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La décision rendue par le Conseil d’Etat le 8 février dernier était très attendue par le monde hospitalier, secteur public comme secteur privé, chacun espérant qu’il soit fait droit à ses prétentions et à son interprétation.

Mais aussi par les pouvoirs publics dont on peut légitimement reprocher le flottement dans le positionnement depuis plusieurs années et l’incohérence dans les directives données, cet arrêt intervenant dans un contexte de confusion sur l’interprétation de différents textes règlementaires [1].

Si la haute juridiction a tranché une question, cet arrêt ne règle pas tout, contrairement à ce qu’on peut penser.

 

Par Me Jeanne Dartevelle

 

Revenons sur cette décision[2] avant d’en examiner les conséquences sur les contentieux en cours et à venir pour les établissements de santé.

Le contexte est toujours le même : des établissements de santé (le plus souvent privés) font appel aux établissements publics de santé sièges de SAMU-SMUR pour effectuer des transports inter-établissements dits définitifs (le patient ne retourne pas dans l’établissement d’origine ou y retourne plus de 48 heures après son transfert)[3].

Le transport du patient est effectué par la structure mobile d’urgence et de réanimation (transport médicalisé) et l’hôpital facture la prestation à l’établissement à l’origine de la demande du transfert.

Les faits sont identiques à l’ensemble des contentieux en cours ; en l’espèce le centre hospitalier universitaire de Nice, disposant d’une structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), a assuré à la demande de la polyclinique Saint-Jean (établissement de santé privé) le transfert de patients dans d’autres établissements de santé.

Le centre hospitalier a facturé à la clinique les prestations correspondantes à ces transferts.

Saisi par la polyclinique pour faire annuler les titres de recettes correspondants[4], le Tribunal administratif de Nice a accueilli sa demande.

Le CHU a fait appel de la décision et la Cour administrative d’appel de Marseille a partiellement fait droit à la demande du CHU considérant, après avoir rappelé les dispositions de l’article R. 6123-15 du code de la santé publique[5] que « si ces dernières dispositions inscrivent le transfert entre deux établissements de santé de patients nécessitant une prise en charge médicale pendant le trajet ” dans le cadre de l’aide médicale urgente “, il ne saurait en résulter que tout transfert de patient inter-établissements assuré par le SMUR sur le fondement de ces dispositions relève pour autant de l’aide médicale urgente ; que la polyclinique, qui a contesté les seuls titres correspondant à des transferts de patients qui n’ont pas regagné leur établissement d’origine dans les 48 heures, ne le soutient d’ailleurs même pas ; que la seule nécessité d’une prise en charge médicale durant le transfert, même validée par le médecin régulateur, ne permet pas par principe de considérer que le transfert d’un patient d’une structure hospitalière vers une autre relève de l’aide médicale urgente telle qu’elle est définie par l’article L. 6311-1 du code de la santé publique ; qu’il résulte au contraire de la définition de l’aide médicale urgente posée par l’article L. 6311-1 du code de la santé publique que le transfert entre deux établissements de santé d’un patient nécessitant une prise en charge médicale durant le trajet ne relève de l’aide médicale urgente que lorsqu’il a pour objet de faire assurer à ce patient des soins d’urgence appropriés à son état ;

Considérant que si les dépenses correspondant aux missions d’aide médicale urgente réalisées par les SMUR peuvent être financées par la dotation nationale de financement MIGAC, il n’en va pas de même des dépenses correspondant à des prestations réalisées par les SMUR et ne relevant pas de l’aide médicale urgente ; qu’ainsi, le transfert entre deux établissements de santé, assuré par le SMUR, d’un patient nécessitant une prise en charge médicale durant le trajet mais n’ayant pas pour objet de faire assurer à ce patient, dans l’établissement de destination, des soins d’urgence appropriés à son état ne saurait être éligible à ce type de financement ; qu’un tel transfert a, dès lors, vocation à être facturé sur la base des tarifs de prestations arrêtés par le directeur général de l’agence régionale de santé dans les conditions posées par les articles  R. 6145-21 et suivants du code de la santé publique et 4 et 5 du décret du 23 février 2009 ;»[6].

Ainsi, selon la Cour la régulation médicale ne saurait faire présumer une situation d’urgence et il appartient à l’établissement gestionnaire de la SMUR de démontrer l’existence d’un contexte d’urgence.

