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Proposition de loi
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C’EST VOTÉ AU SÉNAT : QUID DE LA PROPOSITION DE LOI “BIEN VIEILLIR”?

 

Article rédigé le 11 mars 2024 par Marie COURTOIS

 

Le 6 février dernier, le Sénat a adopté, en première lecture, la proposition de loi « Bien vieillir » par 233 voix pour et 17 voix contre. Alors que la proposition de loi désormais intitulée « Proposition de loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l’autonomie », sera prochainement examinée par une commission mixte paritaire, revenons sur ses mesures clés.

 

En 2030, les habitants de plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans. Force de ce constat, la proposition de loi prévoit une panoplie de mesures. Leurs ambitions ? Prévenir la perte d’autonomie et lutter contre l’isolement social, mieux signaler la maltraitance des personnes en situation de vulnérabilité et garantir à chacun des conditions d’habitat et des prestations de qualité en facilitant et en mieux rémunérant le travail des aides à domicile.

 

Le 23 novembre 2023, les députés et le gouvernement avaient adopté la proposition de loi en l’enrichissant de 146 amendements. Le 6 février 2024, le Sénat revient sur ces amendements et en supprime presque la moitié.

 

LA PRÉVENTION DE LA PERTE D’AUTONOMIE ET LA LUTTE CONTRE L’ISOLEMENT DES PERSONNES ÂGÉES

 

Si le Sénat a supprimé la conférence nationale de l’autonomie en considérant qu’elle ne trouvait pas sa place dans le paysage actuel, il a confirmé de nombreuses mesures visant à prévenir la perte d’autonomie et à lutter contre l’isolement des personnes âgées.

 

L’institution d’un Service public départemental de l’autonomie

 

La proposition de loi, dans son Article 1 bis A, institue un Service public départemental de l’autonomie (SPDA) : tel un guichet unique, il a pour mission de faciliter les démarches des personnes âgées, handicapées et des proches aidants en garantissant une coordination des services et aides dont ils bénéficient (Article L.149-5 du Code de l’action sociale et des familles). Aussi, il s’assurera de la continuité de leur parcours et soutiendra leur maintien à domicile.

Ce service sera piloté par le département et assuré conjointement par celui-ci, l’ARS, les organismes locaux et régionaux de sécurité sociale, la maison départementale des personnes handicapées, etc. (Article L.149-6 du CASF).

Dans chaque département, une conférence territoriale de l’autonomie composée des représentants du SPDA, sera chargée de coordonner l’action des membres du SPDA et d’allouer à ce dernier des financements pour prévenir la perte d’autonomie et soutenir le développement de l’habitat inclusif (Article L.149-7 du CASF). L’allocation de ces financements nécessitera la réunion d’une commission dite « commission des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie » qui, sur la base d’un diagnostic des besoins des personnes âgées de plus de 60 ans, établira un programme annuel de financements des actions dans le respect d’axes définis par un plan trisannuel (Article L.149-10). Les financements pourront notamment servir à :

  • Améliorer l’accès aux équipements et aux aides techniques individuelles.
  • Coordonner et soutenir les actions de prévention mises en œuvre par les SPDA.
  • Soutenir les actions d’accompagnement des proches aidants des personnes âgées en perte d’autonomie.
  • Développer des actions de lutte contre l’isolement des personnes âgées.

 

Le déploiement des équipes locales sur les aides techniques

 

Actuellement au nombre de 24, les équipes locales sur les aides techniques devraient être déployées sur l’ensemble du territoire, dans chaque département. C’est ce que prévoit l’Article 1e bis D de la proposition de loi adoptée par le Sénat. Ces équipes ont pour mission :

  • D’accompagner individuellement les personnes âgées et les personnes handicapées dans l’évaluation de leurs besoins, dans le choix et la prise en main des aides techniques et dans la définition des aménagements de logement correspondants à leurs besoins.
  • De soutenir les actions de sensibilisation, l’information et la formation sur les aides techniques notamment des personnes handicapées, des personnes âgées et des proches aidants.

 

La création du groupement territorial social et médico-social

 

Le Sénat entérine la création du GTSMS, pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter notre article sur le sujet, en cliquant ici.

