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Sociétés d'exercice libéral : Quel contrôle de l'ordre ?
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Contrôle de l’ordre sur les sociétés d’exercice libéral

Article rédigé le 9 octobre 2023 par Me Lorène Gangloff

Si les associés de sociétés d’exercice libéral sont au fait des démarches à accomplir et, plus particulièrement, des documents à communiquer au conseil départemental de l’ordre des médecins lorsqu’ils constituent leur société et sollicitent son inscription au tableau, ils oublient bien souvent que l’inscription n’est qu’une première étape.

En effet, le contrôle de l’ordre ne s’arrête pas là, loin s’en faut, il se poursuit tout au long de la vie sociale.

 

 

Garant de l’indépendance des professionnels, le conseil départemental est chargé de veiller à ce que les détentions capitalistiques comme la gouvernance des sociétés ne viennent pas remettre en cause ce principe cardinal.

Mais, comment s’opère ce contrôle et à quels risques sont exposés les associés après l’inscription de leur société au tableau ? Le manque de lisibilité des dispositions applicables au contrôle de l’ordre en cours de vie sociale impose un décryptage.

 

Les modalités du contrôle de l’ordre sur les sociétés d’exercice libéral

 

Les textes législatifs et réglementaires prévoient expressément que le conseil départemental de l’ordre des médecins est appelé à statuer sur les demandes d’inscription présentées par les associés de société d’exercice libéral.

 

Le contrôle à l’inscription

 

Pour obtenir l’inscription de leur société, les associés doivent ainsi remettre au conseil départemental de l’ordre des médecins les informations lui permettant d’apprécier la régularité de la structure, à savoir, en application de l’article R.4113-4 du Code de la santé publique :

«[…]

 1° Un exemplaire des statuts et, s’il en a été établi, du règlement intérieur de la société ainsi que, le cas échéant, une expédition ou une copie de l’acte constitutif ;

2° Un certificat d’inscription au tableau de l’ordre de chaque associé exerçant au sein de la société ou, pour les associés non encore inscrits à ce tableau, la justification de la demande d’inscription ;

3° Une attestation du greffier du tribunal de commerce du lieu du siège social ou du tribunal judiciaire statuant commercialement constatant le dépôt au greffe de la demande et des pièces nécessaires à l’immatriculation ultérieure de la société au registre du commerce et des sociétés ;

4° Une attestation des associés indiquant :

a) La nature et l’évaluation distincte de chacun des apports effectués par les associés ;

b) Le montant du capital social, le nombre, le montant nominal et la répartition des parts sociales ou actions représentatives de ce capital ;

c) L’affirmation de la libération totale ou partielle, suivant le cas, des apports concourant à la formation du capital social.

[…]”

Le conseil départemental dispose alors d’un délai de trois mois (article L.4112-3 du Code de la santé publique), pour statuer sur cette inscription, étant précisé qu’elle ne peut être refusée que dans les hypothèses suivantes :

 

À cet égard, la décision devant nécessairement être motivée, cette dernière doit faire état de l’un des motifs précités.

En cas de refus d’inscription, les médecins ayant vocation à devenir associés de la société pourront alors saisir le conseil régional des médecins d’un éventuel recours, dans les trente jours suivant la notification de ladite décision.

Le silence du conseil départemental à l’expiration du délai de trois mois imparti pour statuer sur la demande d’inscription, fait naître une décision implicite de rejet (article L. 4112-4 du Code de la santé publique).

Se pose dès lors la question du défaut de motivation de la décision implicite et de l’illégalité automatique ou non de la décision implicite du seul fait de cette absence de motivation.

Si la décision implicite permettait à l’administration d’échapper à son obligation de motivation, cela aurait nécessairement un effet délétère dans la mesure où elle serait très certainement incitée à s’engouffrer dans cette voie pour échapper aux affres de la contestation.

Fort heureusement cette conséquence a été anticipée par le législateur. Ainsi, en présence d’une décision implicite de rejet, si le ou les intéressés ne peuvent exciper de ce seul défaut de motivation pour la faire censurer, ils peuvent formuler, dans les délais de recours, en l’espèce trente jours à compter de la date à laquelle la décision implicite a été acquise, une demande de communication des motifs (article L. 232-4 du Code des relations entre le public et l’administration). Ces derniers devront ensuite lui être communiqués dans le mois suivant cette demande.

Dans cette hypothèse, le délai de recours est alors prorogé jusqu’à l’expiration du délai de deux mois suivant la communication des motifs.