Cette analyse in concreto (et dans la continuité de la jurisprudence administrative antérieure) est censurée par le Conseil d’Etat qui écarte le débat lié au contexte d’urgence en jugeant que :

« Les établissements de santé autorisés à prendre en charge des patients accueillis dans une structure des urgences sont responsables, lorsqu’elle est médicalement nécessaire, de l’orientation de ces personnes vers l’établissement de santé apte à les prendre en charge, en liaison avec le SAMU. Dans un tel cas, le transport du patient vers cet établissement peut être assuré, conformément à l’article R. 6311-2 de ce code, en faisant appel, selon les besoins du patient, à une entreprise privée de transport sanitaire ou à un service public, notamment à leur propre structure mobile d’urgence et de réanimation s’ils en ont une ou celle d’un autre établissement. La décision de transporter un patient par une structure mobile d’urgence et de réanimation, qui ne peut agir que dans le cadre de sa mission de service public d’aide médicale urgente, limitativement définie à l’article R. 6123-15 du code de la santé publique, est prise, sous sa responsabilité, par le médecin régulateur du SAMU, qui a estimé cette intervention médicalement justifiée au regard de l’état du patient.

La cour administrative d’appel de Marseille a jugé que le transfert d’un patient entre deux établissements assuré par une structure mobile d’urgence et de réanimation ne relevait pas nécessairement de l’aide médicale urgente telle qu’elle est définie par l’article L. 6311-1 du code de la santé publique, ce dont elle a déduit que certaines des interventions d’une telle structure, au seul motif que le transfert n’avait pas pour objet de faire assurer au patient des soins d’urgence dans l’établissement de destination, ne relevaient pas d’un financement par la dotation nationale de financement des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, mentionnée aux articles L. 162-22-13 et D. 162-6 du code de la sécurité sociale, au titre de l’aide médicale urgente. En statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit dès lors, ainsi qu’il résulte du cadre juridique précisé ci-dessus, qu’une structure mobile d’urgence n’intervient que dans le cadre de sa mission de service public d’aide médicale urgente, sur décision du médecin régulateur du SAMU. »

Les Hauts magistrats, retenant une erreur de droit de la Cour administrative d’appel, considèrent donc qu’une structure mobile d’urgence n’intervient que dans le cadre de sa mission de service public d’aide médicale urgente, sur décision du médecin régulateur du SAMU.

Mais c’est bien la limite du droit.

Car en l’espèce le cœur du problème (le nerf de la guerre…) n’est pas tant de savoir si les transports secondaires définitifs relèvent ou non de la mission de service public de l’aide médicale urgente mais de s’assurer de leur financement.

Tirant les conséquences de cette décision, le Ministère des affaires sociales et de la santé a invité les établissements publics de santé sièges de SMUR à ne plus émettre des titres de recettes relatifs à des transports SMUR secondaires dits définitifs, ces derniers étant, selon lui, financés par la dotation Missions d’Intérêt Général et d’Aide à la Contractualisation (MIGAC)[7].

Il est indiqué qu’en contrepartie de la suppression des facturations de transports SMUR secondaires, la MIG SMUR est abondée à compter du 1er mars 2017 d’un montant complémentaire de 60,3 millions d’euros en année pleine.

Par ailleurs, le Décret n° 2017-390 du 23 mars 2017 relatif au financement des services d’aide médicale urgente (SAMU) et des structures mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) est venu modifier les textes en vigueur pour les clarifier et écarter toute divergence d’interprétation.

Ainsi le j du 2° de l’article D. 162-6 du code de la sécurité sociale est remplacé par les dispositions suivantes :

« L’aide médicale urgente constituée des missions des services d’aide médicale urgente mentionnées aux articles R. 6311-2 et R. 6311-3 du code de la santé publique et de l’ensemble des interventions des structures mobiles d’urgence et de réanimation mentionnées au 2° de l’article R. 6123-1 du même code, quel que soit le lieu de prise en charge du patient ; ». Alors que selon son ancienne rédaction, ce texte prévoyait : « j) L’aide médicale urgente réalisée par les services d’aide médicale urgente et les services mobiles d’urgence et de réanimation respectivement mentionnés aux articles L. 6112-1 et R. 6123-10 du code de la santé publique ; »

Désormais, toute intervention du SMUR a clairement vocation à être financée par la dotation MIGAC, sans distinction de transports primaires ou secondaires ni de provisoires ou définitifs. Dont acte.

Si le problème semble réglé pour l’avenir (resterait cependant à apprécier si les coûts des SMUR sont bien pris en charge et à quel niveau[8]), il ne l’est pas du tout à notre sens s’agissant des contentieux en cours dont l’objet est la contestation de titres relatifs à des transports effectués avant le 1er mars 2017.

Nous avons déjà eu l’occasion de constater que les tribunaux saisis font application de cette nouvelle jurisprudence.

Or, dans le cadre de ces instances, les établissements de santé qui contestent les facturations soutiennent que les frais de transports occasionnés lors d’une prise en charge par une SMUR sont systématiquement couverts par la dotation de financement des missions d’intérêt général perçue  par le Centre Hospitalier siège du SAMU-SMUR dès lors qu’il est titulaire de l’autorisation d’activité prévue à l’article R 6122-25 14[9], conformément à l’article L162-22-13 du code de la sécurité social et la circulaire n°2013-57 du 19 février 2013 relative au guide de contractualisation des dotations finançant les missions d’intérêt général (MIG).

Mais dans les faits, la mission d’intérêt général relative aux transports secondaires demandés par les établissements de santé, publics ou privés, était financée d’une part par les dotations MIG-SMUR destinées à couvrir les charges fixes des SMURS et d’autre part par la facturation des transports secondaires aux établissements demandeurs de ces transports[10].

Ainsi la dotation MIG-SMUR a été fixée en tenant compte des recettes encaissées au titre de ces transports secondaires, ce que confortent les prises de position et textes récents.

Outre l’instruction précitée du 15 mars 2017, la circulaire n° DGOS/R1/2017/164 du 9 mai 2017 relative à la campagne tarifaire et budgétaire 2017 des établissements de santé prévoit :

« MIG SMUR

 

Les montants de la JPE SMUR alloués aux ARS en 2017 correspondent à la deuxième année de lissage des effets revenus de la réforme du financement des Urgences-SMUR mise en œuvre à partir de 2016. La JPE SMUR 2017 est ainsi calculée pour chaque ARS en appliquant 40 % de l’écart entre la MIG SMUR modélisée et le montant de référence pour le lissage de l’effet revenu, à savoir pour chaque région le montant débasé en 2016 auquel sont ajoutés les montants des mesures nouvelles 2016 et 2017.

Au total les mesures nouvelles 2017 abondant la MIG SMUR représentent 51.9 millions d’euros. Il s’agit pour l’essentiel de l’abondement lié à la suppression de facturations de SMUR secondaires (50.2 m€), ainsi que de mesures techniques.

En effet l’instruction N° DGOS/R2/2017/90 du 15 mars 2017 relative aux pratiques de facturation inter-établissements des transports SMUR secondaires précise que les facturations inter- établissements des transports SMUR secondaires, dès lors qu’il y a sortie du SMUR, n’ont plus cours à compter du 01/03/2017. En cohérence, la MIG SMUR est abondée d’un montant correspondant à 60,3M€ en année pleine. Il s’agit du montant retenu au titre des facturations de SMUR secondaire dans le cadre de la modélisation mise en œuvre à partir de 2016.

Applicable à partir du 1er mars 2017, l’abondement de la MIG SMUR sera réparti prorata temporis sur les années 2017 et 2018 : abondement de 10/12e en 2017, et abondement des 2/12e restants en 2018.

Force est de constater que la dotation n’était manifestement pas conçue pour couvrir l’activité des transports SMUR primaires et secondaires définitifs[11], ce sur quoi le Conseil d’Etat ne se prononce pas.

Or, empêcher les établissements de santé de facturer les transports inter établissements définitifs alors qu’ils n’étaient pas financés pose question notamment au regard de l’exigence de bon emploi des deniers publics.

Cela revient à admettre que les établissements sont tenus de rendre gratuitement des services à d’autres opérateurs de santé.

Si le Conseil d’Etat devait être à nouveau saisi, accueillerait-il ces arguments ? Nous ne le savons pas.

