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RÉFORME DE LA FONCTION PUBLIQUE ? PREMIER BILAN MITIGÉ DE LA COUR DES COMPTES

 

Article rédigé le 14 mars 2024 par Marie COURTOIS

 

Alors que reconduit en février dernier par le nouveau gouvernement, le ministre de la fonction publique est chargé de relancer la vaste réforme de la fonction publique, revenons sur le bilan de la précédente réforme de 2019 pour mieux entrevoir l’avenir de la fonction publique qui nous sera proposée.

Le 8 novembre dernier, la Cour des comptes a publié son rapport sur la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019. Elle y dresse un premier bilan de cette réforme de la fonction publique et il en résulte un constat mitigé qu’il s’agisse de recours aux contractuels, de fluidification du marché de l’emploi public ou de temps de travail.

 

Que dit la cour des comptes ? Quel est son constat et ses recommandations ?

Examinons cela point par point.

LES NOUVEAUX DISPOSITIFS DE RECRUTEMENT DES AGENTS CONTRACTUELS SONT ENCORE PEU UTILISÉS

 

Depuis plusieurs années, l’attractivité de l’emploi public diminue. L’Etat recrute de moins en moins de fonctionnaires par la voie des concours, délaissés par les candidats. Par conséquent, l’entrée dans la fonction publique s’est réinventée laissant une très grande place au recrutement par voie contractuelle. La proportion des agents contractuels ne cesse d’augmenter dans les fonctions publiques d’état (20%) territoriale (22%) et hospitalière (22,5%).

Dans cette conjoncture, la loi du 6 août 2019 accroit les facultés des employeurs publics à recruter des agents sous contrats mais, selon la Cour des comptes, ces facultés n’ont pas été suffisamment utilisées.

 

Quelles sont les facultés accordées par la loi aux employeurs ?

 

  1. La possibilité de recruter directement les agents contractuels en CDI.

 

Avant 2019, dans la fonction publique d’Etat, les administrations d’Etat étaient autorisés à recourir à ce primo-recrutement en CDI, uniquement pour pourvoir des emplois permanents pour lesquelles aucun corps de fonctionnaires n’existait et seuls pouvaient en bénéficier les agents de catégorie A. Dans la fonction publique hospitalière, le recrutement en CDI est expressément autorisé depuis 2005.

Depuis 2019, cette possibilité est ouverte dans les trois versants de la fonction publique à tous les agents contractuels, quelle que soit leur catégorie, « lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient ». C’est le cas lorsque les fonctions attribuées nécessitent des compétences techniques spécialisées ou nouvelles et lorsque la procédure de recrutement d’un titulaire s’est révélée infructueuse. Cette possibilité est également ouverte pour pourvoir des emplois dont les fonctions ne nécessitent pas une formation statutaire obligatoire à l’entrée dans le métier.

La cour des comptes fait remarquer que dans la fonction publique de l’Etat, le chiffre de primo-recrutés a sensiblement progressé en 2021 (477 contre 195 en 2020) mais 76% de cette augmentation repose sur le seul ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur. Ce résultat est modeste à l’échelle de la FPE.

Comment expliquer cette faible utilisation du primo-recrutement en CDI ? La Cour des comptes liste des facteurs : la conclusion du CDI n’est parfois pas déconcentrée, la période d’essai d’un mois est jugée trop courte, le CDI pose des conditions trop rigides en termes de licenciement et surtout ce primo- recrutement en CDI est facultatif.

 

  1. L’ouverture des emplois contractuels pour les postes de direction.

 

Avant 2019, dans la fonction publique territoriale, seuls certains postes d’encadrement supérieur des collectivités territoriales de plus de 80 000 habitants étaient ouverts aux agents contractuels. Depuis 2019, il est possible de recourir à un agent contractuel pour tous les emplois de direction de l’Etat, tous les emplois de ses établissements publics et les emplois supérieurs hospitaliers.

Dans la fonction publique hospitalière, la loi de 2019 autorise le recrutement d’agents contractuels aux emplois fonctionnels de directeurs, chefs d’établissement et directeurs adjoints. Cette possibilité ne s’est pourtant traduite que par le recrutement d’un directeur d’hôpital et de quatre chefs d’établissements médico-sociaux. En effet, les fonctions de directeurs d’établissement de santé nécessitent des compétences spécifiques qui justifient qu’il soit fait appel à des fonctionnaires déjà formés à l’EHESP.

La Cour des comptes regrette que ces contrats ne soient que peu sollicités.

 

  1. La création d’un contrat de projet.

 

La loi du 6 août 2019 a créé un contrat de projet, CDD spécifique à la fonction publique, codifié aux articles L.332-24 à L.332-26 du code général de la fonction publique. Il permet aux employeurs publics de recruter des profils adaptés de toutes catégories (A, B et C) pour mener à bien un projet ou une opération spécifique s’inscrivant dans une durée limitée, dont le terme n’est pas nécessairement connu à l’avance.

