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Au moment où le pouvoir règlementaire prépare les décrets d’application de la loi HPST relatifs d’une part aux appels à projet dans le secteur social et médico-social et d’autre part à la répartition des nouvelles « missions de service public » notamment entre établissement de santé, il n’est pas inutile de rappeler les dernières leçons de la jurisprudence communautaire en matière de concurrence dans le domaine de la santé.

Par un arrêt du 10 mars 2009 – Hartlauer Handelsgesellschaft mbH / Wiener Landesregierung, Oberösterreichische Landesregierung, rendu sur demande de décision préjudicielle du Verwaltungsgerichtshof (Autriche), la Cour de justice européenne a conclu que « les articles 43 CE et 48 CE s’opposent à des dispositions nationales (…) en vertu desquelles une autorisation est nécessaire pour créer un établissement de santé privé prenant la forme d’une policlinique dentaire autonome et selon lesquelles cette autorisation doit être refusée lorsqu’il n’existe, au regard des soins déjà offerts par les médecins conventionnés, aucun besoin justifiant la création d’un tel établissement, dès lors que ces dispositions ne soumettent pas également à un tel régime les cabinets de groupe et qu’elles ne sont pas fondées sur une condition qui serait susceptible d’encadrer suffisamment l’exercice, par les autorités nationales, de leur pouvoir d’appréciation ».
Voilà qui éclaire singulièrement le débat !
I. Les restrictions imposées par le CSP et le CASF devront uniquement être propres à garantir la réalisation d’objectifs visant à maintenir un service médical de qualité, équilibré et accessible à tous et à prévenir un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale.
Une réglementation nationale qui subordonne l’établissement d’une entreprise d’un autre État membre à la délivrance d’une autorisation préalable constitue une restriction au sens de l’article 43 CE, car elle est susceptible de gêner l’exercice, par cette entreprise, de la liberté d’établissement en l’empêchant d’exercer librement ses activités par l’intermédiaire d’un établissement stable.
Cependant, une restriction à la liberté d’établissement, qui est applicable sans discrimination tenant à la nationalité, peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, à condition qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt Commission/Grèce, précité, point 34 et jurisprudence citée).
La protection de la santé publique figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général qui peuvent, en vertu de l’article 46, paragraphe 1, CE, justifier des restrictions à la liberté d’établissement.
Il ressort tant de la jurisprudence communautaire que de l’article 152, paragraphe 5, du Traité CE que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et pour prendre, en particulier, des dispositions destinées à organiser et fournir des services de santé et de soins médicaux. « Toutefois, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit communautaire, notamment les dispositions du traité CE relatives aux libertés de circulation, y compris la liberté d’établissement. Lesdites dispositions comportent l’interdiction pour les États membres d’introduire ou de maintenir des restrictions injustifiées à l’exercice de ces libertés dans le domaine des soins de santé » (arrêts du 7 février 1984, Duphar C- 238/82, Rec. p. 523; du 16 mai 2006, Watts, C-372/04, Rec. p. I-4325 ; 11 septembre 2008, Commission/Allemagne, C-141/07).
Selon une jurisprudence constante, l’article 43 CE s’oppose à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants communautaires, de la liberté d’établissement garantie par le traité (arrêts du 14 octobre 2004, Commission/Pays-Bas, C-299/02, Rec. p. I-9761, et du 21 avril 2005, Commission/Grèce, C-140/03, Rec. p. I-3177).

Il découle de la jurisprudence que deux objectifs peuvent, plus précisément, relever du régime dérogatoire dans la mesure où ils contribuent à la réalisation d’un niveau élevé de protection de la santé, à savoir, d’une part, l’objectif visant à maintenir un service médical ou hospitalier de qualité, équilibré et accessible à tous et, d’autre part, l’objectif consistant à prévenir un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale (voir, en ce sens, arrêt Watts).
L’article 46 CE permet, en particulier, aux États membres de restreindre la fourniture de prestations médicales et hospitalières dans la mesure où le maintien d’une capacité de soins ou d’une compétence médicale sur le territoire national est essentiel pour la santé publique (arrêts du 13 mai 2003, Müller-Fauré ; van Riet, C-385/99, Rec. p. I-4509 ; Watts).
Une planification des prestations médicales, dont l’exigence selon laquelle une autorisation est requise pour la création d’un nouvel établissement de santé constitue un corollaire, vise à assurer une maîtrise des coûts et à éviter, dans la mesure du possible, tout gaspillage des ressources financières, techniques et humaines, dès lors que le secteur des soins médicaux engendre des coûts considérables et doit répondre à des besoins croissants, tandis que les ressources financières pouvant être consacrées aux soins de santé ne sont, quel que soit le mode de financement utilisé, pas illimitées (en ce qui concerne les soins hospitaliers dans le cadre de la libre prestation de services, arrêts précités Müller-Fauré et van Riet, ainsi que Watts).
Ill conviendra donc de vérifier si les restrictions imposées par le CSP et le CASF seront uniquement propres à garantir la réalisation d’objectifs visant à maintenir un service médical de qualité, équilibré et accessible à tous et à prévenir un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale.
II – Tout le monde à la même enseigne
Il ne peut y avoir de discrimination entre les prestataires. C’est ce qu’indique très clairement l’arrêt ici commenté « Dès lors que ces deux catégories de prestataires peuvent avoir des caractéristiques ainsi qu’un nombre de médecins comparables et fournir des volumes de prestations médicales équivalents, elles peuvent ainsi avoir un impact similaire sur le marché des prestations médicales concerné et elles sont donc susceptibles d’affecter, d’une manière équivalente, la situation économique des médecins conventionnés dans certaines zones géographiques et, partant, la réalisation des objectifs de planification poursuivis par les autorités compétentes.
Cette incohérence affecte également la réalisation de l’objectif visant à prévenir un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système national de sécurité sociale. En effet, à supposer même que l’implantation incontrôlée de policliniques dentaires autonomes puisse déboucher sur une augmentation considérable du volume des prestations médicales à prix constants à la charge de ce système, le gouvernement autrichien n’a présenté aucun élément de nature à expliquer la raison pour laquelle l’implantation desdites policliniques, et non celle des cabinets de groupe, pourrait avoir un tel effet ».
Pourra-t-on ainsi maintenir un traitement différencié entre « opérateurs historiques », établissements publics de santé et PSPH et les nouveaux opérateurs ? Rien n’est moins sûr !
III – Pas de comportement discrétionnaire
Il résulte d’une jurisprudence constante qu’un régime d’autorisation administrative préalable ne saurait légitimer un comportement discrétionnaire de la part des autorités nationales, de nature à priver les dispositions communautaires, notamment celles relatives à une liberté fondamentale, de leur effet utile. Aussi, pour qu’un régime d’autorisation administrative préalable soit justifié alors même qu’il déroge à une telle liberté fondamentale, il doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, qui assurent qu’il soit propre à encadrer suffisamment l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales (arrêts du 20 février 2001, Analir, C-205/99, Rec. p. I-1271, Müller-Fauré et van Riet, précité).
Pourra-t-on laisser tout pouvoir comme c’est actuellement prévu à l’ARS dans certaines situations ? Certainement pas !
Quelle que sera la qualité des textes qui seront publiés, voilà assurément de belles perspectives de contentieux !