Une réponse sur le « passé » (les titres correspondant aux transports SMUR secondaires définitifs antérieurs au 1er mars 2017), qu’elle soit politique ou juridique, doit en tout état de cause être rapidement apportée car des établissements gestionnaires de SMUR pourraient se voir réclamer des montants « indûment » perçus…

 

 

[1] Dans sa dernière instruction (DGOS/R2 no 2015-378 du 23 décembre 2015 relative aux pratiques de facturation inter-établissements des transports SMUR secondaires), publiée entre l’arrêt de la CAA de Marseille et celui du CE, la DGOS avait pris le soin d’indiquer  « interprétation à retenir, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge, lorsque l’analyse de la portée juridique des textes législatifs ou réglementaires soulève une difficulté particulière. »

[2] Arrêt du Conseil d’Etat, 08 février 2017, n° 393311.

[3] On relèvera d’emblée que la distinction, au sein des transports inter établissements, des transports dits provisoires à ceux dits définitifs n’est pas prévue par les textes et a été introduite par une simple circulaire.

[4] Plus précisément un titre de recettes et de cinquante-quatre avis de sommes à payer valant titres exécutoires émis à son encontre par le CHU pour un montant total de 48 551,62 euros.

[5] « Dans le cadre de l’aide médicale urgente, la structure mobile d’urgence et de réanimation mentionnée à l’article R. 6123-1 a pour mission : / 1° D’assurer, en permanence, en tous lieux et prioritairement hors de l’établissement de santé auquel il est rattaché, la prise en charge d’un patient dont l’état requiert de façon urgente une prise en charge médicale et de réanimation, et, le cas échéant, et après régulation par le SAMU, le transport de ce patient vers un établissement de santé. /2° D’assurer le transfert entre deux établissements de santé d’un patient nécessitant une prise en charge médicale pendant le trajet. (…) ».

[6] CAA de Marseille, N° 15MA00226, considérants 9 et 10.

[7] Instruction N° DGOS/R2/2017/90 du 15 mars 2017 relative aux pratiques de facturation inter-établissements des transports SMUR secondaires.

[8] ATIH – Notice technique PMSI 2016 n°cim-mf-1263-9-2015 : « Dans le cadre des travaux pour la réforme du financement des urgences, il a été estimé nécessaire de recueillir des informations concernant l’activité des SMUR. Dans cette optique il est mis en place, à partir de 2016, un FICHSUP SMUR.

(…)

Les informations recueillies sont les suivantes :

  • Numéro FINESS d’inscription ePMSI de l’établissement où le SMUR est implanté ;
  • FINESS géographique de l’établissement où le SMUR est implanté ;
  • Nombre de sorties primaires ;
  • Nombre de sorties secondaires ;
  • TIIH (transfert infirmier inter-hospitalier), réalisés avec les moyens du SMUR».

[9] Article R 6122-25 14° du code de la santé publique « Sont soumises à l’autorisation prévue à l’article L. 6122-1 les activités de soins, y compris lorsqu’elles sont exercées sous la forme d’alternatives à l’hospitalisation, énumérées ci-après :

[…] ;

14° médecine d’urgence […] ».

[10] A cet égard on rappellera le texte de la circulaire CNAMS de 21 juillet 1987 dont l’objet est la diffusion de la circulaire interministérielle 87 H 345 du 6 juillet 1987 apportant des précisions sur les dispositions réglementaires applicables aux activités nouvelles financées par dotation globale à compter du 1er janvier 1987 précisait que :

« Depuis le 1er janvier 1987, les dépenses de fonctionnement des SMUR sont pour partie couvertes par la dotation globale de financement.

Les modalités de facturation et de prise en charge qui en découlent sont les suivantes :

1/ Modalités de facturation

En cas de sortie primaire du SMUR, dans le cadre de sa mission de service public, les frais doivent être inclus dans les dépenses de fonctionnement de l’établissement qui gère le SMUR et couverts par la dotation globale de financement.

Dans le cas d’une sortie secondaire, les frais sont à la charge de l’établissement demandeur. La facturation des soins de l’établissement gérant le SMUR est établie à destination de l’établissement demandeur qui les répercute dans ses dépenses de fonctionnement (établissement en dotation globale) ou la facture en sus du tarif journalier (clinique privée) ».

[11] La facturation des transports SMUR inter-établissements provisoires aux établissements demandeurs n’a jamais posé de difficulté.