ASSOCIÉ D’UNE SEL OU EXERCICE À TITRE INDIVIDUEL : IL FAUT CHOISIR
Article rédigé le 05/11/2024 par Claire Montiel er Me Laurent Houdart
Indépendance professionnelle du médecin et qualité des soins prodigués justifient, aux yeux du législateur, un principe de non-cumul de la qualité d’associé d’une société d’exercice libéral (SEL) et de l’exercice à titre individuel de cette même activité libérale.
La première chambre civile de la Cour de cassation, dans une décision du 25 septembre 2024, se range derrière cette intention législative, tirant toutes conséquences d’un tel principe.
Un bref rappel des faits à titre introductif : le 15 novembre 2003, une société d’exercice libéral (SEL) ayant pour objet l’exercice libéral de la profession de médecin au sein d’une polyclinique dirigée par une société d’exploitation a été constituée. La SEL et la société d’exploitation sont liées par un bail professionnel portant sur l’exploitation des locaux de la polyclinique. A la suite de diverses cessions de parts sociales, un chirurgien orthopédiste devenait associé unique et gérant de la SEL. Le 18 novembre 2015, le praticien concluait un contrat d’exercice professionnel individuel à durée indéterminée avec la société d’exploitation prévoyant une faculté de résiliation sous réserve du respect d’un préavis de six mois. En 2020, la société d’exploitation, conformément aux prévisions contractuelles, notifiait au chirurgien la résiliation de son contrat en lui accordant le préavis contractuellement prévu. Le chirurgien, estimant qu’il existait un contrat d’exercice professionnel entre ladite société d’exploitation et la SEL dont il est associé soumis aux usages en vigueur et notamment au respect d’un préavis de deux ans en cas de résiliation, assigne la société d’exploitation en indemnisation pour non-respect du préavis de deux ans et en réparation d’un préjudice moral. La Cour d’appel rejette ses demandes, le chirurgien se pourvoit en cassation.
Au moyen du pourvoi, le praticien libéral (auquel s’est jointe la SEL) argue de l’existence d’un contrat d’exercice professionnel liant les deux sociétés, contrat qui se substitue de plein droit au contrat d’exercice individuel litigieux, en application de l’article R. 4113-3 du Code de la Santé publique disposant que le praticien libéral ne peut cumuler l’exercice de la profession de médecin au sein d’une SEL avec un exercice à titre individuel ou au sein d’une société civile professionnelle. La Cour de cassation lui donne raison.
Elle reprend à son compte l’article R. 4113-3 du Code de la santé publique, l’appliquant classiquement aux faits de l’espèce : le cumul d’une activité libérale individuelle avec l’exercice de cette même activité au sein d’une structure n’est pas légalement autorisé, peu important que la SEL ait une personnalité juridique propre et sa propre patientèle. Ce n’est ni, ni plus ni moins, qu’une application des dispositions suscitées, la Cour de cassation s’inscrivant dans une ligne jurisprudentielle d’application stricte de ces dispositions. En effet, le Conseil d’Etat a déjà fermé la voie à l’assouplissement d’un tel article, interprétant strictement les exceptions (CE, 4 / 6 SSR, 21 septembre 2001, n° 202806), et élargissant même la notion « d’exercice individuel » à celle d’exercice salarié d’un médecin dans un établissement de santé (CE, 4 / 5 SSR, 3 septembre 2007, n° 295344). Le principe de non-cumul est appliqué strictement, la Cour de cassation n’y déroge pas.
À noter, toutefois, que cette décision est intéressante à deux égards. D’abord, parce qu’elle donne effets aux demandes du praticien, pourtant contrevenant aux dispositions de l’article R. 4113-3 du Code de la Santé publique ; ensuite, parce qu’elle semble faire disparaitre la qualité de praticien derrière la qualité d’associé de la SEL.
Le refus d’une décision punitive
La Cour de cassation accède aux demandes du praticien, pourtant fautif eu égards aux dispositions de l’article R. 4113-3 du Code de la Santé publique, puisqu’ayant conclu à dessein deux contrats : l’un le liant à la SEL en tant qu’associé et exerçant au sein de la polyclinique et l’autre, conclu avec la société d’exploitation, au titre d’un exercice professionnel individuel. Ce faisant, la Cour de cassation permet au praticien libéral de bénéficier du préavis plus avantageux de deux mois, préférant à l’adage selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude », une application cohérente de l’article R. 4113-3 du Code de la Santé publique et résistant de ce fait à la tentation d’adopter une décision punitive.
La primauté de la qualité d’associé de la SEL
Par cette décision, la Cour de cassation accède aux demandes du praticien libéral tendant à faire reconnaitre l’existence d’un contrat verbal conclu entre les deux sociétés protagonistes, qui se substitue à celui conclu en son nom avec la société d’exploitation au titre d’un exercice professionnel individuel. A cet effet, le praticien semble disparaitre derrière la qualité d’associé qui le lie à la SEL, et plus encore derrière le contrat qui lie les deux sociétés, peu important la forme que revêt ce contrat. En effet, la Cour de cassation accède aux demandes du praticien en estimant que c’est le contrat conclu entre les deux sociétés qui aurait dû faire l’objet d’une résiliation par la société d’exploitation et non le contrat conclu à titre individuel par le chirurgien. Il n’est pas question, pour la Cour de cassation, de remettre en cause, l’activité exercée par le praticien libéral au titre du contrat conclu avec la société d’exploitation, mais de la faire entrer dans le giron de son activité exercée en qualité d’associé de la SEL, lui permettant, de ce fait, de bénéficier des dispositions plus avantageuses en matière de préavis.
De cette décision, il faut en tirer deux enseignements :
- Le praticien associé d’une SEL fait corps avec cette dernière et les effets du contrat conclu entre la SEL et la société d’exploitation rejaillissent sur sa situation ;
- Il n’est pas venu le temps d’un assouplissement du principe de non-cumul de l’exercice de son activité par un praticien libéral au sein d’une SEL avec un exercice à titre individuel de ladite activité, assouplissement cependant envisagé par certaines cours d’appel ayant affirmé que ce principe de non-cumul n’est pas d’ordre public et que les parties peuvent y déroger sous réserve de le mentionner expressément au sein du contrat conclu (CA de Limoges, Chambre civile, 19 mars 2019, n° 17/01305).
Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.
Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …).
Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).
Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.
Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.