Scroll Top
jurisprudence judiciaire
Partager l'article



*




UNE MAISON D’ACCUEIL CONDAMNÉE POUR RUPTURE D’UN CONTRAT DE SÉJOUR

 

Article rédigé le 14 mai 2024 par Marie COURTOIS

 

Cour d’appel de Bourges, 1e Chambre, 25 janvier 2024, n°22/01200

 

Le 25 janvier 2024, une association gestionnaire est condamnée pour sa rupture abusive d’un contrat de séjour dans une maison d’accueil spécialisée. Cet arrêt est l’occasion de rappeler que : « Les établissements médico-sociaux ne peuvent pas rompre un contrat de séjour, par une décision unilatérale, sans consultation préalable de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées ».

 

 

Une maison d’accueil spécialisée démunie face aux troubles du comportement d’une jeune majeure

 

En 2016, une maison d’accueil spécialisée, gérée par une association, a accueilli une jeune femme de 25 ans, atteinte du syndrome de Cornelia de Lange, placée sous la tutelle de ses parents, sur orientation de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées. Un contrat de séjour a rapidement été conclu avec l’association gestionnaire et un projet d’accueil personnalisé a été mis en place en 2017.

Toutefois, à compter de mai 2018, les incidents se multiplient. Les troubles du comportement de la patiente, caractérisés par des manifestations d’auto-agressivité et d’hétéro-agressivité, deviennent difficilement gérables pour l’établissement qui ne parvient pas à les stabiliser.

Le 27 février 2019, une réunion est organisée à la Maison départementale des personnes handicapées afin de faire le point sur sa prise en charge et l’opportunité d’un séjour de rupture, à visée d’évaluation dans un établissement tiers, est évoquée.

Deux mois plus tard, un nouveau projet personnalisé d’accompagnement (non signé par les parents) préconise une réorientation de la patiente vers un établissement qui répondrait mieux à ses besoins médicaux et à la gestion de son agitation. S’en suit, un courrier, par lequel le gestionnaire de l’établissement informe les parents de l’accueil de leur fille dans une autre maison d’accueil spécialisée pour une durée de quatre semaines. Malheureusement, ces derniers s’y opposent et refusent d’y conduire leur fille.

Le gestionnaire les informe de l’impossibilité d’accueillir leur fille tant que le séjour d’évaluation clinique n’aura pas été réalisé, eu égard à ses troubles du comportement. Finalement, démuni, un mois plus tard, il rompt unilatéralement le contrat de séjour de la patiente en se fondant sur :

« l’inadéquation notoire et persistance, constatée par deux avis médicaux, entre l’évolution de son état de santé et les moyens dont dispose la MAS pour y répondre ».

 

Suite à cette rupture du contrat de séjour, les parents ont assigné le gestionnaire de l’établissement de santé en responsabilité contractuelle pour défaut d’exécution, exécution de mauvaise foi et rupture abusive du contrat de séjour. Si le tribunal judiciaire de Bourges les a déboutés de leurs demandes, ils ont interjeté appel.

La Cour d’appel de Bourges, dans un arrêt du 25 janvier 2024, a condamné l’association gestionnaire de la maison d’accueil spécialisée pour rupture abusive du contrat de séjour.

 

L’illicéité de la rupture unilatérale d’un contrat de séjour

 

La cour d’appel affirme que l’association gestionnaire de l’établissement de santé a manqué à ses obligations contractuelles en procédant à la résiliation du contrat de séjour en méconnaissance des articles L.311-4-1 et L.241-6 du code de l’action sociale et des familles.

 

Selon l’Article L.311-4-1 3° : « La résiliation du contrat de séjour, par le gestionnaire de l’établissement, peut intervenir […] dans le cas où la personne accueillie cesse de remplir les conditions d’admission dans l’établissement, lorsque son état de santé nécessité durablement des équipements ou des soins non disponibles dans cet établissement, après que le gestionnaire s’est assuré que la personne dispose d’une solution d’accueil adaptée. ».

Selon l’article L.241-6 dernier alinéa : « Lorsque l’évolution de son état ou de sa situation le justifie, l’adulte handicapé ou son représentant légal, ou l’établissement ou le service, peuvent demander la révision de la décision d’orientation prise par la commission. L’établissement ne peut mettre fin, de sa propre initiative, à l’accompagnement sans décision préalable de la commission ».

 

La Cour d’appel relève que :

  • La proposition d’un établissement de santé d’accueillir une patiente pour un séjour de rupture de quatre semaines ne peut pas constituer « une solution d’accueil adaptée » au sens de l’article L.311-4-1. En l’espèce, le gestionnaire qui a résilié unilatéralement le contrat de séjour de la patiente, ne pouvait pas soutenir que celle-ci disposait d’une solution d’accueil adaptée, du seul fait qu’un autre établissement de santé avait accepté de l’accueillir pour un séjour d’évaluation clinique de quatre semaines. En effet, cette acceptation était conditionnée à la reprise de la patiente par la maison d’accueil gérée par lui à l’issue du séjour.
  • Les établissements médico-sociaux ne peuvent pas rompre un contrat de séjour par une décision unilatérale, sans consultation préalable de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées. En l’espèce, aucune décision de cette commission n’est intervenue préalablement à la rupture.

 

La cour d’appel établit alors le manquement de l’association gestionnaire à ses obligations contractuelles.

 

La mauvaise foi dans la rupture unilatérale d’un contrat de séjour

 

Les parents de la jeune majeure allèguent que le gestionnaire a fait preuve de mauvaise foi dans la rupture du contrat de séjour en la fondant sur l’inadéquation entre l’état de santé de leur fille et les moyens dont dispose la MAS.

En l’espèce, cette inadéquation est démontrée par le gestionnaire via la production de deux avis médicaux constatant que :

  • Les troubles du comportement de la patiente sont ingérables et non stabilisables.
  • Les parents ne coopèrent pas suffisamment avec l’établissement en refusant le séjour de répit et d’évaluation.

Or si les parents de la jeune femme ne contestent pas l’existence de ces troubles du comportement, ils nient qu’ils aient pu être ingérables, eu égard à la corpulence et à la médicamentation de leur fille, et non stabilisables. Si cet argument pourrait être recevable, la bonne foi est présumée et en l’espèce, les parents n’apportent pas la preuve de la mauvaise foi du gestionnaire.

 

En revanche, la Cour d’appel considère que la mauvaise foi dans la rupture du contrat de séjour est établie dès lors que le gestionnaire, eu égard à sa qualité de professionnel, à la taille et à l’ancienneté de sa structure et au nombre important de personnes handicapées qu’il accueille, ne pouvait ignorer le contenu des articles L.311-4-1 et L.241-6, c’est-à-dire ignorer qu’il procédait à la résiliation d’un contrat de séjour de manière illégale.

 

La cour d’appel condamne l’association gestionnaire à verser 13 000 euros en réparation des préjudices moraux infligés à la jeune femme et ses parents qui ont dû la prendre en charge, seuls pendant huit semaines, puis quinze jours par mois, sans formation professionnelle adéquate.

Etudiante en première année de master, Marie Courtois a rejoint le Cabinet HOUDART & Associés, en qualité de juriste, en septembre 2023.

En charge de la veille juridique et jurisprudentielle, elle met ses compétences rédactionnelles au service du cabinet. Attentive à l’actualité législative, règlementaire et jurisprudentielle liée au domaine médico-social, elle décrypte pour vous les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et les textes récents.