Centres de santé : un encadrement juridique considérablement renforcé
Article rédigé le 26 mai 2023 par Me Laurent Houdart et Me Charlotte Crépelle
Ayant pour but de renforcer l’accès aux soins en garantissant aux patients des conditions de prise en charge financières favorables, les centres de santé effectuent un travail de qualité et participent à l’amélioration des soins des concitoyens. Mais, ces dernières années des dérives ont pu être constatées comme en témoigne les scandales issues des affaires DENTEXIA ou encore PROXIDENTAIRE.
Faut-il dès lors une nouvelle fois renforcer les mesures de contrôles des centres de santé ? La loi n°2023-379 du 19 mai 2023 visant à améliorer l’encadrement des centres de santé publiée le 20 mai dernier, en fait le constat et prévoit de nouvelles mesures. Quels sont ces nouveaux contrôles ? Par qui ? Quelles conséquences en retenir ? Quels devoirs pour les gestionnaires des centres ? Décryptage.
Pour comprendre l’enjeu de cette nouvelle loi et son contenu, rappelons les évènements qui l’entoure :
- 2009 , afin de renforcer l’accessibilité de l’offre de soins, une obligation phare relative à l’ouverture d’un centre de santé qui était celle d’obtenir un agrément de l’autorité administrative a été supprimée.
- 2015, l’affaire DENTEXIA fut mise sous les projecteurs. Au total plus de 3000 patients subirent des soins contraires à la réglementation en vigueur.
- 2018, l’Ordonnance du 12 janvier 2018 a permis de simplifier et de clarifier les conditions de création et de fonctionnement des centres de santé.
- 2022, dans le cadre de la LFSS pour 2022, la fin du conventionnement automatique fut instaurée d’office pour les centres de santé et un pouvoir de sanction supplémentaire fut accordé au DG de l’ARS.
Considérant que cela ne suffisait pas, le 18 octobre 2022 une proposition de loi a été déposée par la Députée Fadila Khattabi. Publiée au J.O. le 20 mai 2023, analyse de cette loi.
De la simple déclaration de conformité au retour d’un agrément
Jusqu’alors pour ouvrir un centre de santé, une simple déclaration suffisait. Désormais, la création des centres de santé ayant une activité dentaire, ophtalmologique ou orthoptique est soumise à l’agrément préalable du directeur générale de l’Agence Régionale de Santé.
Comprenons le bien, cela ne concerne que les activités dentaires et ou ophtalmologiques et ou orthoptiques d’un centre dentaire. Pour les autres activités, le régime antérieur n’a pas été modifié.
Dès lors ce n’est plus un simple engagement de conformité que le représentant légal de l’organisme du centre de santé se doit de transmettre à l’ARS mais un dossier permettant d’obtenir cet agrément. Ce dossier comprendra :
- Le projet de santé ;
- Les déclarations des liens d’intérêts de l’ensemble des membres de l’instance dirigeante ; réelle innovation ici, puisqu’un nouvel alinéa de l’article L.6323-1-4 prévoit désormais que :
« (…) II.-Le dirigeant d’un centre de santé ne peut exercer de fonction dirigeante au sein de la structure gestionnaire lorsqu’il a un intérêt, direct ou indirect, avec des entreprises privées délivrant des prestations rémunérées à la structure gestionnaire. »
- Et les contrats liant l’organisme gestionnaire à des sociétés tierces
Ces deux conditions sont directement liées aux déviances qui ont pu être constatées ; une association gère un centre de santé, nécessairement à but lucratif mais un grand nombre de prestations (y compris de gestion) sont assurées par une ou plusieurs sociétés dans l’actionnariat desquelles on retrouve un ou plusieurs dirigeants bénévoles de l’association. Pour ces raisons non seulement il sera désormais vérifié l’existence d’un potentiel conflit d’intérêts. Le législateur, méfiant, considère que la déclaration de conflit d’intérêts ne suffit pas.
Il prévoit en outre :
- La transmission des contrats liant le centre à des sociétés tierces. Que doit-on entendre par là ? Certes, un décret devra venir préciser la nature de ces contrats mais il s’agira avant tout de déceler les contrats d’une importance financière significative et de nature à masquer une réalité lucrative à la création du centre (baux/mandat de gestion/prestations techniques, administratives et comptables/etc) ;
- En outre un fichier national devra recenser les mesures de suspension et de fermeture administrative de centres de santé. Plus question de passer à travers les mailles du filet !
