CPTS : Quid de l’indemnisation de ses membres ?
Article rédigé le 11 novembre 2024 par Me Marine Jacquet
Lancées dans le cadre du plan ma Santé 2022, les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (ci-après CPTS) est un mode d’organisation territorial de la santé porté par les professionnels de santé libéraux. Le président de la République portait comme objectif de couvrir 100 % de la population par une CPTS d’ici fin 2023.
En janvier 2024, l’objectif est partiellement atteint. Il peut être dénombré sur le territoire 546 CPTS en fonctionnement et 208 en cours de création ou en attente de financement, soit au total 85% du territoire est couvert ou va être prochainement couvert par un CPTS (cartographie du ministère).
Néanmoins, au quotidien, ces structures nouvelles demeurent confrontées à des problématiques juridiques récurrentes, comme la rémunération de ses membres.
Nous vous proposons d’examiner plus avant cette question.
Retour sur le cadre juridique dérogatoire applicable à la CPTS
Conformément à l’article L1434-12-1 du code de la santé publique, une CPTS est constituée obligatoirement sous la forme d’une association non lucrative régie par la loi du 1er juillet 1901.
Conformément à l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901, l’association : ” l’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices.”
Une association, ne pouvant avoir pour but « de partager des bénéfices », sa gestion doit être désintéressée. En d’autres termes, elle doit être dirigée, en principe, par des bénévoles ou, à tout le moins, rémunérer ses dirigeants sous certaines limites.
Or, la CPTS perçoit directement des financements de l’assurance maladie sur la base de l’accord conventionnel interprofessionnel (ci-après ACI) servant à rétribuer les actions des membres pour la mise en œuvre des missions définies dans son projet de santé.
Elle doit donc pouvoir rétribuer ses membres au titre des actions menées.
C’est pourquoi, une dérogation fiscale spécifique a été intégrée pour la CPTS.
Cette dérogation permet de verser plus que la tolérance habituelle fiscale des ¾ SMIC*. Elle se justifie eu égard aux missions de service public poursuivies par la CPTS et permet d’indemniser / rémunérer les membres dans la limite par année civile de « la valeur annuelle du plafond mentionné à l’article L. 241-3 du code de la sécurité sociale », soit la valeur dite du PASS, représentant au 1er janvier 2024, 46 368 € .
Rappel sur la tolérance fiscale du régime des ¾ du Smic
La rémunération de chaque dirigeant ne doit pas dépasser les ¾ du Smic qui est un seuil de tolérance de l’administration fiscale pour ne pas retenir que la gestion de l’association n’est plus désintéressée. L’association qui ne respecte pas cette limite perd son caractère non lucratif et peut être soumise aux impôts commerciaux.
Par rémunération, il convient d’entendre le versement de sommes d’argent ou l’octroi de tout autre avantage consenti par l’organisme ou l’une de ses filiales. Sont notamment visés les salaires, honoraires et avantages en nature, et autres cadeaux, de même que tout remboursement de frais dont il ne peut être justifié qu’ils ont été utilisés conformément à leur objet.
L’ensemble de ces conditions s’applique y compris lorsque la rémunération est la contrepartie d’une activité effective exercée par la personne concernée au sein de l’organisme à un titre autre que ses fonctions de dirigeant.
Ainsi, le fait qu’une association verse une rémunération substantielle à son président confère à son activité le caractère d’une exploitation lucrative, alors même que la somme allouée serait la contrepartie normale de services rendus par le bénéficiaire indépendamment de l’exercice de ses fonctions de président (CE, arrêt du 28 avril 1986, n° 41125). (points 100, 140 et 160, – Bofip-Impôts n°BOI-IS-CHAMP 10-50-10-20 relatif aux critères généraux d’appréciation de la non-lucrativité des organismes privés autres que les sociétés
Les limites du dispositif dérogatoire
Si la CPTS bénéficie d’un régime dérogatoire plus favorable. Ce dernier connait des écueils qu’il conviendrait rapidement de lever pour sécuriser les porteurs de projet.
Plus précisément, aux termes de l’article D. 1434-44 du code de la santé publique :
« La communauté professionnelle territoriale de santé constituée dans les conditions de l’article L. 1434-12 peut verser, en application de l’article L. 1434-12-1, des indemnités ou des rémunérations au profit de ses membres.
Les indemnités mentionnées à l’alinéa précédent sont déterminées de manière à compenser la perte de revenus subie par les membres en raison des fonctions qu’ils exercent au sein de la communauté professionnelle territoriale de santé. Les rémunérations mentionnées au même alinéa correspondent à la contrepartie de la participation des membres à la réalisation des missions de service public de la communauté professionnelle territoriale de santé.