 

L’accès autorisé aux registres des personnes vulnérables et aux fichiers des bénéficiaires de l’APA et de la PCH

 

Afin de faciliter le repérage des personnes pouvant se trouver en situation de vulnérabilité, en cas de canicule ou de crise sanitaire, et ainsi, mieux les informer, l’Article 2 de la proposition de loi, permet aux maires d’accéder aux informations relatives aux bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH).

Les services sociaux, quant à eux, pourront avoir accès aux registres des personnes vulnérables tenus par les mairies notamment aux fins :

  • D’organiser un contact périodique avec les personnes répertoriées, en cas de canicule ou de crise sanitaire.
  • De leur proposer des actions visant à lutter contre l’isolement social et à repérer les situations de perte d’autonomie.
  • De les informer des dispositifs d’aide et d’accompagnement existants et de leurs droits.

 

Cette autorisation d’accès doit être saluée comme un moyen efficace de lutte contre l’isolement social des personnes âgées en période d’alerte.

 

La systématisation du dépistage précoce de la perte d’autonomie

 

Pour agir le plus en amont possible, dès les premiers signes de la perte d’autonomie des personnes âgées, l’Article 2 bis A de la proposition de la loi, systématise le dépistage précoce des fragilités en s’appuyant sur l’outil ICOPE. Il s’agit d’un test réalisable sur une application mobile qui permet d’auto-évaluer ses capacités. L’article précise que les rendez-vous de prévention proposés aux personnes âgées d’au moins 60 ans créés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, contribueront à la mise en œuvre de ce dépistage précoce de la perte d’autonomie.

 

LA LUTTE CONTRE LA MALTRAITANCE DES PERSONNES EN SITUATION DE VULNÉRABILITÉ

 

Au cœur de cette proposition de loi, il y a aussi des mesures de prévention et de lutte contre les maltraitances des personnes en situation de vulnérabilité.

 

La prévention et la lutte contre les maltraitances devient une mission de l’action sociale

 

La prévention et la lutte contre les maltraitances et les situations d’isolement est intégrée parmi les missions d’intérêt général et d’utilité sociale dans lesquelles s’inscrit l’action sociale et médico-sociale (Article L.311-1 du CASF – Article 3 de la PPL).

 

Le droit de visite dans les Ehpad est inscrit dans la loi

 

Enoncé par l’Article 3 de la proposition de loi, le droit de visite dans les EPHAD sera inscrit dans le code de l’action sociale et des familles (Article L.311-5-2) et dans le code de la santé publique (Article L.1112-2-1), chacun énonçant que « Les établissements de santé garantissent le droit des personnes qu’ils accueillent de recevoir chaque jour tout visiteur qu’elles consentent à recevoir ».

Par l’adoption d’un amendement, le Sénat confère à ce droit un caractère absolu : même en période de crise sanitaire, le résident ou du patient aura le droit de recevoir de la visite, quotidiennement, sans qu’il soit nécessaire d’en informer l’établissement.

L’établissement ne pourra s’opposer à une visite que si elle constitue une menace pour l’ordre public à l’intérieur ou aux abords de l’établissement, ou si le médecin coordonnateur ou, à défaut, tout autre professionnel de santé consulté par le directeur de l’établissement estime qu’elle constitue une menace pour la santé du résident, celles des autres résidents ou celle des personnes qui y travaillent.

 

Une cellule départementale de recueil et de suivi des signalements de maltraitance est créée

 

Sous l’autorité conjointe du président du conseil départemental et de l’ARS et intégrant les partenaires associatifs locaux, une cellule départementale de recueil et de suivi des signalements de maltraitance sera instituée (Article L.119-3 du CASF).

Un nouvel article L.119-2 imposera à « toute personne ayant connaissance de faits constitutifs d’une maltraitance envers une personne majeure en situation de vulnérabilité du fait de son âge ou de son handicap » de les signaler à cette nouvelle cellule. Les personnes soumises au secret professionnel pourront elles aussi effectuer de tels signalements.

Une fois recueillis par la cellule, ces signalements seront transmis, pour leur évaluation et leur traitement à différents acteurs (le directeur de l’ARS, le préfet, le président du conseil départemental) en fonction de la personne impliquée dans le signalement. Le procureur pourra alors, au besoin, être avisé de la situation de la personne vulnérable.

La mission de la cellule est essentiellement une mission de coordination. Elle vise à fluidifier les remontées d’information quant aux cas de maltraitance en centralisant les signalements.