La cour des comptes constate que ce nouvel outil a été utilisé de manière hétérogène. Au sein de la fonction publique d’Etat (FPE), les ministères chargés de l’enseignement supérieur et de la justice y ont eu fréquemment recours pour des projets immobiliers, informatiques ou numériques, à l’inverse, le ministère de la culture n’a conclu aucun contrat de projet. En totalité, seulement 1900 contrats de projet ont été conclus par les ministères en 2021.

Devant l’accroissement des effectifs contractuels, la cour des comptes incite les acteurs à rechercher un cadre de gestion approprié à ces personnels. Dans ces recommandations, elle énonce la nécessité de développer et mettre en œuvre un cadre de gestion pour le parcours professionnel et la rémunération des fonctionnaires et agents contractuels dès lors que le métier s’y prête.

 

LES « TIMIDES PROGRÈS » RÉALISÉS QUANT À LA FLUIDITÉ DES PARCOURS PROFESSIONNELS DES AGENTS PUBLICS

 

Afin de renforcer l’attractivité des carrières dans la fonction publique, la LFTP est intervenue pour « favoriser la mobilité et accompagner les transitions professionnelles des agents publics ». Cela s’est traduit par notamment par l’élargissement du recrutement sur titres dans la fonction publique territoriale (Article 89) et l’organisation de concours à vocation locale (Article 87), la mise en œuvre de lignes directrices de gestion (Article 25) et l’institution à titre expérimental de la rupture conventionnelle des fonctionnaires (Article 72).

 

Selon la Cour des comptes, la fluidité souhaitée des modes de recrutement statuaires et des parcours professionnels dans la fonction publique est encore bridée par de nombreux freins :

  • La rénovation globale des concours est toujours en attente :
    • Le déploiement du concours national à affectation locale (CNAL) dans la fonction publique de l’Etat est trop peu usité.
      • Il présente pourtant des avantages : il offre au candidat une garantie d’être affecté dans une zone géographique déterminée. Cette garantie permet de lutter contre le déficit d’attractivité de certains territoires et prévient ainsi les potentiels freins à l’intégration du lauréat.
      • La cour des comptes regrette que cette modalité de recrutement ne soit que marginale : elle a représenté 3,4 % des potes ouverts aux concours dans la FPE en 2020.
    • Le concours sur titre, s’il s’est largement déployé au sein de la fonction hospitalière (pour les médecins, infirmiers, sages-femmes), n’est pas utilisé dans la fonction publique d’Etat et territoriale.

De façon plus générale, il parait nécessaire selon la Cour des comptes, « de revoir la nature, le contenu et le rythme des épreuves afin, d’une part de mettre un terme aux décalages entre certaines d’’entre elles et la nature des missions que les candidats seront amenés à exercer et d’autre part, de l’adapter aux besoins des employeurs publics et de renforcer l’attractivité des concours ».

 

  • Les nouvelles modalités de mobilité ne sont pas pleinement satisfaisantes :
    • Les lignes directrices de gestion, désormais applicables dans les trois versants de la fonction publique, vise notamment à définir les orientations générales en matière de mobilité. Elles peuvent prévoir des « priorités de mutation » pour les proches aidants ou pour les agents ayant exercé « dans une zone géographique connaissant des difficultés particulières de recrutement ». Elles font, toutefois, l’objet d’une application partielle.
    • La mobilité entre fonctions publiques pose encore des difficultés. La capacité à développer des mobilités entre les trois versants de la fonction publique se heurte à des obstacles techniques :
      • Des écarts dans les régimes indemnitaires pour des fonctions comparables.
      • Un défaut d’identification des acteurs ou des aspirations des agents : les agents publics ne sont pas suffisamment informés de leurs perspectives d’évolution au sein de la fonction publique.
      • Une méconnaissance des besoins des employeurs en matière de recrutement.

Toutefois, pour résoudre ces difficultés, des expérimentations ont été lancées dans six régions en 2022 en vue du déploiement de comités locaux d’emploi public associant des représentant des trois versants de la fonction publique ayant pour mission d’élaborer des mesures ciblées pour renforcer l’attractivité territoriale. Leur efficacité n’est pas encore démontrée compte tenu de l’absence de recul.

