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« Les institutions passent par trois périodes : celle des services, celle des privilèges, celle des abus. » (Chateaubriand).

Peut-on penser que le Conseil constitutionnel a donné à l’institution du logement loué par l’AP-HP, les HCL et l’AP-HM une limite raisonnable après le service et avant le privilège ?

Autrement formulé, les agents de l’AP-HP, des HCL et de l’AP-HM ont-ils un droit acquis à demeurer dans leur logement de fonction ? Où se trouve la frontière entre la nécessité du service et le privilège de l’agent ?

La loi autorise ces trois établissements à donner à bail des logements dont ils sont propriétaires, notamment à leurs agents.

Comme une limite cependant, l’article 14-2 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé[1] autorise ces établissements hospitaliers à résilier un bail d’habitation en vue de le réattribuer à l’un de leurs agents en exercice, sous réserve de respecter un préavis de six mois.

L’article dispose que si, in fine, le logement n’est pas affecté à l’agent concerné, l’établissement est tenu de réattribuer, sur simple demande, un logement pour une durée de six ans à l’occupant dont le contrat de location a été résilié.

L’article 137 de la loi du 26 janvier 2016 précise en outre que le dispositif autorisant la résiliation des contrats de location des occupants de ces trois bailleurs s’applique aux contrats conclus antérieurement à la date de la publication de la loi du 26 janvier 2016.

A l’occasion du recours introduit par un locataire dont le contrat de bail d’habitation a été résilié en application de ces dispositions, une question prioritaire de constitutionnalité a été renvoyée devant le Conseil. Il s’agissait de contester le dispositif introduit par la loi du 26 janvier 2016 sur deux fondements. Le premier tenait à la méconnaissance du principe d’égalité dès lors qu’une différence de traitement était introduite entre les locataires des trois grands établissements et les agents d’autres établissements. Le second consistait dans la violation du droit au maintien des conventions légalement conclues.

Le Conseil constitutionnel a rejeté l’ensemble de ces moyens dans une décision n°2018-697 QPC du 6 avril 2018.

Le juge constitutionnel rappelle que le principe d’égalité prévu à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n’interdit pas au législateur de régler des situations distinctes de façon différente, ni de déroger à ce principe pour des raisons tenant à l’intérêt général, « pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. »

Le Conseil constitutionnel poursuit en relevant que le droit de résiliation introduit par la loi du 26 janvier 2016 introduit une différence de traitement entre les établissements bailleurs, en permettant « à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, aux hospices civils de Lyon et à l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille de résilier les contrats de location de logements dont ils sont propriétaires, afin de les attribuer à leurs agents en activité. ». Cette différence de traitement se justifie objectivement par la situation du marché immobilier de Paris, Marseille et Lyon qui est particulièrement tendu. La volonté du législateur a donc été de permettre à ces trois groupes hospitaliers d’héberger leurs agents en exercice, en vue d’assurer la continuité du service public hospitalier.

Cet objectif qualifié d’intérêt général est de nature à justifier que le législateur instaure un traitement spécifique aux trois groupes hospitaliers sans méconnaitre le principe d’égalité.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel émet une réserve d’interprétation. En toute logique, ce texte ne saurait autoriser ces trois groupes hospitaliers à résilier les baux de leurs propres agents en activité et employés par eux. L’objectif de la loi étant de loger les agents en exercice, elle ne pourrait permettre de résilier les baux de ces derniers.

Le Conseil constitutionnel juge ensuite que le législateur peut apporter à la liberté contractuelle des « limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. »

Faisant application de ce principe, il est considéré que le législateur a poursuivi un motif d’intérêt général en tenant compte à la fois du nombre important des contrats de location conclus par les trois groupes hospitaliers avec des preneurs qui ne sont pas des agents en exercice de ces établissements, et de leur durée.

Il convient en outre de noter que le législateur a aménagé ce droit à la résiliation lorsqu’il s’applique aux contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, puisque le délai de préavis est allongé à huit mois. Le législateur exclut également ce pouvoir de résiliation au cas des locataires dont les revenus annuels sont équivalents ou inférieurs au plafond des ressources requis pour l’attribution des logements locatifs conventionnés.

Dans cet équilibre, on peut comprendre que le Conseil constitutionnel rejette le grief selon lequel les dispositions autorisant l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, les hospices civils de Lyon et l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille à résilier les contrats de location de logements dont ils sont propriétaires, afin de les attribuer à leurs agents en activité même s’agissant des contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2018.

Cette recherche d’équilibre nous rappelle à la modestie du droit : c’est la situation matérielle de l’immobilier dans ces grandes agglomérations qui a imposé sa loi au législateur.

[1] Article 137 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé