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Le Conseil d’Etat vient de valider pour l’essentiel le décret et l’arrêté encadrant l’intervention des libéraux en EHPAD (CE, 20 mars 2013, N° 345885) :


1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-12 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction alors en vigueur : " Des conditions particulières d’exercice des professionnels de santé exerçant à titre libéral destinées notamment à assurer l’organisation, la coordination et l’évaluation des soins, l’information et la formation sont mises en oeuvre dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. (…) Un contrat portant sur ces conditions d’exercice est conclu entre le professionnel et l’établissement " ; que, pour l’application de ces dispositions, le décret du 30 décembre 2010 relatif à l’intervention des professionnels de santé exerçant à titre libéral dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes a notamment créé dans le code de l’action sociale et des familles un article R. 313-30-1 qui dispose que le contrat obligatoirement conclu entre tout professionnel intervenant dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et cet établissement est conforme à un contrat-type fixé par arrêté ; que le même décret a prévu, en introduisant un 6° au V de l’article D. 311 du code de l’action sociale et des familles, que le contrat de séjour conclu entre l’établissement et chaque personne âgée qui y est hébergée comporte la mention de l’obligation faite aux professionnels de santé libéraux appelés à intervenir dans cet établissement de conclure avec ce dernier le contrat prévu à l’article L. 314-12 ;

2. Considérant que les requêtes du Conseil national de l’ordre des médecins, du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes et du Syndicat des médecins d’Aix et région doivent être regardées comme tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ces deux dispositions du décret du 30 décembre 2010, ainsi que de celles de son article 4 qui fixe la date avant laquelle les professionnels concernés doivent signer le contrat ainsi prévu ; que le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes demande en outre l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 30 décembre 2010 qui fixe le modèle des contrats-types applicables aux médecins et masseurs-kinésithérapeutes libéraux, en tant qu’il concerne les masseurs-kinésithérapeutes, ainsi que de la décision par laquelle ministre du travail, de l’emploi et de la santé a implicitement rejeté son recours gracieux formé contre les mêmes dispositions de ce décret et de cet arrêté ; qu’enfin, le Conseil national de l’ordre des médecins demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 3 août 2011 par laquelle le ministre du travail, de l’emploi et de la santé a refusé d’abroger l’arrêté du 30 décembre 2010 en tant qu’il concerne les médecins libéraux ; que ces quatre requêtes présentent à juger des questions semblables ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur les conclusions dirigées contre le décret du 30 décembre 2010 et la décision rejetant le recours gracieux formé à son encontre :

3. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des dispositions de l’article L. 314-12 du code de l’action sociale et des familles que le législateur a lui-même prévu, d’une part, que les interventions des professionnels de santé libéraux dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes s’effectuent selon des modalités particulières et, d’autre part, qu’un contrat portant sur ces modalités particulières est conclu entre le professionnel et l’établissement ; qu’il a ainsi exclu l’intervention, dans ces établissements, de professionnels de santé qui auraient refusé de signer un tel contrat ; que l’article L. 314-13 du même code confie au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les modalités d’application de l’article L. 314-12 ; que le premier alinéa de l’article R. 313-30-1 du code de l’action sociale et des familles, issu du décret attaqué, rappelle le principe même de la conclusion d’un contrat entre le professionnel et l’établissement et précise que ce contrat doit être conforme à un contrat-type fixé par arrêté ; que, dans ces conditions, le pouvoir réglementaire n’a pas excédé sa compétence ; que le décret ne portant pas à la liberté contractuelle d’autres limites que celles déjà prévues par l’article L. 314-12, les requérants ne peuvent utilement soutenir qu’il méconnaîtrait le principe de la liberté contractuelle, garantie par l’article 1108 du code civil, qui inclut le droit de ne pas contracter, non plus que les dispositions de l’article 1165 du même code, selon lesquelles les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et ne nuisent point au tiers ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions contestées font seulement obstacle, conformément aux dispositions législatives qu’elles mettent en oeuvre, à l’intervention d’un praticien choisi par un patient mais ayant refusé de signer le contrat mentionné ci-dessus, et n’imposent aucunement un praticien à ce patient ; que, par ailleurs, le décret ne saurait avoir pour effet d’autoriser un établissement à ne pas conclure, pour un motif d’opportunité, un contrat avec un professionnel libéral souhaitant exercer son activité dans cet établissement et acceptant les conditions particulières d’exercice prévues par le contrat-type ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du libre choix de son médecin par le patient, rappelé notamment par les articles L. 1110-8 du code de la santé publique, L. 111-3 du code de l’action sociale et des familles, ainsi que L. 162-2 et L. 162-5-3 du code de la sécurité sociale, ne peut qu’être écarté ;