    • Les outils conçus pour faciliter les transitions professionnelles vers le secteur privé doivent être amplifiés selon la Cour des comptes :
      • La loi du 6 août 2019 a organisé la possibilité d’un détachement d’office pour les fonctionnaires affectés à des missions ou services externalisés vers une personne morale de droit privé ou de droit public gérant un service public industriel et commercial. L’agent détaché bénéficie alors de garanties en termes de rémunération et de réintégration dans son cadre d’emplois d’origine si son contrat prend fin ou est rompu.
      • La LTFP permet aussi l’accompagnement des agents en cas de restructuration ou de suppression d’emploi. 52 000 agents ont bénéficié de cet accompagnement personnalisé en 2020. La Cour des comptes n’en donne aucune analyse à défaut d’éléments de bilan.
      • Afin de renforcer et de professionnaliser le recrutement, un travail sur la visibilité des offres d’emplois a été engagé. La plateforme de publication des offres d’emploi pour les trois versants de la fonction publique « Place de l’emploi public » créé en février 2019, gagne peu à peu en visibilité. En 2021, plus de 250 000 offres ont été publiées sur le site : 65% d’entre elles intéressaient la fonction publique territoriale, 34%, la fonction publique de l’Etat et seulement 1% la fonction publique hospitalière. La cour des comptes explique cette disparité par les règles applicables à la publication des offres d’emplois et à l’absence d’interface automatique entre la bourse à l’emploi de la fédération hospitalière de France et le site de la PEP rebaptisé en mai 2023 « Choisir le service public».

 

  • La rupture conventionnelle a fait l’objet d’une appropriation rapide par les fonctionnaires mais elle constitue un poids trop lourd pour l’administration.
    • Ce nouveau dispositif permet à tout agent public permanent de quitter définitivement la fonction publique, moyennant le versement d’une indemnité spécifique de rupture conventionnelle (ISRC). Il connait un succès particulièrement important chez les fonctionnaires âgés de 50 à 62 ans. Selon la DGfiP, 5 279 agents ont bénéficié d’une ISRC sur la période 2020-2022. Au cours de la même période, le montant moyen par agent de l’ISRC s’est établi à 20 320 euros.
    • Cette rupture conventionnelle ne va pas dans le sens des intérêts de l’administration. Au total, elle représente un coût annuel de 127 millions d’euros (dont 47 millions d’euros pour la FPE pour environ 2 400 bénéficiaires).

 

Dans ces recommandations, la cour des comptes énonce la nécessité de :

  1. Développer les concours nationaux à affectation locale et élargir le recrutement sur titres, y compris par la reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle.
  2. Instaurer une interface entre la bourse à l’emploi de la Fédération Hospitalière de France (FHF) et le site « choisir son emploi public » commun aux trois versants de la fonction publique pour compléter l’espace numérique de publication des offres d’emplois publics.
  3. Rendre publics, sous une forme anonymisée, les questions et avis les plus récurrents et significatifs concernant les conflits d’intérêts
  4. Etendre l’obligation de remboursement des sommes perçues au titre du mécanisme de la rupture conventionnelle à tous les agents publics retrouvant un emploi dans le secteur public dans un délai de six ans.
  5. Préciser, dans le rapport prévu à l’article 72 de la LTFP, les pratiques les plus courantes des administrations pour arrêter le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle (ISRC) et indiquer tous les coûts afférents.

 

LES PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION PERMETTANT DE GARANTIR LE RESPECT DE LA DURÉE DU TEMPS DE TRAVAIL AU SEIN DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

En 2011, avec une durée moyenne de travail de 1620 heures par an dans la fonction publique, la France se plaçait parmi les quatre pays de l’OCDE pour lesquels la durée annuelle de travail était la plus basse.

La loi du 6 août 2019 est intervenue en matière de temps de travail : ces principales mesures portent sur la création du « congé de proche aidant » (Article 40), l’harmonisation du régime des autorisations spéciales d’absence pour raisons familiales (ASA, Article 45) et la suppression des régimes dérogatoires à la durée légale du travail existant dans la fonction publique territoriale (Article 47).

Si la Cour des comptes constate qu’il y a eu des avancées notables visant à régulariser les dérogations aux 1607 heures dans les collectivités, la situation reste « contrastée » puisque certaines « collectivités ont maintenu un nombre élevé de régimes dérogatoires » et « d’autres ont contourné les obligations par des délibérations de façades. ». Aujourd’hui, la proportion d’agents de l’Etat travaillant moins de 1607 heures demeure identique. Elle a même augmenté pour tenir compte de nouvelles situations.

La cour des comptes regrette l’absence des rapports au Parlement qui sont nécessaires pour assurer le respect de la durée légale du travail ainsi que l’absence de mesures règlementaires d’application qui sont pourtant nécessaire, par exemple, à l’encadrement du dispositif des autorisations spéciales d’absence (ASA).

 

Dans ces recommandations, la cour des comptes énonce la nécessité de :

  1. Dresser et publier un bilan de l’harmonisation du temps de travail dans la fonction publique territoriale.
  2. Publier un état des lieux des régimes dérogatoires à la durée annuelle du travail de 1607 heures dans la fonction publique de l’Etat et mettre fin aux situations non prévues par les textes.

 

Plus de quatre ans après la loi de transformation de la fonction publique, la cour de comptes dresse un bilan mitigé : les administrateurs publics ne se sont pas suffisamment saisis des mécanismes offerts par la loi et certains dispositifs mériteraient d’être complétés et précisés.