Le conseil départemental n’a donc aucun intérêt à jouer au roi du silence en matière d’inscription, puisque les médecins pourront toujours lui demander des comptes !

 

Le contrôle en cours de vie sociale

Au-delà des informations transmises au moment de l’inscription au tableau, les médecins doivent tenir scrupuleusement informé le conseil de l’ordre de l’évolution de la société, et ce tout au long de la vie sociale.

En premier lieu, les associés sont, à ce jour, tenus de communiquer, chaque année, au conseil de l’ordre un état de la composition du capital social de la société.

Il est temps que les praticiens se familiarisent avec cette obligation de communication annuelle souvent méconnue et, en tout état de cause, peu respectée, car dès le 1er septembre 2024, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées, le champ de cette obligation de communication sera étendu à d’autres informations que la composition du capital social.

Ils devront ainsi fournir, non seulement un état de la composition du capital social, mais également :

  • un état des droits de vote des associés ;
  • une version à jour des statuts ;
  • les conventions contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé.

 

Si les deux premiers points ne posent pas de difficulté, il est permis de s’interroger sur ce que recouvre la notion de « convention contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé. » 

Les statuts comptant parmi les documents qui devront obligatoirement être transmis à l’ordre, ces conventions renvoient nécessairement à des engagements extrastatutaires qui pourraient être pris par les associés pour organiser le fonctionnement de la société. Le règlement intérieur et le pacte d’associés s’il en existe, devront ainsi être transmis, mais cette liste ne saurait être exhaustive et sera complétée, le cas échéant, au regard de l’application effective qui en sera faite du texte par les médecins et par le conseil de l’ordre.

 

En deuxième lieu, les associés doivent impérativement communiquer, dans les mêmes formes qu’au moment de l’inscription, l’ensemble des modifications apportées :

  • aux statuts ;
  • aux éléments figurant sur l’attestation portant sur la nature et l’évaluation des apports, le montant du capital social, le nombre, le montant nominal et la répartition des parts sociales ou actions représentatives de ce capital, la libération totale ou partielle des apports, devant être produite au moment de l’inscription.

 

Si les conseils départementaux peuvent, de temps à autre, fermer les yeux en l’absence de transmission annuelle de l’état de composition du capital social, la vigilance est accrue en matière de modifications statutaires.

Cette obligation relative aux modifications apportées à la société soulève la question des modalités du contrôle opéré et de ses conséquences pour les associés, les dispositions règlementaires applicables étant silencieuses en la matière.

En effet, si l’obligation de communication des modifications opérées est expressément prévue, l’objet de ce contrôle et ses conséquences ne sont pas précisées.

Dans le silence des textes, les juridictions ont bien heureusement pris le relais et éclairci cette zone d’ombre.

 

 

Les spécificités du contrôle des modifications statutaires

 

L’objet du contrôle

Le conseil départemental de l’ordre des médecins, saisi de modifications statutaires, est tenu de vérifier leur conformité au regard des dispositions législatives et règlementaires applicables prévues par les articles R. 4113-1 et suivants du code de la santé publique.

Le conseil départemental attache une attention particulière à la question de la répartition du capital et des droits de vote au sein de la société.

Quelques principes de base doivent être respectés au sein des sociétés d’exercice libéral de médecins :

  • Plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l’intermédiaire des sociétés de participation financière, par des professionnels en exercice au sein de la société ;
  • Plus de la moitié du capital – mais pas des droits de vote – peut également être détenue par des professionnels exerçant la profession constituant l’objet social de la société ou par des sociétés de participation financière, sous réserve du respect de certaines conditions ;
  • La détention directe ou indirecte de parts ou actions est interdite à toute personne physique ou morale exerçant sous quelque forme que ce soit :
  • une autre profession médicale ou une profession paramédicale ;
  • la profession de pharmacien d’officine ou de vétérinaire, soit la fonction de directeur ou de directeur adjoint de laboratoire d’analyses de biologie médicale ;
  • l’activité de fournisseur, distributeur ou fabricant de matériel ayant un lien avec la profession médicale et de produits pharmaceutiques, ou celles de prestataire de services dans le secteur de la médecine ;
  • les entreprises et organismes d’assurance et de capitalisation et tous les organismes de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoires ou facultatifs.

