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Le Directeur Général de l’Assistance-Publique-Hôpitaux de Paris aurait récemment déclaré à propos de l’accueil un riche émir du Golfe à l’hôpital Ambroise-Paré :”J’assume ce côté Robin des bois : à un moment où nous avons besoin de tous les moyens pour soigner les plus modestes (…) ».

Dans l’iconographie populaire, Robin des Bois était « un brigand au grand cœur qui vivait caché dans la forêt de Sherwood et de Barnsdale (en). Habile braconnier, mais aussi défenseur avec ses nombreux compagnons des pauvres et des opprimés, il détroussait les riches au profit des pauvres ou rendait au peuple l’argent des impôts prélevés. » (Wikipedia).

Dès lors, le bon peuple est rassuré qui comprend que l’argent de l’émir doit permettre d’accueillir des pauvres à l’hôpital, comme les bonnes œuvres de l’église ou la dotation non affectée du temps des hospices et de l’Ancien Régime. De quoi rassurer également ceux qui votent aux extrêmes et qui estiment qu’un bon étranger est un étranger qui soutient notre économie sans rien attendre en retour et sans résider durablement sur notre sol…

Cependant, un tel raccourci qui renvoie à l’imaginaire de notre enfance sans solliciter notre intelligence, constitue à l’évidence (ce qui a rarement été relevé dans les commentaires)  un travestissement  de la réalité juridique, comptable et financière.

En effet, le raisonnement sous-jacent induit par le message subliminal supposerait que les recettes de cette activité soient directement affectées aux dépenses induites par l’accueil des pauvres. Or, la comptabilité budgétaire est régie par les grands principes des finances publiques, rappelés récemment par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, notamment en ses articles 1, 6, 7 et 32 et parmi ces principes figure celui de l’unité dont le corollaire est la règle de non affectation des recettes à des dépenses (hormis les cas prévus par la loi : budgets annexes, comptes spéciaux, ainsi que, au sein du budget général, d’un budget annexe ou d’un compte spécial, les procédures du fonds de concours, de l’attribution de produits et du rétablissement de crédits).

Il supposerait également que les indigents fassent l’objet d’un suivi budgétaire et comptable particulier. Or, au-delà du fait que l’hôpital public doive – et c’est tout à l’honneur de notre pays  et de notre système sanitaire– accueillir sans distinction toute personne nécessitant des soins (Article L. 6112-3 du code de la santé publique), force est de constater que la comptabilité hospitalière ne connaît que les différentes catégories de débiteurs, sans référence à la diversité de fortune des usagers du service public : organismes de sécurité sociale, mutuelles, assurances,  aide médicale, payants…

Il supposerait enfin que les indigents ne puissent en France bénéficier de quelque prise en charge que ce soit. Or, il existe de nombreux dispositifs de prise en charge financière des usagers (CMU, AME, etc…). C’est donc de manière marginale que les indigents ne disposent d’aucune possibilité de couverture sociale.

Et l’on ne peut même pas prétendre que les recettes de l’émir contribueraient à la prise en charge des plus pauvres par le biais de l’apurement des créances irrécouvrables. En effet, au-delà du principe de non-affectation rappelé ci-dessus, on ne peut que constater que les créances irrécouvrables hospitalières ne sont pas générées uniquement, voire essentiellement, par les indigents.

Si on trouve effectivement des oubliés de la protection sociale qui n’ont pas réussi à faire ouvrir leurs droit, on y trouve également pêle-mêle :

–          des classes moyennes et des retraités qui ne disposant pas d’une mutuelle ou plus précisément d’une bonne mutuelle, ne peuvent assumer le reste à charge de plus en plus important à l’hôpital (dont  le forfait journalier et …le supplément pour chambre particulière que l’on pratique un peu trop systématiquement  y compris à l’AP-HP alors que la chambre particulière est devenu – et heureusement – le standard),

–          des personnes qui estiment que l’hôpital doit être gratuit,

–          d’autres qui organisent savamment leur insolvabilité malgré un train de vie appréciable (les saisies ou tentatives de saisies opérées par les services du Trésor sont particulièrement édifiantes en la matière),

–          et même …des cheiks sans provision.

L’envers de l’image d’Epinal est donc vraisemblablement beaucoup moins chevaleresque que l’on voudrait nous le faire accroire. Ne doutons pas que l’AP-HP ou d’autres établissements publics nous diront un jour prochain qu’ils y étaient contraints par la T2A…