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L’exception « in house » et la coopération publique-privée

dans le secteur de la santé

– Réflexions sur l’article 15 du projet d’ordonnance –

 

L’article 15 du projet d’ordonnance transpose l’article 12 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE. La rédaction de ces articles a le mérite de clarifier désormais ce qui, dans une relation entre deux ou plusieurs personnes publiques, relève d’échanges commerciaux soumis aux règles des marchés publics de ce qui relève d’échanges de coopération pouvant bénéficier du régime des prestations « in house » ou « prestations intégrées ». Son intérêt est également de préciser les conséquences de la présence de capitaux privés au sein des pouvoirs adjudicateurs et des entités adjudicatrices, tout en assouplissant marginalement les critères dégagés précédemment par la jurisprudence européenne.

 

En tant que conseil de très nombreux opérateurs publics et privés des secteurs sanitaire, social et médico-social, il nous est donc apparu indispensable de profiter  de la consultation publique, lancée par la Direction des affaires juridiques du Ministère des finances et des comptes publics à l’occasion de la transposition de la nouvelle directive européenne, pour revenir sur la notion de prestations « in house » et son application dans ces secteurs.

 

En effet, alors que les pouvoirs publics encouragent, depuis plusieurs dizaines d’années, les opérateurs publics et privés à coopérer dans tous les domaines, afin d’améliorer le service fourni à la population et d’optimiser les moyens, voire de réduire les coûts supportés par la collectivité nationale (financements de l’Etat, de l’assurance-maladie ou des collectivités territoriales) (I), les nouveaux textes, malgré les assouplissements apportés, sont de nature à remettre en cause le fonctionnement ou l’existence de nombreux groupements, voire à interdire toute nouvelle coopération comportant des acteurs privés ou libéraux (II). Dans ces conditions, il nous apparaît indispensable que la transposition de la directive d’une part, soit l’occasion d’une véritable réflexion sur la compatibilité de la directive européenne avec les enjeux nationaux, d’autre part, fournisse un cadre juridique sécurisé aux promoteurs des coopérations sanitaires, sociales et médico-sociales (III).

 

 

I – UNE INCITATION FORTE A COOPERER

 

Si la loi n°70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière encourageait essentiellement les établissements publics de santé à coopérer entre eux, il n’en est plus de même depuis la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière qui a érigé la coopération entre l’ensemble des acteurs en mode de réorganisation sanitaire. Cette volonté a sans cesse été réaffirmée par la suite notamment par la création en 1996 des groupements de coopération sanitaire puis en 2002 avec la création des groupements de coopération sociale et médico-sociale et trouve sa traduction dans l’article L.6134-1 du code de la santé publique[1].

 

Désormais, on recense en France plusieurs centaines de groupements de coopération (groupements d’intérêt public, groupements d’intérêt économique, groupements de coopération sanitaire, groupements de coopération sociale et médico-sociale) dont une très grande majorité est « mixte », constitués pour l’essentiel entre établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux ou entre établissements de santé et professionnels de santé libéraux.

 

Les coopérations mises en œuvre dans ce cadre sont des plus variées : radiologie, radiothérapie, laboratoire, pharmacie à usage intérieur, mais aussi informatique, blanchisserie, restauration, etc.

 

Jusqu’à l’arrêt de la CJCE du 11 janvier 2005[2], la légalité de telles coopérations ne faisait aucun doute. Par la suite, beaucoup ont considéré que malgré cet arrêt faisant jurisprudence, il restait des espaces de liberté permettant la poursuite de ces coopérations mixtes.

 

 

II – LES RISQUES INDUITS PAR LE DROIT DE LA COMMANDE PUBLIQUE D’ORIGINE COMMUNAUTAIRE

 

La jurisprudence européenne a indiscutablement validé la coopération entre personnes publiques en exonérant les activités des groupements formalisés ou non des règles de  publicité et de mise en concurrence (prestations intégrées ou « in house »). Cette validation a néanmoins été fortement contrebalancée par le refusd’admettre dans le régime des prestations intégrées, les rapports des personnes publiques avec des organismes comportant une participation privée[3].

 

Confirmée à plusieurs reprises, cette jurisprudence a fait récemment l’objet d’un nouvel arrêt spécifique au domaine médico-social 19 juin 2014[4] qui a jeté le trouble dans l’esprit de tous les acteurs et promoteurs de telles coopérations (Voir notre article « L’Europe torpille les coopérations public/privé à la veille de la future loi de santé » 08/09/2014 – Dominique LAROSE, Laurent HOUDART, Laurine JEUNE http://www.houdart.org/blog).  

