Scroll Top
La liaison du contentieux indemnitaire
Partager l'article



*




LA LIAISON DU CONTENTIEUX INDEMNITAIRE : UN PAS EN AVANT, DEUX PAS EN ARRIÈRE

Article rédigé le 29 avril 2019 par Me Jessica Phillips

Par un avis contentieux du 27 mars 2019, le Conseil d’Etat a procédé à une attendue, mais critiquable, interprétation de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, en admettant une possible liaison du contentieux en cours d’instance en matière indemnitaire.

Le texte

Il s’agissait de l’une des mesures phares du décret JADE du 2 novembre 2016. L’article R. 421-1 du code de justice administratif a été rédigé en ces termes :

« Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle ».

La portée attendue : l’irrecevabilité renforcée

 

Ces dispositions semblaient étendre l’impératif d’une décision administrative préalable liant le contentieux en matière indemnitaire, et faire obstacle, sous peine d’irrecevabilité, à ce qu’un requérant saisisse le juge du plein contentieux sans avoir au préalable formulé une demande à l’appui de ses prétentions auprès de l’administration.
Jusqu’alors, le juge administratif interprétait beaucoup plus souplement cette exigence d’une décision administrative préalable, en admettant une régularisation en cours d’instance.
Les nouvelles dispositions invitaient donc à une certaine mesure et patience, et favorisaient la cohérence des relations entre l’administration et ses administrés.
Cela favorisait un dialogue amiable, et limitait un encombrement inutile des juridictions.
L’administré qui souhaitait obtenir quelque chose de l’administration, en l’occurrence une somme d’argent, devait, avant toute chose, se rapprocher de cette dernière, principale intéressée.
L’administration disposait quant à elle d’un délai raisonnable lui permettant de se prononcer avant toute saisine juridictionnelle.
La juridiction, enfin, ne s’immisçait pas de manière anticipée dans le processus décisionnel, et n’était saisie qu’en dernier recours, en cas de réponse explicite ou implicite de rejet, autrement dit, une fois que l’administration avait été mise à même de se prononcer.

La réponse du Conseil d’État : la possible régularisation en cours d’instance

Pourtant, saisi d’une demande d’avis sur une question de droit par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, le Conseil d’Etat considère que ces dispositions ne font pas obstacle à une régularisation en cours de procédure.
En conséquence, alors même qu’aucune décision n’a encore été rendue par l’administration (qu’elle soit expresse ou implicite), le requérant qui s’est tourné vers elle en vue d’obtenir le paiement d’une somme d’argent peut saisir, sans être irrecevable, le juge administratif.
Pis encore, alors même que le requérant ne s’est pas encore donné la peine de formuler à l’administration une telle demande, il peut saisir, toujours sans être irrecevable, le juge administratif.
Le Conseil d’Etat considère en effet que les nouvelles dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administratif s’interprètent au moment où le juge statue, et non pas au moment de sa saisine.
Cette interprétation est surprenante.
Elle apparait bien loin de l’esprit du texte, qu’elle vide quelque peu de sa substance.
Pourquoi subordonner réglementairement la recevabilité d’une requête à l’intervention d’une décision administrative préalable, si c’est pour permettre au requérant de saisir en toute impunité le juge sans avoir au préalable ne serait-ce que sollicité l’administration d’une demande à l’appui de ses prétentions ?
Elle risque, en outre et surtout, de systématiser la saisine du juge, et d’encombrer inutilement les juridictions, alors même que les décisions à intervenir pourront tout aussi bien aller dans le sens des requérants, et admettre leurs demandes.
Fort heureusement, le Conseil d’Etat a assorti cette interprétation d’un garde-fou : si au moment où le juge statue aucune décision n’est intervenue, le requérant sera, enfin, irrecevable.
Espérons que cette limite suffise à assurer la cohérence et l’efficacité du processus décisionnel et juridictionnel.
Toujours est-il que les établissements publics de santé doivent tirer les conséquences de cet avis, et intégrer qu’il sera désormais loisible pour un administré de saisir concomitamment, et en toute régularité, l’administration et les juridictions administratives.

 


 

1 – Conseil d’Etat, 27 mars 2019, n°426472 du 27 mars 2019
2 – Décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016 portant réforme du code de la justice administrative
3 – Article L. 113-1 du code de justice administrative présentée

Jessica Phillips est avocate collaboratrice au sein du cabinet depuis 2019, et intervient principalement sur les dossiers de conseils et de contentieux en droit public et droit de la commande publique.

Elle réalise des audit Marchés publics pour les acheteurs.

Elle assure également des formations en droit de la commande publique au profit des agents en charge de la passation et l’exécution des marchés publics.

Jessica Phillips possède une Spécialisation droit public - Qualification spécifique droit de la commande publique.