 

L’AMÉLIORATION DES CONDITIONS D’HABITAT ET DES PRESTATIONS : UNE REVALORISATION DES AIDES À DOMICILE

 

Garantir à chacun de bonnes conditions d’habitat et des prestations de qualité était l’un des objectifs de la proposition de loi « bien vieillir ».  Pour cela, il était apparu nécessaire de mieux accompagner les professionnels de l’aide à domicile en facilitant et en mieux rémunérant leur travail.

 

La création d’une carte professionnelle

 

Afin de faciliter la reconnaissance du travail des professionnels intervenant au domicile des personnes âgées et des personnes handicapées, une carte professionnelle est créée (Article 6 de la PPL et L.313-1-1 du CASF). Sa délivrance est soumise à l’obtention préalable d’une certification professionnelle attestant :

  • Soit de la qualification et de la compétence des intervenants à domicile.
  • Soit de la justification de deux années d’exercice professionnel dans des activités d’intervention au domicile des personnes âgées et des personnes handicapées.

 

Une participation des départements aux frais de transport des intervenants à domicile

 

La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie sera tenue de verser aux départements et aux collectives territoriales, une aide financière annuelle visant à soutenir la mobilité des intervenants à domicile, quel que soit leur mode de transport. Ce fonds de soutien, chiffré à 100 millions d’euros, pourrait permettre de financer, par exemple, l’obtention d’un permis de conduire.

 

Une tarification globale des services d’autonomie à domicile est expérimentée 

 

A compter du 1e janvier 2025 et dans dix départements, une expérimentation est mise en œuvre pour modifier les modalités de financement des services d’autonomie à domicile (Article 8). Les départements pourront mettre en place une tarification globale ou forfaitaire en remplacement total ou partiel des tarifs horaires dans le cadre d’une convention avec les services d’autonomie à domicile. Cette expérimentation sera ouverte de 2025 à fin 2026.

 

L’HÉBERGEMENT EN EHPAD, QUE DIT LA PROPOSITION DE LOI ?

 

En vue d’améliorer les conditions d’hébergement en Ehpad, de nombreuses mesures ont été discutées. La proposition de loi, telle qu’adoptée le 6 février, permet :

 

  • Aux établissements de :
    • Moduler le tarif d’hébergement en fonction des ressources des résidents lorsque ceux-ci ne relèvent pas de l’aide sociale départementale (Article 10).
    • Proposer des places en accueil de jour sans qu’une capacité minimale leur soit imposée (Article 11 bis G).
    • Définir les conditions dans lesquelles leurs résidents peuvent accueillir leur animal domestique (Article 11 bis E). Afin de faire de l’Ehpad « un lieu de vie répondant aux attentes et aux besoins de chaque personne vieillissante et favoriser le sentiment d’être chez soi », les députés avaient proposé un amendement permettant à chaque résident d’accueillir son animal domestique (Amendement n°203). Cet amendement faisait ainsi suite aux revendications des résidents pendant la crise du Covid-19. Adoptée par l’Assemblée nationale, cette disposition a été supprimée par les sénateurs. Le droit d’accueillir son animal s’est transformé en une simple obligation pour les établissements de fixer les conditions dans lesquels les résidents peuvent accueillir leur animal domestique.

 

  • A l’Agence Régionale de Santé d’instaurer un quota minimal de chambres réservées à l’accueil exclusif de nuit dans les Ehpad et dans les résidences autonomie, à titre expérimental de juin 2024 à juin 2026. L’objectif est d’accorder du répit aux proches aidants ou de rassurer les personnes âgées vivant seules pour lesquelles le risque de chute, de malaise sont augmentées la nuit (Article 11 bis F)

 

Si les députés avaient intégré des mesures visant à plus de transparence de la part des Ehpad privés lucratifs (Amendement 1037) ainsi que des mesures les obligeant à consacrer une fraction de leurs bénéfices à l’amélioration de l’hébergement des résidents (Amendement n°1249), celles-ci ont été supprimées par les sénateurs.

 

Que pensez de cette proposition de loi adoptée, en première lecture, le 6 février dernier ?

 

Les mesures adoptées caractérisent une évolution nette dans la prise en charge de nos ainés, toutefois, on peut regretter que cette proposition de loi ne propose qu’une réformation par petits pas. On est très loin d’une restructuration complète et ambitieuse du système médico-social public attendue par les professionnels du secteur.