 

 

Les conséquences du contrôle

L’article R. 4113-64 du Code de la santé publique applicable aux sociétés civile professionnelles (ci-après « SCP ») est rédigé comme suit :

« Si les nouvelles dispositions des statuts ne sont pas conformes aux dispositions législatives ou réglementaires et si la régularisation n’est pas opérée dans le délai imparti par le conseil départemental, celui-ci, après avoir appelé les intéressés à présenter leurs observations orales ou écrites, prononce, par décision motivée, la radiation de la société. »

A défaut de texte équivalent pour les sociétés d’exercice libéral, les juridictions se sont positionnées.

Dans un arrêt aujourd’hui ancien du 6 juin 2001, le Conseil d’Etat a ainsi jugé qu’une fois la SEL inscrite, dans le cas où lui est transmise une modification des statuts qu’il estime non conforme aux dispositions législatives et réglementaires, le conseil départemental doit mettre la société en demeure de s’y conformer, et si elle n’y procède pas, la radier du tableau.

En effet, comme cela ressort des termes de l’arrêt, les décisions qui sont prises par le conseil départemental de l’ordre des médecins en cas de modifications statutaires ne constituent pas des décisions prises en application de l’article 462 du Code de la santé publique (aujourd’hui L. 4113-9) faisant obligation aux médecins de communiquer au conseil départemental les contrats et avenants ayant pour objet l’exercice de la profession, mais des décisions prises en matière d’inscription et, par conséquent, susceptibles de recours.

Le Conseil d’État a d’ailleurs confirmé sa position dans un arrêt du 4 février 2020 (CE, 4 février 2020, n°437713) en matière de modifications statutaires d’une SELARL de chirurgiens-dentistes  :

« Il résulte de ces dispositions que le conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes, qui doit refuser l’inscription au tableau d’une société d’exercice libéral de chirurgiens-dentistes dont les statuts ne seraient pas conformes aux dispositions législatives et réglementaires, doit procéder au même examen lorsque lui est transmise une modification des statuts d’une société inscrite au tableau de l’ordre. S’il estime que cette modification n’est pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires, il lui appartient de mettre en demeure la société de se conformer à ces dispositions et, si elle ne le fait pas, de la radier du tableau. »

La circonstance que les décisions prises en matière de modifications statutaires s’apparentent à des décisions en matière d’inscription conduit à s’interroger sur les conditions et conséquences d’une opposition du conseil sur les modifications apportées, que cette opposition résulte d’une décision expresse ou d’une décision implicite.

Dans la mesure où la décision est considérée comme une décision prise en matière d’inscription, nous considérons que le conseil doit se prononcer dans un délai de trois mois à compter de la transmission des modifications par les associés et que son silence emporterait une décision implicite de rejet des modifications statutaires.

On constate ainsi que le contrôle des sociétés intervient de la constitution à la dissolution de la société.

Les médecins doivent, par conséquent faire preuve de vigilance avant d’opérer une modification de leurs statuts car, en cas d’irrégularité relevée par le conseil, ils pourront se voir mis en demeure de régulariser la situation dans un délai fixé par le conseil et, en l’absence de régularisation subséquente dans le délai imparti, se voir opposer une radiation de leur société.

Ils seront alors contraints de poursuivre leur exercice à titre individuel ou de constituer en urgence une nouvelle société.

L’inscription de la société au tableau de l’ordre n’est pas un gage pour l’avenir, il ne s’agit que du point de départ d’une route sinueuse sur laquelle chaque changement de trajectoire sera minutieusement étudié par le conseil.

 

Le contrôle permanent de l’ordre, dont le champ a vocation à s’étendre prochainement, n’a rien de surprenant dans la mesure où la tendance est à l’accroissement des prises de participations de personnes n’exerçant pas la profession de médecin et, notamment, de groupes de financeurs.

À mesure que la santé se financiarisera, il est fort à parier que le pouvoir de l’ordre se renforcera pour que l’indépendance des professionnels soit, autant que faire se peut, préservée.

 

Avocat au Barreau de Paris depuis janvier 2016, Lorène Gangloff a rejoint le Cabinet Houdart & Associé en janvier 2020 et intervient au sein du pôle Organisation.

Après plusieurs années passées au sein du département santé d’un cabinet de droit des affaires, elle accompagne principalement les professionnels de santé libéraux en conseil (création et fonctionnement de leurs structures d’exercice, opérations de rachat ou fusion de cabinets, relations contractuelles avec les établissements de santé) comme en contentieux (conflits entre associés, ruptures de contrat d’exercice).

Elle assiste également les établissements de santé dans leurs projets de restructuration ou de coopération et les représente dans le cadre d’éventuels contentieux.