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Un an de prime de précarité dans la fonction publique
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1 an de prime de précarité dans la fonction publique : premier bilan

 

Article rédigé le 30 janvier 2022 par Me Xavier Laurent

Les questions de pouvoir d’achat demeurent au cœur du débat public et des préoccupations des Français, de façon encore plus prégnante au cœur d’une crise sanitaire qui n’en finit pas. Le Gouvernement avait notamment pris des mesures fortes sur ce thème à l’attention des soignants dans le cadre du Ségur de la santé (nous parlions de la revalorisation salariale dans un précédent billet). Dans la même dynamique de lutte contre la précarité, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a créé une indemnité de fin de contrat au bénéfice des agents contractuels ayant des contrats courts. Applicable dans les trois versants de la fonction publique depuis le 23 octobre 2020, ses effets concrets demeurent à mesurer.

 

Inspirée du droit du travail afin de favoriser les contrats longs

 

L’article 23 de la loi 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a instauré, au profit des agents contractuels des trois versants de la fonction publique recrutés en CDD à compter du 1er janvier 2021, une indemnité de fin de contrat, communément appelée « indemnité de précarité ».

Créée sur le modèle de l’indemnité de même nature prévue par l’article L. 1243-8 du code du travail pour les salariés de droit privé, ces conditions d’octroi sont toutefois plus restreintes.

C’est le décret n°2020-1296 du 23 octobre 2020 qui a introduit, dans chaque décret applicable aux agents contractuels de chaque versant de la fonction publique, les dispositions relatives à l’indemnité de fin de contrat (complétées par l’article 10 de la loi du 9 janvier 1986 portant statut de la FPH).

Pour la fonction publique hospitalière, le décret n°91-155 du 6 février 1991 a été complété d’un article 41-1-1.

Comme dans le droit du travail, l’indemnité n’est due « que lorsque le contrat est exécuté jusqu’à son terme » et elle n’est pas due si l’agent refuse la conclusion d’un CDI « pour occuper le même emploi ou un emploi similaire auprès du même employeur, assorti d’une rémunération au moins équivalente ».

Comme dans le droit du travail, « le montant de l’indemnité de fin de contrat est fixé à 10 % de la rémunération brute globale perçue par l’agent au titre de son contrat et, le cas échéant, de ses renouvellements ».

En revanche, l’indemnité de fin de contrat dans la fonction publique s’éloigne du droit du travail en tant qu’elle n’est attribué que lorsque les contrats « sont d’une durée inférieure ou égale à un an ».

En effet, comme le relevait la fiche d’impact du projet de décret d’application, la prime de fin de contrat a été imaginée, non seulement comme un outil de lutte contre la précarité, mais également comme un levier incitatif auprès des administrations afin de favoriser la conclusion de contrats longs, en augmentant le coût pour les employeurs des contrats inférieurs à un an.

Cela devait permettre de répondre à l’objectif affiché de réduire en nombre les contrats les plus précaires.

Autre élément de différenciation notable avec le droit du travail : la prime n’est pas attribuée si la rémunération brute de l’agent dépasse deux fois le SMIC. Aucune limitation de cette nature ne s’applique pour les salariés de droit privé.

On le voit, la finalité du dispositif est bien de lutter contre les situations de précarité en tentant de limiter le recours aux contrats courts par une forme de « pénalité » pesant sur l’employeur, tout en faisant bénéficier les agents concernés d’un complément de rémunération, le tout sans grever le budget des établissements.

Une équation à plusieurs inconnus dont la mise en œuvre a été récemment analysée dans le cadre d’un rapport parlementaire.

 

Une mise en œuvre source d’interrogations, qui « suppose une évaluation régulière, voire des ajustements »

 

Initialement estimé à 364 millions d’euros, le coût annuel prévu pour l’indemnité de fin de contrat dans la fonction publique s’est révélé bien moindre.

