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Living Labs et droit d'auteur
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LES LIVING LABS ET LE DROIT D’AUTEUR

Article rédigé le 19 juin 2019 par Dan Scemama

Selon le Montréal InVivo[1], un Living Lab est « une méthode de recherche en innovation ouverte qui vise le développement de nouveaux produits et services. L’approche promeut un processus de cocréation avec les usagers finaux dans des conditions réelles et s’appuie sur un écosystème de partenariats public-privé-citoyen. »

Initiés dans l’objectif de développer de nouveaux produits et/ou services, le caractère novateur des Living Labs consiste en la combinaison de trois éléments caractéristiques : une démarche de co-participation, une expérimentation en situation réelle et une implication des usagers[2].

Initialement, le concept de Living Lab est né aux Etats-Unis et s’est ensuite développé en Europe, dès 2006, avec ENoLL, un réseau de Living Labs (soutenu par la Commission européenne) proposant de certifier des Living Labs.

En France, le premier Living Lab en matière de santé, Autonom’lab, est lancé en 2010 dans le but de favoriser l’émergence de projets et de solutions innovantes pour l’autonomie des personnes.

Les Living Labs se distinguent d’autres méthodes[3]qui lui sont proches comme les bancs d’essais (un banc de test permettant de tester un produit dans un environnement réel), les « Focus groups » (réunions permettant de discuter avec des consommateurs d’un nouveau produit ou service) ou encore le marketing conversationnel (consistant à établir un dialogue avec des clients ou prospects pour mieux les connaitre) ; ces dernières ne réunissant pas, de manière cumulative, les éléments caractéristiques précités.

Le travail accompli dans le cadre d’un Living Lab peut être scindé en quatre phases[4] :

  • l’identification des besoins réels ressentis par les populations ou communautés professionnelles concernées (phase de planification),
  • la proposition d’une idée de solution qui sera partagée avec les personnes qui rencontrent le ou les problème(s) soulevé(s) (phase de co-conception),
  • l’expérimentation dans un environnement contrôlé de l’idée trouvée auprès de ses futurs utilisateurs pour s’assurer de sa pertinence ou la modifier de manière à répondre aux besoins exprimés par ces derniers (phase de prototypage),
  • l’expérimentation de la solution finale dans un environnement réel afin de pouvoir la déployer ou commercialiser (phase de développement final).

Concrètement, un cas d’utilisation de la méthode employée dans les Living Labs en matière de santé peut, par exemple, concerner un dispositif d’agent assistant virtuel, ce dernier pourra être expérimenté en observant le comportement de l’usager au moyen d’une caméra vidéo[5].

Comme le souligne le Montréal InVivo[6], la gestion des droits de propriété intellectuelle et, en particulier, celle des droits d’auteur constitue une préoccupation importante lors du travail de co-conception du produit ou service concerné.

La principale difficulté porte sur l’existence d’une démarche collective de création permettant d’aboutir à une solution opérationnelle répondant à des besoins déterminés en amont et impliquant, particulièrement dans le domaine de la santé, une grande diversité d’acteurs (établissements de santé, cliniques, universités et centres de recherches, représentants ou élus au niveau local ou national etc.).

C’est pourquoi, il nous faut identifier les qualifications juridiques applicables à ces œuvres co-créées (1.), avant d’envisager les moyens d’exploitation possibles les concernant (2.)

 

  1. Qualifications juridiques applicables aux Living Labs

 

En droit, deux qualifications juridiques prévues par l’article L 113-2 du Code de la propriété intellectuelle peuvent permettre d’encadrer cette démarche de co-création :

  • l’œuvre de collaboration qui est « l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » (a), et
  • l’œuvre collective qui est « l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé. » (b)

En revanche, il est à noter que l’œuvre composite n’est ici pas pertinente puisqu’elle concerne une œuvre nouvelle incorporée dans une œuvre préexistante mais sans qu’il existe de collaboration entre l’auteur de l’œuvre nouvelle et celui de l’œuvre préexistante ; cette qualification exclue donc toute idée de collaboration entre plusieurs auteurs ce qui est précisément contraire au principe de co-conception cher au Living Lab.

a / Living Lab : Qualification d’œuvre de collaboration

 

La qualification d’œuvre de collaboration peut naturellement s’appliquer aux créations réalisées dans le cadre d’un Living Lab.

Néanmoins, l’exercice des droits portant sur une telle œuvre de collaboration est complexe, ces derniers étant « la propriété commune des coauteurs »[7], ils doivent les exercer « d’un commun accord »[8]selon les règles relatives à l’indivision.

