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2019Depeche-Droit---Stephanie
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Comme souvent, c’est du Luxembourg et de l’éminente institution installée sur son territoire, la CJUE[2], que s’est levé  le vent libéralou le vent de libéralisme( le lecteur choisira) qui va finir par balayer l’interdiction générale et absolue de publicité opposée aux médecins[3]et autres professionnels médicaux[4].

 

Evolution de la Jurisprudence européenne : l’arrêt Vanderborght de la CJUE

 

Dans deux décisions, la première du 4 mai 2017 ( CJUE, 4 mai 2017, Vanderborght., Affaire C-339/15) et la seconde du 23 octobre 2018 ( CJUE, 23 octobre 2018, RG et SELARL cabinet dentaire du Docteur RG.,  Affaire C-296/18), la juridiction a considéré que ces réglementations interdisant aux professionnels de recourir à tous procédés directs ou indirects de publicité contrevenaient tant à la Directive sur le commerce électronique ( Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000) qu’à l’article 56 du TFUE[5]qui consacre la libre prestation de services.

 

Il est d’un grand intérêt de citer certains paragraphes de l’arrêt Vanderborght pour appréhender les conséquences qui peuvent en être tirées sur la compétence de notre droit national à régir la publicité des professions réglementées et singulièrement celle des médecins.

Dans cet arrêt, s’agissant de la compatibilité avec les dispositions de la Directive sur le commerce électronique avec une législation nationale qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins,  la Courrelevant que « la publicité relative aux prestations de soins buccaux et dentaires, faite au moyen d’un site Internet créé par un membre d’une profession réglementée, constitue une communication commerciale faisant partie d’un service de la société de l’information ou constituant un tel service, au sens de l’article 8 de la directive 2000/31 » admet qu’une telle communication ne doit être autorisée « que sous réserve du respect des règles professionnelles visant, notamment, l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession réglementée concernée ainsi que le secret professionnel et la loyauté tant envers les clients qu’envers les autres membres de cette profession ».

Elle s’empresse d’ajouter : « Pour autant, les règles professionnelles mentionnées à ladite disposition ne sauraient, sans priver celle-ci d’effet utile et faire obstacle à la réalisation de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union, interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité en ligne destinée à promouvoir l’activité d’une personne exerçant une profession réglementée. »

Elle rappelle à cet égard que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2000/31 prévoit que les États membres et la Commission encouragent l’élaboration de « codes de conduite » « ayant pour objet de préciser les informations qui peuvent être données à des fins de communications commerciales dans le respect [des] règles professionnelles ».

La Juridiction de conclure que s’il est permis de tenir compte des particularités des professions de santé « en encadrant, le cas échéant de manière étroite, les formes et les modalités des communications commerciales en ligne (…) en vue notamment de garantir qu’il ne soit pas porté atteinte à la confiance qu’ont les patients envers ces professions » il n’en demeure pas moins que l’interdiction  générale et absolue de toute forme de publicité en ligne destinée à promouvoir l’activité d’une personne exerçant une telle profession doit être prohibée.

Sur la contravention de la législation nationale avec l’article 56 du TFUE, le raisonnement emprunté est très similaire :

« (…) une législation nationale qui interdit, de manière générale et absolue, toute publicité pour une certaine activité est de nature à restreindre la possibilité, pour les personnes exerçant cette activité, de se faire connaître auprès de leur clientèle potentielle et de promouvoir les services qu’ils se proposent d’offrir à cette dernière. »

Par conséquent, une telle législation nationale doit être considérée comme emportant une restriction à la libre prestation des services.

Si cette restriction peut être justifiée par des objectifs tels la protection de la santé publique ou la préservation de la dignité de la profession, la mesure en l’espèce portant interdiction de manière générale et absolue de toute publicité dépasse selon la Cour ce qui est nécessaire pour en assurer la réalisation.

« (…)il y a lieu de considérer que les objectifs poursuivis par la législation en cause au principal pourraient être atteints au moyen de mesures moins restrictives encadrant, le cas échéant de manière étroite, les formes et les modalités que peuvent valablement revêtir les outils de communication utilisés par les dentistes, sans pour autant leur interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité. »

 

L’entrée en jeu de l’Autorité de la Concurrence

L’Autorité de la Concurrence va reprendre à son compte dans une très récente décision les principes posés par la juridiction européenne ( Autorité de la Concurrence, 15 janvier 2019, Décision n°19-D-01 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la promotion Internet d’actes médicaux).

L’Autorité avait été saisie par une société commerciale de faits qu’elle estimait constitutifs d’une politique de boycott mise en œuvre par la Conseil national de l’Ordre des Médecins dans le secteur de la promotion par internet d’actes médicaux à visée esthétique.