La députée Émilie Chalas, rapporteure pour avis de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le volet “Fonction publique” du budget, a remis un rapport d’évaluation le 20 octobre 2021 qui fait le point sur le dispositif et relève notamment le fait que « le coût indiqué [du dispositif] pendant les auditions était de 6,98 millions d’euros ».

Si la députée reconnaît que « ce coût ne concerne que la période allant de janvier à septembre 2021, et devrait croître sur l’année complète », il lui paraît hautement improbable que trois mois suffisent à s’approcher du coût initialement estimé.

La rapporteure s’interroge évidemment sur ce différentiel entre coût prévisionnel et coût réel : dans le meilleur des cas, il est dû à « l’effet comportemental » de la prime, qui pousserait les employeurs, afin de ne pas la payer, à limiter le recours aux contrats courts d’un an ou moins.

Dans cette hypothèse, « Si la faiblesse du coût de la « prime de précarité » s’explique par une meilleure organisation ou des recrutements pérennes, ou substantiellement plus longs, l’objectif est atteint ».

Dans le pire des cas, par une forme d’effet pervers, les contrats courts seraient allongés artificiellement « par exemple, en retenant une durée d’un an et un jour ».

Dans cette situation, Madame Chalas considère que « on serait là dans une configuration où la lettre de la loi serait respectée, mais son esprit et sa finalité totalement contournées. Cela serait difficilement admissible, surtout compte tenu du devoir d’exemplarité des employeurs publics ».

Ces éléments d’analyse et d’appréciation de la portée du dispositif au regard de sa finalité doivent conduire à un « suivi précis et fin » de sa mise en œuvre « en termes budgétaires mais aussi comportementaux ».

Afin de lutter contre les effets pervers que peut entraîner « tout plafond, tout seuil », il est proposé deux solutions alternative par la rapporteure :

    • La « plus ambitieuse» consisterait à aligner la prime de précarité du secteur public sur le secteur privé et ainsi de ne pas la limiter aux seuls contrats d’un an ou moins : une telle solution aurait un coût sans commune mesure avec les estimations initiales et sa mise en œuvre budgétaire pourrait s’avérer particulièrement compliquées pour les établissements, surtout les plus petits
    • La « plus modeste» tendrait à relever à 18 mois la durée de contrat au-delà de laquelle l’indemnité n’est pas  due: la lutte contre la précarité en serait renforcé en élargissant le champ d’application mais « l’effet de seuil demeurerait »

 

Il ne reste qu’à espérer que le suivi et l’évaluation du dispositif se poursuivront régulièrement afin d’y apporter d’éventuels correctifs afin que l’indemnité de fin de contrat réponde véritablement à la finalité qui est la sienne : lutter efficacement contre la précarité.

 

Avocat depuis 2014, Xavier LAURENT a initialement exercé au sein d’un Cabinet parisien une activité plaidante et de conseil auprès d’entreprises sociales pour l’habitat tant publiques que privées (OPHLM, SA d’HLM), notamment dans le cadre de contentieux immobiliers (droit locatif, copropriété, construction, urbanisme).

Fort d’une solide formation en droit public et désireux de donner une nouvelle orientation à sa carrière, Xavier LAURENT a par la suite intégré un Cabinet spécialisé en droit de la fonction publique, au sein duquel il a exercé en conseil et contentieux pour de nombreuses collectivités territoriales (contentieux du harcèlement moral et des sanctions disciplinaires, conseil en gestion RH, marchés publics, etc…).

C’est en 2018 qu’il a rejoint le pôle social du Cabinet HOUDART ET ASSOCIE.

Au-delà de ses compétences en droit de la fonction publique, Xavier Laurent a eu l’occasion de traiter des dossiers en droits du travail et de la sécurité sociale, lui donnant une vision transversale et une capacité d’analyse complète sur toutes les questions intéressant la gestion des ressources humaines des acteurs du monde de la santé (salariés relevant du code du travail, agents statutaires et contractuels).