 

Ce nouvel arrêt, malgré les assouplissements apportés par l’article 12 de la directive, met à mal toutes les coopérations entre public et privé et remet indiscutablement en cause la volonté de la Ministre de la santé de renforcer la coopération dans le cadre du prochain projet de loi de santé[1].

 

III – L’OPPORTUNITE FOURNIE PAR LA NOUVELLE DIRECTIVE ET SA TRANSPOSITION 

 

La transposition de la nouvelle directive en marchés publics doit être l’occasion de déterminer l’espace que l’on entend réserver à la coopération publique-privée dans le domaine de la santé au sens large (sanitaire, social, médico-social).

 

Un éclaircissement d’autant plus opportun que l’interdiction de toute participation de capitaux privés a été légèrement assouplie par la nouvelle directive.

 

En effet, l’article 12 de la nouvelle directive n° 2014/24/UE du 26 février 2014 prévoit notamment que :

 

« 1. Un marché public attribué par un pouvoir adjudicateur à une personne morale régie par le droit privé ou le droit public ne relève pas du champ d’application de la présente directive lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

 

a)

le pouvoir adjudicateur exerce sur la personne morale concernée un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services;

 

b)

 plus de 80 % des activités de cette personne morale contrôlée sont exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d’autres personnes morales qu’il contrôle;

 

c)

la personne morale contrôlée ne comporte pas de participation directe de capitaux privés, à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée.

 

Un pouvoir adjudicateur est réputé exercer sur une personne morale un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, au sens du premier alinéa, point a), s’il exerce une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de la personne morale contrôlée. Ce contrôle peut également être exercé par une autre personne morale, qui est elle-même contrôlée de la même manière par le pouvoir adjudicateur …».

 

Il résulte de ces dispositions que deux atténuations ont été introduites par le législateur européen au principe selon lequel la présence d’une participation privée à l’actionnariat de la personne contrôlée rend inapplicable la coopération verticale :

 

1/ Une distinction entre le caractère direct et indirect des formes non obligatoires de participations privées dans le respect du principe de concurrence non faussé. En interdisant expressément les participations directes des capitaux privés, le législateur européen admet que les participations indirectes des capitaux privés ne fassent pas échec à la coopération « in house ».

 

2/ Une acceptation sous certaines conditions de l’existence de participations privées direct, règlementées et obligatoire dès lors qu’elles sont requises par la loi et qu’elles sont non contrôlantes. La coopération entre deux pouvoirs adjudicateurs pourra désormais échapper aux obligations de mise en concurrence si, d’une part, la participation de capitaux privés est prévue par la loi et si, d’autre part, cette participation n’offre pas au détenteur de capitaux privés une capacité de contrôle ou de blocage et ne lui confère pas une influence décisive sur les décisions de la personne morale contrôlée.

 

 

Le préambule de la directive explique que cet assouplissement vise à inclure dans le champ d’application de cette exemption les « organismes publics à adhésion obligatoire, tels que les organisations chargés de la gestion ou de l’exécution de certains services publics » et précise que : « cette règle ne devrait pas s’appliquer dans les cas où la participation d’opérateurs économiques privés spécifiques dans le capital de la personne morale contrôlée est rendue obligatoire par une disposition législative nationale en conformité avec les traités, à condition que cette participation ne donne pas une capacité  de contrôle ou de blocage et ne confère pas une influence décisive sur les décisions de la personne morale contrôlée. Il convient en outre de préciser que la participation privée directe dans le capital de la personne morale contrôlée constitue le seul élément déterminant. Par conséquent, le fait que le ou les pouvoirs adjudicateurs contrôlés comportent une participation de capitaux privés ne fait pas obstacle à l’attribution de marchés publics à la personne morale contrôlée, sans appliquer les procédures prévues par la présente directive étant donné que ces participations ne nuisent pas à la concurrence entre les opérateurs économiques privés ».

 

 

A l’évidence, ces nouvelles dispositions méritent des clarifications :

 

  • Qu’en est-il par exemple des organismes, outils de coopération, pour lesquels la présence de capitaux privés n’est pas rendue obligatoire par le législateur comme les GCS, GIE ou GIP ?
  • Si la présence des capitaux privés n’est pas rendue obligatoire par les textes législatifs, pour autant, les directives des Agences régionales de santé qui représentent l’Etat n’ont-elles pas force contraignante ?