Pour chaque professionnel, membre de la communauté ou exerçant dans une structure adhérente à la communauté, la somme totale des indemnités ou rémunérations perçues en application du présent article durant une année civile ne peut excéder la valeur annuelle du plafond mentionné à l’article L. 241-3 du code de la sécurité sociale.»
En d’autres termes, à ce jour, le texte distingue :
• Les rémunérations, qui constituent la « contrepartie de la participation des membres à la réalisation des missions de service public » de la CPTS, lesquelles sont limitativement énumérées par l’article L. 1434-12-2 du Code de la santé publique et sont :
- L’amélioration de l’accès aux soins ;
- L’organisation de parcours de soins associant plusieurs professionnels de santé ;
- Le développement d’actions territoriales de prévention ;
- Le développement de la qualité et de la pertinence des soins ;
- L’accompagnement des professionnels de santé sur leur territoire ;
- La participation à la réponse aux crises sanitaires.
• Et les indemnités qui doivent permettre de compenser la perte de revenus subie par les membres en raison des fonctions qu’ils exercent au sein de la CPTS. Il en résulte que plusieurs critères doivent nécessairement guider l’attribution d’une indemnité :
- Le temps effectivement consacré à la CPTS (constitution, gestion courante, etc.) ;
- La perte de revenu générée par le temps consacré à la CPTS.
Il s’ensuit qu’en l’état du texte, le montant de l’indemnité versée ne peut être fixée sur une base horaire unique applicable à l’ensemble des professionnels et décorrélé du temps réellement consacré.
Ce premier point peut être discutable et peut poser difficulté sur pour certains porteurs de projets qui entendent, par souci d’équité, valoriser sur la même échelle toutes les catégories professionnelles.
En outre, quid de la méthode de calcul appliquée pour évaluer la « perte de revenus du professionnel ».
Le décret n’apporte aucune précision en ce sens. Cette dernière doit-elle être nécessairement individualisée ou est-il possible d’indemniser par le biais d’un taux horaire moyen par profession (exemple : le système des ICPA) ?
Par ailleurs, comment valoriser le travail généralement mené en soirée après 20h ? Peut il être en effet retenu qu’il y ait perte de revenu en dehors des heures d’ouverture des cabinets ? Et quid de la valorisation du travail des retraités ?
À défaut de précision à ce jour de l’administration fiscale, la lettre du texte impliquerait de procéder par le biais d’une individualisation des taux horaire de chacun des professionnels consacrant du temps à la gestion de la CPTS. Aussi, et dans l’attente de précisions réglementaires ou de précisions de l’administration fiscale, la sécurité juridique commanderait de poser les principes directeurs suivants au sein de la CPTS :
- Définir le taux horaire de chacun des professionnels ayant vocation à intervenir dans la gestion de la CPTS ;
- Conserver l’ensemble des justificatifs liés aux temps effectivement passés par chacun des professionnels permettant sa traçabilité (registre détaillé, justificatifs et émargement) ;
- En toute orthodoxie juridique et à défaut de précision contraire, de convenir, que le temps consacré à la gestion de la CPTS ne doit pas empiéter sur le temps « libre » de ses adhérents, ce temps ne donnant, par principe, pas lieu à indemnisation (exemple réunion au-delà de 20h) vigilance également pour les retraités qui ne sont pas en situation de « perte de revenu » sauf cas particuliers.
Le régime actuel est donc insatisfaisant et source d’insécurité pour les professionnels.
Des précisions doivent donc être apportées pour éviter ces écueils, valoriser à juste titre le travail des équipes sur le terrain et favoriser ainsi un déploiement des CPTS sur le territoire.
Marine JACQUET, avocate associée, exerce au sein du Cabinet HOUDART ET ASSOCIÉS depuis 2011.
Maître Jacquet se consacre plus particulièrement aux problématiques relatives aux ressources humaines au sein du Pôle social du cabinet, Pôle spécialisé en droit du travail, droit de la sécurité sociale, droit public et droit de la fonction publique.
Présentant une double compétence en droit du travail et en droit de la fonction publique, elle conseille quotidiennement depuis 7 ans les établissements de santé privés comme publics, les établissements de l’assurance maladie, les acteurs du monde social, médico social et les professionnels de santé libéraux notamment sur la gestion de leurs personnels, leurs projets et leur stratégie en s’efforçant de proposer des solutions innovantes.
Elle accompagne ces acteurs sur l’ensemble des différends auquel ils peuvent être confrontés avec leur personnel (à titre d’exemple, gestion d’accusation de situation d’harcèlement moral ou de discrimination syndicale, gestion en période de grève, gestion de l’inaptitude médicale, des carrières et contentieux y afférents, procédures disciplinaires ou de licenciement, indemnités chômage …etc).