Au regard du caractère rigide et inadapté de ces règles relatives à l’indivision, il est vivement recommandé d’organiser conventionnellement l’exercice de ces droits, tant à l’égard des autres co-auteurs qu’à l’égard des tiers, pour limiter le risque d’un éventuel futur contentieux ; sachant qu’« En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer. »[9]

 

b / Living Lab : Qualification d’œuvre collective

 

Cette qualification peut être envisagée aux créations réalisées dans le cadre d’un Living Lab ; dans cette hypothèse, une personne physique ou morale pourra se voir attribuer entièrement la propriété de l’œuvre co-créée dès lors qu’elle l’a éditée, publiée et divulguée sous son nom et sa direction.

Toutefois, cette qualification ne parait pas adaptée et ne semble pas correspondre à la méthode de co-conception employée dans les Living Lab.

En effet, la qualification d’œuvre collective nécessite de démontrer qu’une personne a joué un rôle de coordinateur dans la création de l’œuvre et qu’il est impossible d’attribuer aux autres auteurs un droit distinct sur l’ensemble de l’œuvre réalisée[10]. Or, l’une des caractéristiques essentielles des Living Labs est de promouvoir la valorisation d’une démarche de co-conception, où chacun apporte sa contribution sans recevoir d’instructions ou d’indications particulières à cette fin. La dévolution exclusive de la propriété de l’œuvre co-créée à un auteur paraitrait donc contraire à la méthode et à la réalité du travail effectué dans le cadre de Living Labs.

La qualification juridique idoine demeure donc celle d’œuvre de collaboration.

Néanmoins, il est vrai que les qualifications d’œuvre de collaboration et d’œuvre collective sont d’ordre public et qu’aucune disposition contractuelle ne peut permettre de choisir l’une au détriment de l’autre[11].

En revanche, il reste possible de tenter d’ « influencer » ou « d’orienter » l’office du juge en faveur de l’œuvre de collaboration ; à cette fin, il reviendra de mettre en œuvre tous les moyens probatoires permettant d’identifier et de retracer la contribution personnelle apportée par chaque co-auteur (notamment, en transcrivant sur un support écrit leurs apports personnels) et de s’assurer qu’aucun des co-concepteurs ne donne de directives ou instructions concernant le travail de création des autres auteurs.

 

  1. Moyens d’exploitation possibles des créations issues des Living Labs

 

 

Dans son étude, le Montréal InVivo[12]distingue, notamment, deux types de formes d’appropriation concernant les droits de propriété intellectuelle afférents aux œuvres co-créées :

  • l’une dite « propriétaire» (à l’instar des droits d’auteur) (a),
  • l’autre dite « ouverte» (à l’instar des licence « creative commons ») (b).

 

a / Droits de propriété intellectuelle afférents aux œuvres co-créées : appropriation de type « propriétaire »

 

En droit d’auteur, une œuvre peut faire l’objet d’une exploitation, principalement, au moyen de deux types de contrat :

  • le contrat de cession, et
  • le contrat de licence.

Le premier est consacré à l’article L 122-7 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et son régime juridique aux articles L 131-1 et suivants du CPI ; le second n’est en revanche pas prévu par le CPI en matière de droit d’auteur[13]. De ce fait, le contrat de licence peut emporter diverses qualifications juridiques, celle de « contrat de louage de chose » (s’il est conclu à titre onéreux), celle de « contrat de prêt à usage » (s’il est conclu à titre gratuit) ou même être considéré par certains comme un contrat sui generis (concernant une licence libre)[14].

Les contrats de cession ou licence portent sur les droits patrimoniaux de l’auteur, généralement, sur son droit de représentation et de reproduction ; toutefois, ses droits moraux ne peuvent faire l’objet de tels contrats, et donc d’appropriation (ces derniers étant « attaché à sa personne »[15]).

Il en résulte que les œuvres créées dans le cadre d’un Living Lab peuvent être exploitées via un contrat de licence ou de cession et il conviendra d’indiquer, de manière suffisamment précise, leurs contenus.

De manière générale, lors de la rédaction d’un contrat de licence ou de cession, on prendra soin de stipuler, notamment, une clause sur la répartition et le montant des redevances ou rémunérations distribuées aux auteurs, une clause sur l’étendue et la destination des droits cédés ou concédés, une clause sur le lieu et la durée de l’exploitation ou de la cession des droits etc.