En outre, la délivrance de l’agrément définitif et le maintien de cet agrément sont conditionnés à la transmission sans délai au directeur général de l’ARS et au conseil départemental de l’ordre de la profession concernée de la copie des diplômes et des contrats de travail des :
- chirurgiens-dentistes,
- des assistants dentaires,
- des ophtalmologistes,
- des orthoptistes à chaque nouvelle embauche, de tout avenant au contrat de travail de l’un de ces professionnels et d’une mise à jour de l’organigramme du centre de santé pour toute embauche ou toute rupture du contrat de travail de l’un de ces professionnels.
Le conseil départemental de l’ordre rend un avis motivé au directeur général de l’agence régionale de santé, dans un délai de deux mois, sur les diplômes et sur les contrats de travail qui lui sont transmis.
A noter qu’une fois obtenu, cet agrément n’est que provisoire et qu’il ne deviendra définitif qu’à l’expiration d’une durée d’un an à compter de l’ouverture du centre.
Si, comme le prévoyait le régime antérieur à 2009, une visite de conformité peut être organisée par l’ARS, la personne mandatée par l’agence régionale de santé pour réaliser cette visite de conformité « n’est pas tenue d’informer le centre de santé concerné de son identité ni de l’objet de sa visite ». Effet de surprise !
Si cette visite relève des non-conformités ou une incompatibilité de la gestion et de l’offre de soins du centre avec le projet régional de santé, l’agrément sera retiré.
Renforcement des pouvoirs de l’ARS et des devoirs du Gestionnaire du centre de santé
Nouvelles attributions de l’ARS
Jusqu’alors il appartenait à l’ARS, dès réception de l’engagement de conformité, de remettre au centre de santé un récépissé de l’engagement de conformité.
Désormais, le directeur général de l’ARS dispose d’un réel « droit de regard » car il peut refuser de délivrer l’agrément demandé, au vu de la qualité des éléments adressés si :
- le projet de santé du centre n’est pas compatible avec l’engagement de conformité du centre de santé dont le contenu est précisé en annexe de l’Arrêté du 27 février 2018 relatif aux centres de santé ou en cas d’impossibilité de ce projet avec les objectifs et les besoins définis dans le cadre du projet régional de santé ;
- un de ses centres ou l’une de ses antennes fait déjà l’objet d’une procédure de suspension ou de fermeture. A ce titre, un registre national des suspensions et des fermetures sera créé pour permettre aux ARS de vérifier les antécédents des gestionnaires. Cette mesure vise à éviter qu’un gestionnaire puisse contourner les sanctions qui lui sont infligées en créant de nouvelles structures.
Ecarté un temps des radars de l’administration, les centres de santé y retrouvent une place sous étroite surveillance. Avec ces nouvelles prérogatives de l’ARS, celle-ci n’est plus spectatrice mais reprend son rôle de régulateur avec un pouvoir de sanctions accru.
Nouveaux devoirs du Gestionnaire de Centre de Santé
Vis-à-vis des gestionnaires peu scrupuleux, la « peur du gendarme » est réintroduite. Le gestionnaire a désormais l’obligation de transmettre à l’ARS les copies de contrats de travail des chirurgiens-dentistes, assistants dentaires, médecins ophtalmologistes ou orthoptistes à chaque nouvelle embauche.
Le nouveau dispositif ne s’arrête pas à un retour à l’agrément : Désormais un comité médical doit veiller à la qualité et à la sécurité des soins, les peines – en cas d’infractions – sont considérablement alourdies. Attention, les centres actuels n’échapperont pas aux fourches caudines de la nouvelle réglementation et devront très vite régulariser leur situation.
Création d’un comité médical ou dentaire
Parce qu’il y a eu, encore une fois, trop d’abus et d’atteinte à la sécurité des patients et à la qualité des soins, le texte contraint désormais les centres ayant une activité dentaire ou ophtalmologique et lorsque le centre emploi plus d’un professionnel médical à ce titre de constituer :
- Un comité médical ou
- Un comité dentaire.
Quels sont les professionnels rassemblés au sein de ces comités ? Il s’agit de l’ensemble des professionnels médicaux exerçant dans le centre au titre de ces activités, à l’exclusion du représentant légal de l’organisme gestionnaire.
Le comité se réunit au moins une fois par trimestre et adresse son rapport au gestionnaire du centre et à l’ARS.
Les représentants du personnel soignant et des usagers du centre sont invités à siéger au sein de ce comité. Leur participation est requise au moins une fois par an.
Le comité a la responsabilité, conjointement avec le gestionnaire :
- De la politique d’amélioration continue de la qualité, de la pertinence et de la sécurité des soins ;
- De la formation continue des professionnels de santé exerçant dans le centre au titre de ces activités.
Impliquer les acteurs de santé est une excellente idée mais pourquoi écarter le gestionnaire du comité alors qu’ils doivent, ensemble, mener la politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ?
