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Ma Santé 2022 - GHT : vers un mode dégradé de fusion
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Depuis la création des GHT par la loi[1]du 26 janvier 2016, l’objectif qui leur est assigné est la mise en œuvre d’une stratégie « de prise en charge commune et graduée du patient dans le but d’assurer une égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité ».

 

A cet effet, le législateur a fait le choix d’un dispositif conventionnel et non pas de créer une nouvelle personne morale. Et c’est par convention qu’un établissement « support » s’est vu transférer par les autres établissements « parties » des fonctions d’ampleur de manière obligatoire[2]ou volontaire[3].

La mise en œuvre des GHT montre souvent que l’absence de personnalité morale peut être un frein. Ainsi, la mutualisation essentielle de moyens (équipes communes, trésoreries…etc.) ou de fonctions (notamment logistiques et médico-techniques) se heurte, du fait de l’absence de personnalité morale, à des obstacles qui ne sont pas encore dépassés notamment en regard des règles de fiscalité ou de commande publique.

Se confirment les craintes formulées initialement …

La solution escomptée par beaucoup pour sortir les GHT de l’impasse est d’accorder aux établissements qui le souhaitent le droit de doter les GHT de la personnalité morale. C’était l’enjeu du fameux  « droit d’option ».

Le 18 septembre 2018, lors de la présentation par le Président de la République de « Ma Santé 2022 »,  était annoncée à propos des groupements hospitaliers de territoire, la « Création d’un droit d’option pour expérimenter de nouveaux modes de gouvernance, mutualiser de nouvelles compétences ou simplifier la procédure de fusion des établissements au sein des GHT pour ceux qui veulent aller plus loin dans l’intégration ».

Force est de constater que dans le projet de loi[4]qui s’ensuivit, le droit d’option a fait pschitt…

Et il n’est plus question d’ouvrir la possibilité de doter le GHT de la personnalité morale.

 

Mais qu’en est-il alors ?

 

Le mécanisme privilégié par le projet de loi est d’ « accompagner les établissements volontaires pour davantage d’intégration ».

Il n’est pas sans intérêt de relever qu’en droit économique, l’intégration renvoie à différentes formes de relations entre entreprises caractérisées par la perte d’indépendance économique et d’autonomie de décision de l’une au bénéfice d’une autre.

 

En quoi consistera l’intégration proposée pour les GHT ?

 

Un panel de modes d’intégration devrait voir le jour :

 

1/ La fusion ou la substitution d’instances

 

Le III de l’article 10 du projet de loi autorise le gouvernement à prendre par ordonnances des mesures visant à « ouvrir une facultéaux établissements parties à un groupement hospitalier de territoire d’approfondir l’intégrationde leurs instances représentatives ou consultatives ».

 

Plus particulièrement, les ordonnances devraient organiser les conditions dans lesquelles les établissements pourraient fusionnerou substituer :

  • leurs directoires et le comité stratégique du GHT ;
  • leurs commissions médicales d’établissement et la commission médicale du GHT qui devient une instance obligatoire ;
  • leurs comités techniques d’établissement, leurs comités techniques de groupements de coopération sanitaire de moyens de droit public et la conférence territoriale de dialogue social du GHT ;
  • leurs commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques et la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques de GHT ;
  • leurs comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

 

Dans l’attente des ordonnances plusieurs observations peuvent être faites :

 

D’abord, on constate que le conseil de surveillance n’est pas concerné par ce dispositif de fusion ou substitution d’instances. Il s’agit d’une exception notable puisque le conseil de surveillance « se prononce sur la stratégie et exerce le contrôle permanent de la gestion de l’établissement ». Rappelons aussi que siègent au conseil de surveillance des représentants des collectivités territoriales parmi lesquels figurent le maire de la commune siège de l’établissement et le président du conseil départemental ou leurs représentants.

 

Ensuite, les notions de « fusion » et de « substitution » ne sont pas neutres :

  • La fusion est une opération par laquelle deux ou plusieurs entités – ici les instances – se réunissent pour n’en former qu’une seule. A cet effet, soit une entité absorbe l’autre, soit les entités en créent ensemble une nouvelle ;
  • La substitution est le pouvoir conféré aux autorités hiérarchiques ou tutélaires de prendre certaines mesures à la place et pour le compte des autorités qui leur sont soumises, et qui demeurent responsables.

 

Ces deux modes d’intégration engendrent un phénomène d’aspiration dont les contours demeurent pour l’heure incertains.

Qui bénéficierait de la substitution ou de la fusion d’instances : le GHT qui ne dispose pas de la personnalité morale ? ou l’établissement support qui assure d’ores-et-déjà un certain nombre de compétences (achats, formation…etc.) ?

On peut également se demander si la fusion ou la substitution portera sur tout ou partie des directoires et du comité stratégique, ou sur tout ou partie des CSIRMT par exemple.

Mais la question majeure est celle de la faisabilité.

Comment fusionner des directoires en l’absence de direction commune compte-tenu du fait que chaque directoire est présidé par un directeur d’établissement ?

De même, il est difficile de concevoir la fusion ou la substitution des directoires sans fusionner ou substituer les CME et CSIRMT dont les présidents sont membres du directoire.

Surtout, chaque établissement conservera la plénitude de sa personnalité morale alors que le GHT en est dépourvu et repose sur une convention.