Les interventions du CNOM étaient fondées sur plusieurs dispositions législatives et réglementaires essentielles applicables aux médecins dont l’article R4127-19 du code de la santé publique aux termes duquel : « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ».

Il lui était ainsi donné l’occasion de non seulement s’inscrire dans la voie tracée par la CJUE mais d’inviter les pouvoirs publics à agir et rapidement…

L’Autorité consacre ainsi de longs développements sur l’incompatibilité ( mutatis mutandiscompte-tenu des décisions de la CJUE) de l’article R 4127-19 du code de la santé publique avec le droit européen et sur l’obligation qui est faite en application du principe de primauté tant aux administrations qu’au Juge national d’écarter l’application d’une telle disposition.

Pour autant elle conclut dans ce dossier à son incompétence et déclare la saisine irrecevable considérant (i) que cette disposition litigieuse ne fonde pas seule les actions du CNOM, (ii) que le Conseil est intervenu dans le cadre de ses missions de service public dévolues par la loi et dans  l’exercice de ses prérogatives de puissance publique « dans une mesure non manifestement inappropriée ».

L’Autorité ne manque pas cependant (un observateur critique pourrait à égard s’interroger sur le rôle qu’elle s’arroge) d’insister « sur la nécessité de modifier, à brève échéance, les dispositions réglementaires relatives à la publicité, afin de tenir compte de l’évolution de la jurisprudence de la CJUE. Cette modification permettra d’une part, d’assurer la conformité des dispositions réglementaires concernées avec le droit européen et, d’autre part, d’assurer la pleine efficacité des principes déontologiques qui s’imposent aux médecins, dont notamment l’interdiction d’exercer la profession comme un commerce, l’indépendance, la dignité, la confraternité. L’Autorité relève par ailleurs que, comme l’a jugé la CJUE ( …) le droit européen permet aux Etats membres de définir les réglementations relatives à la publicité des professions libérales, dès lors que celles-ci ne comportent pas d’interdiction générale et absolue. »

 

Une réforme à venir : une information libre sous contrôle se substitue à l’interdiction générale et absolue de la publicité

 

On apprend à cet égard que le Ministère des Solidarités et de la Santé avec certains Ordres professionnels travailleraient à une refonte des textes pour une publication dans les 6 à 12 mois à venir.

Ceux qui planchent sur ces nouveaux textes seraient bien inspirés de tirer quelques enseignements du rapport rendu par le Conseil d’Etat en juin 2018 consacré aux Règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité.

Prenant acte de la défiance alimentée par les crises sanitaires qui impose d’élargir l’information devant être rendue publique, de l’essor de l’économie numérique qui rend obsolète l’encadrement actuel, de la concurrence de professionnels non soumis à concurrence, la Haute juridiction préconise d’écarter l’interdiction générale et absolue de publicité, de poser un principe de libre communication des informations « sous réserve du respect des dispositions réglementant l’exercice professionnel ».

Exercice d’équilibriste s’il en est. La frontière entre une information libre, enrichie[6] et ce qui relèverait d’une pratique commerciale interdite sera tenue. Il est peu probable qu’un seul texte réglementaire embrasse toutes les hypothèses.

Peut-être serait-il de bon aloi de suivre les préconisations européennes et d’édicter des codes de conduite … qui seront sans doute soumis à l’appréciation des juridictions européennes.

 

 

Un régime juridique fragilisé en période transitoire

 

Dans cette période transitoire, doit-on considérer que les formes les plus innovantes de publicité sont ouvertes aux plates-formes de rendez-vous en ligne, que les établissements de santé peuvent présenter des offres promotionnelles pour certains actes, que des encarts dans de grands journaux peuvent être réservés à des sociétés d’exercice de radiologues vantant leur efficacité ? Evidemment non.

Il n’en reste pas moins que la réglementation actuelle est considérablement fragilisée.

Il convient d’être particulièrement circonspect et de s’interroger avec rigueur sur la compatibilité de l’information délivrée au public avec les règles professionnelles.

Nul doute qu’en cette période incertaine se rejouera la controverse des Anciens et des Modernes.

 

Parce que le monde bouge [7] ?

 


 

[1]Toute référence à un slogan connu est fortuite.

[2]Cour de Justice de l’Union Européenne

[3]Article R4127-19 du code de la santé publique : « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ».

[4]Article R4127-215 du même code ( Chirurgiens-Dentistes) et R 4127-310 du même code ( Sages-Femmes).

[5]Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne

[6]On notera qu’en droit européen la publicité est définie comme : « Toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations » ( Directive 2006/114/CE en matière de publicité trompeuse et publicité comparative).

[7]Toute référence à un slogan connu est fortuite.

Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.

Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :

- contrats d’exercice, de recherche,

- tarification à l’activité,

- recouvrement de créances,

- restructuration de la dette, financements désintermédiés,

- emprunts toxiques

Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.

Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).