 

  • Quelle structure envisager pour les coopérations publique-privées imposées par les directives des Agences Régionales de Santé au sein des schémas d’organisation sanitaire ou dans le cadre des autorisations administratives d’activités ou d’équipements, si les groupements ad hoc rappelés ci-dessus ne peuvent constituer des outils sécurisants ?

 

  • Qu’entend-on par participation indirecte (Certains l’ont interprété comme la présence de capitaux privés au sein de l’entité contrôlante et non contrôlée) ?

 

  • Etc..

 

Il est indispensable et ce, pour garantir la sécurité juridique des projets de coopération aujourd’hui autant que dans un souci d’intelligibilité de la loi, de préciser le champ et les limites de l’intervention des capitaux privés.

 

De surcroît, il paraît indispensable de préciser les modalités et procédures selon lesquelles les partenaires privés devraient être sélectionnés, dans l’hypothèse où une telle obligation pourrait peser sur les pouvoirs adjudicateurs en droit communautaire[5] comme en droit interne[6].

 

En tout état de cause, il convient de bien appréhender les conséquences vraisemblables de la directive et de l’ordonnance sur l’acceptabilité par les acteurs privés et libéraux des nouvelles contraintes en matière de contrôle et de gouvernance des groupements de coopération auxquels ils participent ou entendent participer. On peut en effet légitimement penser qu’ils n’accepteront pas aisément d’être écartés de leur gestion et des choix stratégiques.

 

On doit également s’interroger sur les conséquences pratiques de la disposition selon laquelle « plus de 80 % des activités de cette personne morale contrôlée sont exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d’autres personnes morales qu’il contrôle ». Par exemple, dans un groupement constitué à parts égales entre un établissement public de santé et des radiologues libéraux pour la gestion d’un équipement lourd de radiologie ou entre un établissement public de santé et une clinique privée pour la gestion d’une pharmacie à usage intérieur sur un site commun unique.

 

 

 

Il ne s’agit bien évidemment pas de faire fi des dispositions européennes sur les prestations in house, mais puisqu’il est désormais admis qu’il est possible de laisser une place aux capitaux privés, de déterminer dans quelle mesure des coopérations public/privé indispensables à la satisfaction des besoins de la population pourront encore être mise en œuvre, voire tout simplement maintenues en toute sécurité juridique, dans les secteurs sanitaire, social et médico-social.

 

Il est en effet particulièrement essentiel pour des raisons de santé publique comme d’économie nationale que les établissements et professionnels puissent  continuer à mutualiser certaines tâches et créer à cette fin un organisme tiers qu’ils contrôlent, dont l’objet est de leur fournir les prestations dont ils ont besoin et auquel ils puissent librement faire appel, sans avoir à le mettre en concurrence.

 

Nous nous tenons à votre disposition pour tout échange que vous souhaiteriez sur ce sujet.

 

 

 

 



[1] « La loi donnera ainsi les moyens d’une meilleure articulation des interventions de l’Etat et de l’assurance maladie : les professionnels le réclament, les défis que nous avons à relever l’exigent. Il n’y a qu’une seule politique de santé et chacun doit y contribuer pour sa part, acteurs nationaux comme acteurs locaux, acteurs publics comme acteurs privés. » Discours de présentation des orientations de la loi santé de Marisol Touraine le 19 juin 2014.



[1] « Dans le cadre des missions qui leur sont imparties et dans les conditions définies par voie réglementaire, les établissements publics de santé peuvent participer à des actions de coopération, y compris internationales, avec des personnes de droit public et privé. Pour la poursuite de ces actions, ils peuvent signer des conventions, participer à des groupements d’intérêt public, des groupements d’intérêt économique ou des groupements de coopération sanitaire ou constituer entre eux des fédérations médicales interhospitalières.

Pour les actions de coopération internationale, les établissements publics de santé peuvent également signer des conventions avec des personnes de droit public et privé, dans le respect des engagements internationaux souscrits par l’Etat français ».

[2] Stadt Halle, C-26/03

[3] CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, C-26/03 précité.

[4] CJUE, 19 juin 2014, Centro Hospitalar de Setubal EPE, Serviço de Utilizaçao Comun dos Hospitais (SUCH) c/Eurest Portugal, Affaire C-574/12.

[5] CJUE, 15 octobre 2009, ACOSET SpA, aff. C-196/08.

[6] CE, 13 oct. 1989, Glogowski : Juris-Data n° 1989-645231 ; Rec. CE, tables p. 455.