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Quoi de neuf devant les juridictions ?
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Quelle articulation entre la défense d’un médecin et le secret ?

Article rédigé le 16 octobre 2023 par Me Charlotte Crépelle

 

Dans le système judiciaire français, un professionnel tenu au secret peut, lorsqu’il s’agit pour lui du seul moyen d’éviter une condamnation, divulguer une information couverte par ce secret.
En effet, la position des juridictions peut être résumée de la manière suivante : « on ne saurait reprocher à qui que ce soit le droit de se défendre, et cette liberté essentielle ne peut être mise en échec par les règles du secret professionnel. » [Cour d’appel de Douai, 26 oct. 1961, Gaz.Pal. 1951, 2 p. 425].

 

Néanmoins, les juges ont pris soin de poser en matière de révélation du secret professionnel certains garde-fous, puisqu’il est imposé au professionnel de limiter la divulgation d’informations couvertes par le secret professionnel aux faits strictement nécessaires à la défense de ses intérêts (TGI Paris, 26 juin 1998, chambre correctionnelle 17). Récemment le Conseil d’Etat dans sa décision du 22 août 2023 en donne une parfaite illustration.

 

Analyse des faits

Dans cette affaire un patient a subi une opération chirurgicale, une pénoplastie d’allongement et d’augmentation du volume de la verge. Une seconde intervention dite de retouche a été pratiquée car à la suite de ces opérations, ce patient présentait une neuropathie sensitive du nerf dorsal de la verge lui occasionnant des douleurs permanentes, le privant ainsi de toute vie sexuelle et le conduisant à une hospitalisation en psychiatrie suivie de deux tentatives de suicide.

Face à la situation, ce patient a déposé plainte devant la juridiction ordinale contre le praticien ayant réalisé l’intervention.

Le 9 février 2022, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a retenu à l’encontre de ce praticien de nombreux manquements déontologiques et a prononcé la sanction d’interdiction d’exercer la médecine pour deux ans, dont un an avec sursis.

Le patient a formé un pourvoi en Cassation contre cette décision, dont l’un de ses motifs était basé sur la communication par ce praticien d’éléments médicaux susceptibles d’étayer l’affirmation selon laquelle celui-ci présenterait « une pathologie psychiatrique » pouvant rendre compte de son attitude et du caractère exagéré de ses griefs. En effet, le praticien avait indiqué que pour les besoins de sa défense et cela dans le cadre de son instance disciplinaire, il avait dû produire des pièces couvertes par le secret médical mais que cette production intervenant pour les besoins de sa défense ne pouvait être considérées comme une violation du secret médical.

Ce même argument avait également été développé par un médecin dans le cadre de sa défense dans un litige porté devant le conseil de prud’hommes, celui-ci avait alors communiqué une copie du registre de ses interventions en bloc opératoire à son avocat qui l’avait transmise au conseil de la partie adverse. Cependant, même si praticien avait violé le secret médical en omettant d’oblitérer préalablement les noms des patients mentionnés sur le registre, eu égard la bonne foi de l’intéressé cette faute ne caractérisait pas un manquement à l’honneur, cette révélation ayant pu faire l’objet du bénéfice de l’amnistie (Conseil d’Etat, 13 janvier 1999, n°177913).

 

La position du Conseil d’état

Dans son arrêt du mois d’août, le Conseil d’Etat a ainsi dû répondre aux questions suivantes :

  • la production d’éléments relatifs à la santé mentale du requérant était-elle réellement nécessaire lors de cette instance disciplinaire ?
  • en révélant ces informations, sachant qu’elles étaient couvertes par le secret médical, le professionnel de santé était-il de bonne foi ?
  • la révélation de ces informations était-elle en lien avec la faute du médecin ?

 

Dès lors que le secret est le principe, que la dérogation à ce secret est l’exception le juge doit nécessairement vérifier que les conditions pour admettre cette dérogation soient réunies.

Dans la continuité de la jurisprudence antérieure, le Conseil d’Etat a estimé que la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins aurait dû vérifier si la production d’éléments relatifs à la santé mentale du requérant était « strictement » nécessaire et non juste nécessaire à la défense de ses droits par l’intéressé.

Dans ses conclusions, le rapporteur public dénonce la motivation de la décision de la CDN :

« (…) Il ne fait en effet aucun doute que la communication d’informations médicales selon lesquelles M. B… est atteint d’un trouble mental dit de « fonctionnement limite » sur un « mode anaclitique (situation de carence affective maternelle) », est en « quête de perfection et de l’estime de l’autre », d’un besoin d’un « étayage constant » pour « survivre » et de « l’incapacité à être seul » et se trouve sous traitement antipsychotique et anxiolytique, n’était absolument pas strictement nécessaire à la défense de ses droits par le praticien.

Ces informations n’ont strictement aucun rapport avec les fautes reprochées au médecin et leur communication tendait seulement à décrédibiliser l’auteur de la plainte en mettant sa démarche sur le compte de ses troubles psychiatriques. La circonstance avancée en défense devant vous que certains traitements antipsychotiques peuvent avoir des effets secondaires affectant les fonctions sexuelles est totalement hors sujet dès lors que ce n’est pas ce dont se plaignait M. B… et encore moins ce qu’il reprochait au praticien.»

Pour le Conseil d’Etat, la communication de ces informations médicales sans rapport avec la faute du médecin, n’avait pas lieu d’être devant une juridiction ordinale, et cela même pour la défense du médecin.

Cette solution est également bien établie devant la chambre criminelle de la Cour de Cassation, qui veille à ce que la révélation d’une pièce couverte par le secret médical constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans la défense du professionnel de santé. En effet, dans sa décision en 2007, la Cour de Cassation avait déjà précisé qu’en ce qui concerne la production en justice de pièces d’un dossier médical et psychologique par un médecin psychiatre accusé d’agression sexuelle sur un patient incapable majeur n’aurait pas dû être produite par la partie poursuivante en ce qu’il n’avait pas été recherché « si l’examen public et contradictoire, devant la juridiction correctionnelle de ces pièces, couvertes par le secret médical professionnel, constitue une mesure nécessaire et proportionnée à la défense de l’ordre et à la protection des droits de la partie civile au sens de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme » (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 24 avril 2007, 06-88.051).

En matière de secret médical, la prudence reste de mise, trop dévoiler pour se protéger est un pari risqué  !