 

b / Droits de propriété intellectuelle afférents aux œuvres co-créées : appropriation de type « ouverte »

 

En droit d’auteur, l’article L 122-7-1 du CPI dispose que « L’auteur est libre de mettre ses œuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu’il a conclues. »

Cette disposition a été introduite par la loi n° 2006-961 du 1 août 2006 qui avait pour vocation de reconnaitre le statut des « creative commons » sans pour autant en déterminer leur régime juridique.

Même si la validité juridique de ces types de licences n’a, à notre connaissance, pas encore officiellement été établie en droit français[16], plusieurs pays se sont déjà engagés dans cette voie (par exemple, les Etats-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore Israël[17]).

De même, dans son avis, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) ne remet pas clairement en question la compatibilité de ces types de licence par rapport au droit de la propriété intellectuelle en France, il préconise toutefois quelques recommandations[18] ; il semblerait donc que pour l’heure, le recours à ce type de licence en France reposerait sur une sorte de modus vivendi ou un système « basé sur la bonne foi »[19].

L’avantage que présente de telles licences est d’assouplir les règles du droit d’auteur en permettant aux auteurs d’autoriser par avance la reproduction, distribution ou communication par des tiers de leur(s) œuvre(s), sous certaines conditions possibles (mention obligatoire du droit à la paternité, interdiction d’en faire une utilisation commerciale, interdiction de la(les) modifier etc.).

Or, ces licences sembleraient correspondre particulièrement à l’une des finalités poursuivie par les Living Labs, à savoir, favoriser l’innovation ouverte[20]en facilitant la diffusion, la recherche et la réutilisation des œuvres co-créées.

Somme toute, la définition et l’appréhension juridique des œuvres co-créées au sein des Living Labs n’étant pas tout à fait certaine à ce jour, il est vivement recommandé de prévoir contractuellement l’exploitation des droits afférents à ces dernières (via des contrats de cession, de licence ou des contrats de licence de type « creative commons ») ; il en résulte que la seule mise en place de règles de gouvernance au sein des Living Labs ne suffit pas, il faut donc déterminer, en amont, les règles conventionnelles d’exploitation relatives aux droits d’auteur.

 

 


 

[1]Montréal InVivo, UMVELT, « Qu’est-ce qu’un Living Lab ? », 1èreédt., mars 2014, p. 11 ; Montréal InVivo est un organisme sans but lucratif de développement économique qui vise à créer un environnement d’affaires propice à l’innovation et au développement des organisations publiques et privées du secteur des sciences de la vie et technologies de la santé.

[2]En matière de santé, il peut s’agir de patients impactés ou non par les produits et/ou services développés, de l’entourage de patients, de professionnels de la santé etc.

[3]Op. cit.Montréal InVivo.

[4]https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cge/Actualites/Synthese-1_web.pdf

[5]Op. cit.Montréal InVivo, p. 69.

[6]Op. cit.Montréal InVivo, p. 96 et 97.

[7]Art. L 113-3, al. 1erCPI.

[8]Art. L 113-3, al. 2 CPI.

[9]Art. L 113-3, al. 3 CPI.

[10]Art. L 113-2, al. 3 CPI.

[11]V. notamment : Cass. Civ. 1ère, 6 mai 2003, n° 01-02.237.

[12]Op cit, Montréal InVivo, p. 19.

[13]En effet, en droit de la propriété industrielle (marques, brevets, dessins et modèles etc.), le contrat de licence est légalement prévu.

[14]M. CLEMENT-FONTAINE, « l’œuvre libre », JCP PLA, Fasc. 1975, 22 Juil. 2014, n°44.

[15]Art. L 121-1 CPI.

[16]La validité de ces licences pourrait, notamment, se heurter au formalisme de l’article L. 131-3 du CPI et surtout au droit moral de l’auteur dont la vocation est d’ordre public

[17]V. notamment : T. GIRAUD, « Juridique – Droit d’auteur – Les licences Creative Commons, une culture du partage », Juris art etc 2014, n°10, p.36.

[18]https://fill-livrelecture.org/wp-content/uploads/2018/01/Rapport-CSPLA-les-licences-libres-dans-le-secteur-culturel.pdf

[19]Veille Droit d’auteur, « Au tour de Google Image de proposer des contenus licenciés creative commons : une garantie suffisante pour le respect des droits d’auteur ? », Comm. com. électr. n° 11, nov. 2009, n° 153.

[20]https://fr.wikipedia.org/wiki/Living_lab