Dans les établissements de santé, le responsable administratif participe aux réunions de la commission médicale d’établissement. Et personne ne viendra remettre en cause sa participation, bien au contraire.
Ne créé-t-on pas ainsi les ferments de discorde et certainement d’incommunicabilité ?
Alourdissement des sanctions
Agrément, contrôle, il manquait un arsenal coercitif, la fameuse « peur du gendarme » évoquée par la rapporteuse de la Loi, Mme Fadila KHATTABI : Rien de mieux que des sanctions lourdes pour dissuader ceux qui seraient tentés.
Voilà qui est chose faite : le législateur est venu alourdir significativement les sanctions applicables en cas de manquement à leur engagement de conformité.
Partant, lorsqu’un manquement à l’engagement de conformité est constaté et en l’absence de réponse dans le délai fixé par l’injonction ou si cette réponse est insuffisante, le directeur général de l’agence régionale de santé peut prononcer une amende administrative à l’encontre de l’organisme gestionnaire ou du représentant légal de celui-ci.
Désormais, le montant de l’amende administrative a plus que triplé. Elle peut aller jusqu’à 500.000 euros, contre 150.000 euros auparavant. Ce n’est pas tout, puisque comme le prévoyait le code de la santé publique, le directeur général de l’agence régionale de santé peut assortir cette amende d’une astreinte journalière lorsque le gestionnaire du centre de santé ne s’est pas conformé dans les délais (délai fixé par une mise en demeure, aux prescriptions qui lui ont été adressées). Cette fois-ci le montant de l’astreinte a quintuplé et passe d’une limite fixée à 1.000 euros par jour à 5.000 par jour, de quoi dissuader plus d’un gestionnaire de centre de santé !
Face au constat de l’embarras des directeurs généraux d’ARS dans la détermination du montant précis de la sanction à appliquer face à tel ou tel manquement, le législateur a déterminé un barème d’application des montants de l’amende et de l’astreinte journaliste (qui sera prochainement établi par décret).
L’objectif, on le comprend, est d’être comminatoire. Le but est atteint et en cas d’infraction, l‘amende sera lourde.
Il s’agit probablement de la plus lourde sanction financière que peut prononcer un Directeur Général d’ARS.
Une application quasi immédiate
Promulguée le 19 mai 2023 et exécutée comme loi de l’Etat, la présente loi est de ce fait, directement devenue exécutoire et ainsi opposable à tous. Entrée en vigueur le 21 mai dernier, à compter de cette date les centres de santé devront se conformer à cette nouvelle législation.
Afin d’accompagner au mieux les agences régionales de santé sur ces nouvelles mesures de contrôle, durant les six prochains mois, et ce à compter du 19 mai 2023, le Gouvernement va remettre au Parlement un rapport sur les moyens à allouer aux agences régionales de santé afin de leur permettre de remplir les missions qui leur sont dévolues au titre de la présente loi.
En ce qui concerne les centres déjà existants, ceux-ci n’échapperont pas à cette nouvelle règlementation, puisqu’ils auront six mois pour demander leur agrément. A l’issue cette fois-ci d’un délai de trente mois suivant la promulgation de la loi, aucun centre ne pourra dispenser de soins sans agrément.
Cependant, rien ne pourra se faire tant que le décret fixant notamment les critères déterminant la déclaration de conflits d’intérêts et les contrats avec les tiers devant être présentés à l’agence dans le cadre du dossier d’agrément.
Cette réforme est bien plus qu’un retour à l’agrément qui était de mise avant 2009. Les pouvoirs d’investigation et de contrôle de l’ARS sont beaucoup plus invasifs. L’objectif est clair ; Mettre un terme aux déviances constatées qui reposent sur des opérations structurelles complexes entre une association à but non lucratif et des sociétés commerciales dont le rôle est avant tout « d’aspirer » les liquidités du centre.
Nous quittons ainsi les rives de la simplification administrative qui devaient permettre la création de nombreux centres de santé en 2009 pour retrouver celles du contrôle et de la sanction. Et quelles sanctions !
Pour plagier Schopenhauer nous pourrions considérer que tout comme la vie, la réglementation sur les centres de santé oscille comme un pendule, de droite à gauche, de la simple déclaration à l’agrément renforcé, de la permissivité au strict contrôle !
Les enjeux de la mise en œuvre de cette réforme sont doubles ;
Les ARS auront-elles les moyens de procéder à des vérifications souvent bien plus difficiles qu’elles ne paraissent tant les montages peuvent être complexes et opaques et exigent une compétence spécifique pour les décortiquer ?
A l’inverse, espérons que le pointillisme administratif ne prenne le pas sur le juste contrôle et qu’un abus ne succède pas à un autre abus.
Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.
Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …).
Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).
Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.
Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.