5. Considérant, en troisième lieu, que le décret ne porte aucune atteinte à l’indépendance du praticien et ne porte pas aux règles relatives à l’exercice de l’activité de médecin ou de masseur-kinésithérapeute des limitations autres que celles prévues par le législateur en vue d’assurer une meilleure coordination des soins pratiqués dans les établissements concernés ;

6. Considérant, en quatrième lieu, qu’aucune disposition du décret attaqué ne confère aux parties un droit de résiliation unilatérale ;

7. Considérant, toutefois, que le second alinéa de l’article R. 313-30-1 du code de l’action sociale et des familles, issu du décret attaqué dispose que : " Ces contrats types fixent les engagements réciproques des signataires, concernant notamment les modalités d’intervention des professionnels dans l’établissement et de transmission d’informations relatives à cette intervention, les modalités de coordination des soins entre le professionnel de santé et le médecin coordonnateur de l’établissement ainsi que la formation de ce professionnel " ; que le décret pouvait légalement renvoyer à un arrêté interministériel le soin de préciser, par le biais de contrats-types, les modalités d’intervention du professionnel libéral de santé dans l’établissement, de transmission d’informations relatives à cette intervention, de coordination des soins entre le professionnel de santé et le médecin coordonnateur de l’établissement et de formation de ce professionnel ; qu’il ne pouvait, en revanche, renvoyer à un tel arrêté le soin de fixer tous autres engagements entre le professionnel et l’établissement sans en préciser la nature et, le cas échéant, la portée ; que le décret attaqué doit, en conséquence, être annulé en tant que l’article R. 313-30-1 qu’il introduit dans le code de l’action sociale et des familles comporte le mot " notamment " ; que la décision rejetant le recours gracieux formé contre ce décret par le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes doit également, dans cette mesure, être annulée ;

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêté du 30 décembre 2010 et les décisions refusant de le retirer ou de l’abroger :

8. Considérant, en premier lieu, que l’annulation partielle du décret du 30 décembre 2010 n’entraîne pas, par voie de conséquence, celle de l’arrêté du même jour, les clauses des contrats-types annexés à celui-ci ne portant pas sur des objets autres que ceux expressément mentionnés par l’article R. 313-30-1 du code de l’action sociale et des familles ;

9. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 4122-1 du code de la santé publique : " Le conseil national de l’ordre remplit sur le plan national la mission définie à l’article L. 4121-2. Il veille notamment à l’observation, par tous les membres de l’ordre, des devoirs professionnels et des règles édictées par le code de déontologie prévu à l’article L. 4127-1. Il étudie les questions ou projets qui lui sont soumis par le ministre chargé de la santé " ; que ces dispositions n’imposaient pas aux auteurs de l’arrêté de consulter, avant l’adoption de celui-ci, le Conseil national de l’ordre des médecins ;

10. Considérant, en troisième lieu, que s’agissant du principe même, rappelé à l’article 1er de l’arrêté, de la conclusion d’un contrat entre l’établissement et le professionnel libéral, les moyens tirés de l’incompétence des auteurs de l’arrêté ainsi que de la méconnaissance de la liberté contractuelle et de la liberté de choix du praticien par le patient doivent être écartés par les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment ;