La fusion ou la substitution d’instances conduirait à déshabiller les établissements de santé parties aux GHT de leurs instances propres et donc de les priver peu à peu de la maîtrise de tout leur processus décisionnel tout en les laissant seuls responsables.

Ces questions sembleraient théoriques si elles n’impactaient pas directement l’autonomie des établissements publics de santé.

La réponse à apporter sera d’autant plus complexe qu’il ne s’agira – rappelons-le – que d’une faculté ouverte aux établissements parties à un GHT dont la gouvernance ne sera donc pas modifiée.

 

 

2/ La gestion des ressources humaines médicales et la création obligatoire d’une CME de GHT

 

Par ailleurs, le projet de loi rend obligatoire la création d’une commission médicale de GHT.

Cette création obligatoire poursuit l’objectif de faciliter la mise en œuvre effective d’une stratégie médicale de GHT qui justifie l’existence de ces groupements.

Il est vrai que l’adhésion des médecins à la stratégie médicale est un prérequis à sa réussite. Dès lors, obliger à la création d’une commission médicale de GHT a sans doute été regardé comme devant permettre d’améliorer le dialogue entre les médecins (en les y forçant ?) et en conséquence créer un sentiment d’appartenance à une communauté médicale du GHT.

En faveur de la mise en œuvre de la stratégie médicale du GHT, l’article 10 du projet de loi vise en outre à unifier la gestion des ressources humaines médicales. Comme le précise l’étude d’impact, les établissements sont aujourd’hui confrontés à des difficultés « régulièrement signalées en matière de concurrence inter-établissements sur les stratégies de recrutement ». C’est ainsi que cet article 10 prévoit de confier à l’établissement support la gestion des ressources médicales pour le compte des établissements parties au groupement.

Dans le même temps, l’article 10 prévoit également que sera définie par ordonnances l’articulation des compétences respectives en matière de gestion des ressources humaines médicales des directeurs d’établissements parties et des directeurs d’établissements support.

Si l’intérêt général du groupement prévaut sur le seul intérêt des plus gros établissements des GHT alors on peut attendre beaucoup de ces mesures.

 

 

3/ La mutualisation des ressources financières

 

Le dernier segment de l’article 10 du projet de loi porte sur la mutualisation très attendue des ressources et des investissements. Sous réserve d’un décret en Conseil d’Etat, chaque directeur général d’ARS pourrait autoriser les établissements des GHT à mettre en commun leurs disponibilités et à élaborer un programme d’investissement et un PGFP uniques. Nous avons déjà eu l’occasion d’écrire à ce sujet dans un précédent article sur le blog.

 

En conclusion,

Les dispositions de l’article 10 du projet de loi favorisant « l’intégration » au sein des GHT marquent un pas supplémentaire vers un dispositif de concentration de la gestion administrative et financière des établissements publics de santé.

Outre les fonctions déjà transférées vers l’établissement support (achats, formation, SI, DIM), le projet de loi s’attaque maintenant aux instances, à la gestion des ressources humaines médicales et des ressources financières.

Au final, les établissements parties pourraient se voir privés de leurs directoire, CME, CTE, CHSCT et CSIRMT ainsi que de la gestion de leur effectif médical et de leur trésorerie.

Que leur resterait-il ?

  • Leur conseil de surveillance au sein desquels siègent les représentants des collectivités territoriales ;
  • Leurs autorisations et leur mission de prise en charge des patients ;
  • Leur responsabilité puisqu’ils conserveraient du moins en apparence leur pleine autonomie juridique.

 

Au lieu d’aller vers la simplification de la procédure de fusion des établissements au sein des GHT comme annoncée le 18 septembre 2018, le projet de loi se dirigerait et créerait un mode dégradé de fusion.   

 

 


 

 

[1]Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

 

[2]Fonction achats ; stratégie, optimisation et gestion commune d’un système d’information hospitalier convergent ; gestion d’un département de l’information médicale de territoire ; coordination des instituts et des écoles de formation paramédicale, des plans de formation continue et de développement professionnel continu des personnels.

 

[3]Gestion des équipes médicales communes, mise en place de pôles interétablissements, gestion des activités administratives, logistiques, techniques et médico-techniques.

 

[4]Projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé

Me Laurine Jeune, avocate associée, a rejoint le Cabinet Houdart et Associés en janvier 2011.

Elle conseille et accompagne depuis plus de douze ans les acteurs du secteur de la santé et du médico-social, publics comme privés, dans leurs projets d’organisation ou de réorganisation de leurs activités :

- Coopération (GCS de moyens, GCS exploitant, GCS érigé en établissement, GCSMS, GCSMS exploitant, GIE, GIP, convention de coopération, co-construction,…etc.)
- Transfert partiel ou total d’activité (reprise d’activités entre établissements (privés vers public, public vers privé, privé/privé, public/public),
- Fusion (fusion d’association, fusion entre établissements),
- Délégation et mandat de gestion,
- GHT, etc.

Me Laurine Jeune intervient également en qualité de conseil juridique auprès des acteurs privés en matière de création et de fonctionnement de leurs structures (droit des associations, droit des fondations, droit des sociétés).

Enfin, elle intervient sur des problématiques juridiques spécifiquement liés à :

- la biologie médicale,
- la pharmacie hospitalière,
- l’imagerie médicale,
- aux activités logistiques (blanchisserie, restauration),
- ou encore à la recherche médicale.