exécution de la loi), ou commis envers des particuliers (ex. : discrimination aboutissant à une inégalité),
– les faux,
– la corruption passive et le trafic d’influence,
– la prise illégale d’intérêts,
– le manquement au devoir de probité (corruption passive, trafic d’influence et prise illégale d’intérêts),
– la concussion,
– le favoritisme,
– l’atteinte aux biens publics.

On y trouve même des incriminations par anticipation : « Les faits supplémentaires ajoutés par le projet [sic] de loi réformant les juridictions financières : l’incrimination de défaut de déclaration aux organismes sociaux est ajoutée à celle existante de défaut de déclaration fiscale ; l’incrimination de l’avantage injustifié à soi-même est ajoutée à de celle de l’avantage injustifié à autrui, ainsi que celle du favoritisme non intentionnel [sic !] dans le cadre de l’accès à la commande publique ; enfreindre, de façon grave ou répétée, les règles de comptabilisation des produits et des charges. Les risques de qualification de certaines pratiques en gestion de fait sont enfin bien connus (encaisser des recettes publiques et payer des dépenses publiques en dehors du comptable public et d’un régisseur…). Il convient de cibler les zones à enjeux selon la méthode du faisceau d’indices suivants : non-respect des règles et procédures d’adoption des budgets et des comptes ; non-respect des mesures de redressement arrêtées par l’ARS dans le cadre du contrôle budgétaire ; opérations financières n’ayant pas d’intérêt pour l’établissement concerné ou en dehors de ses compétences (principe de spécialité) ; absence de mandatement d’une facture exigible, absence d’émission d’un titre de recette pour une créance certaine, liquide et exigible, dépenses manifestement et excessivement somptuaires ; refus de comptabiliser les créances irrécouvrables en non-valeur, risques financiers excessifs pris dans l’endettement de la collectivité (emprunts structurés, surendettement…) ; défaut d’amortissement du patrimoine et de provisionnement des risques constatés ; non comptabilisation en charges à payer des factures en instance à la clôture de l’exercice ».

Qu’un rappel à l’ordre soit nécessaire et que les services de l’Etat se coordonnent pour faire respecter l’Etat de droit et pour améliorer la protection des deniers publics, personne ne le niera.

Mais au-delà du fait que cette circulaire laisse penser que les gestionnaires hospitaliers publics sont des escrocs ou des malfaiteurs au moins en puissance (ce qui ne manquera pas de satisfaire les bas instincts de certains lecteurs avides de populisme), plusieurs éléments ne sont guère acceptables ne serait-ce que d’un simple point de vue purement juridique (une circulaire ; une circulaire publiée au bulletin officiel du ministère en dépit de l’article 1er du décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires ; une circulaire qui donne instruction d’appliquer par anticipation des dispositions encore en cours de discussion; le favoritisme “non intentionnel”, etc.).

Par ailleurs, la mise en oeuvre d’un tel dispositif ne manquera pas de poser des difficultés sans fin. Quelques exemples qui devraient faire l’objet d’une dénonciation, méritent que l’on s’y attarde :

– hier, des établissements publics de santé ont reçu instruction de certaines agences régionales de construire des bâtiments pour le compte de cliniques privées sur le domaine public hospitalier et cela avec des fonds publics, alors que c’est foncièrement illégal eu égard au principe de spécialité et fait courir des risques inconsidérés pour les finances publiques ; on a même vu des agences imposer à ces établissements publics une facturation de l’occupation du domaine public en-dessous des coûts de revient pour permettre à l’occupant privé d’équilibrer ses comptes, voire de dégager des marges bénéficiaires ; les gestionnaires publics pourront-ils désormais se réfugier derrière la circulaire pour s’opposer à de tels projets ?

– de même, injonction n’a-t-elle pas parfois été donnée par les services de tutelle de ne pas passer les amortissements ou les provisions en fin d’exercice afin de préserver un équilibre de pure façade ? Les gestionnaires publics pourront-ils désormais se réfugier derrière la circulaire pour s’opposer à de telles injonctions ?

– et n’a-t-on pas été régulièrement tenté de faire recruter par tel ou tel établissement des personnels pour faire face à tel ou tel besoin dans une administration ou une autre ou pour complaire à tel ou tel personnage influent ? Les gestionnaires publics pourront-ils désormais se réfugier derrière la circulaire pour s’opposer à de telles demandes ?

– de même, tout le monde le sait, les textes sont rarement adaptés à la réalité de la gestion ; faudra-t-il faire primer la lettre du texte sur les impératifs de cette gestion ? Par le passé, des directeurs, abandonnés de tous, ont dû jongler avec des textes inadaptés pour pouvoir assurer la continuité du service dans le respect des normes, en versant à des médecins des rémunérations hors du cadre prévu. Auraient-ils dû fermer les services dans l’attente de l’adaptation des textes ?

– aujourd’hui, les gestionnaires hospitaliers ignorent pour la plupart le régime fiscal des groupements de coopération auxquels ils participent ; comment peuvent-ils dès lors procéder aux déclarations indispensables ?

– Etc.

Et puis quoi ? Quelle sera l’efficacité d’un tel dispositif ?

En effet, a-t-on jamais vu les receveurs hospitaliers régler les intérêts moratoires en cas de paiement au-delà des délais règlementaires ou ne serait-ce que rappeler cette obligation aux ordonnateurs concernés ?

Et puis, n’y a-t-il pas plus régulier, sur le plan formel, qu’un marché bidonné ?

Et puis, n’a-t-on pas vu par le passé des révélations, confirmées mordicus parfois par des rapports approfondis de certains corps d’inspection, réduites à néant par l’enquête pénale (Ah ! La niche à chien qui aurait été payée à grand frais sur deniers publics aux Hospices civils de Strasbourg !) ?

Et puis …