11. Considérant, en quatrième lieu, que si les articles 2.2 et 2.3 des contratstypes relatifs aux conditions d’intervention des médecins et des masseurs-kinésithérapeutes prévoient notamment que l’établissement informe le praticien de la liste des produits de santé ayant fait l’objet d’une convention d’achat avec des fournisseurs et que le praticien s’engage à prendre en compte, dans son exercice et ses prescriptions, les spécificités de fonctionnement de l’établissement, à signaler sa présence dans l’établissement, à éviter dans la mesure du possible les visites pendant les horaires de repas ou à indiquer, lorsqu’elles sont connues, ses dates de congé et les coordonnées de son éventuel remplaçant, ces dispositions ne peuvent être regardées comme imposant à ce professionnel de recourir à certains actes ou de renoncer aux prescriptions qu’il estimerait nécessaires aux patients ; que, dès lors, elles ne portent pas à son indépendance professionnelle, notamment au principe de liberté des prescriptions rappelé par l’article R. 4127-8 du code de la santé publique, une atteinte excédant celle prévue par le législateur ; qu’il en est de même en ce qui concerne l’article 3-2 des contrats-types, qui prévoit notamment une consultation des professionnels de santé pour l’élaboration de protocoles et leur participation, une fois par an, à une réunion organisée par le médecin coordonnateur en application de l’article D. 312-158 du code de l’action sociale et des familles ; que ni les dispositions précitées de l’article L. 314-12 de ce code, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n’imposaient aux auteurs de l’arrêté d’insérer, dans les contrats types, des clauses rappelant l’indépendance du praticien, le respect des règles professionnelles ou l’obligation d’assurance ; que s’il est fait grief aux contrats-types de ne pas comporter de clauses relatives à la rémunération du praticien, il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu’ils n’auraient pu légalement prévoir de telles clauses ;

12. Considérant qu’aux termes de l’article 5 des contrats-types : " A compter de la date de signature du contrat, un délai de rétractation de deux mois calendaires est ouvert aux parties. / Pour l’exercice de ce droit, la partie en prenant l’initiative respecte un délai de prévenance de sept jours calendaires qui ne peut pas avoir pour effet d’augmenter la durée du délai de rétractation " ; qu’une telle possibilité de rétractation ouverte, pour tout motif, non seulement au praticien, mais également à l’établissement, méconnaît le principe du libre choix de son praticien par le malade ; qu’ainsi, l’arrêté doit être annulé dans cette mesure ;

13. Considérant qu’aux termes de l’article 6 des contrats-types : " En cas de désaccord soulevé par l’interprétation du présent contrat ou par son exécution, les deux parties conviennent de soumettre leur différend à deux conciliateurs afin de trouver une solution à l’amiable. L’un des conciliateurs devra être un membre du conseil départemental de l’Ordre des médecins, l’autre est choisi par le directeur de l’EHPAD. Le médecin traitant et le directeur de l’EHPAD peuvent se faire assister par la personne de leur choix. / Il pourra être mis fin à ce contrat à l’initiative de l’une ou l’autre des parties sous réserve du respect d’un préavis de deux mois " ; que le second alinéa de cet article ne subordonne pas la résiliation du contrat par l’établissement au constat d’un manquement du praticien à ses obligations contractuelles ; qu’il permet ainsi à l’établissement de mettre fin au contrat, de sa propre initiative, sans que cette faculté soit entourée des garanties nécessaires au respect du principe de libre choix de son médecin par son malade ; que l’arrêté doit dès lors être annulé dans cette mesure ;

14. Considérant, en dernier lieu, que si le Conseil national de l’ordre des médecins soutient que l’arrêté en litige imposerait aux médecins intervenant à titre libéral des contraintes excessives et dissuaderait de ce fait de nombreux praticiens de soigner des personnes âgées résidant en établissement, de sorte que la portée concrète du droit de celles-ci de recourir au praticien de leur choix serait considérablement amoindrie, il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu notamment de la volonté du législateur de renforcer la coordination des soins dispensés au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, l’arrêté du 30 décembre 2010 aurait, sous réserve de ce qui a été dit au points 12 et 13, illégalement restreint ce droit ;

15. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêté du 30 décembre 2011 et des décisions attaquées refusant de le retirer ou de l’abroger en tant seulement que sont concernés les articles 5 et 6, second alinéa, des contrats-types annexés à l’arrêté ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761- 1 du code de justice administrative :

16. Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les requérants au titre de ces dispositions ;



D E C I D E :
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Article 1er : Sont annulés l’article 1er du décret du 30 décembre 2010 en tant que l’article R. 313 30-1 qu’il introduit dans le code de l’action sociale et des familles comporte le mot " notamment ", les articles 5 et 6, second alinéa, des contrats-types annexés à l’arrêté du même jour, ainsi que, dans la mesure correspondante, les décisions rejetant les recours gracieux formés contre ce décret et cet arrêté et la demande d’abrogation de cet arrêté.
Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.