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Chirurgie de la cataracte l autorisation
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Chirurgie de la cataracte : l’autorisation n’est pas une option

Article rédigé le 9 mai 2022 par Me Nicolas Porte

 

La chirurgie de la cataracte, même pratiquée en cabinet de ville, et réalisée sous anesthésie topique demeure une activité de soins soumise à l’autorisation préalable de l’agence régionale de santé. Les médecins réalisant de telles interventions sans autorisation administrative s’exposent à des sanctions disciplinaires. C’est ce que rappelle le Conseil d’Etat dans une décision du 6 avril 2022 (CE. 4e chambre, 6 avril 2022, n°435993).

 

Par sa décision du 6 avril 2022, le Conseil d’Etat confirme sa jurisprudence relative à la chirurgie de la cataracte ; celle-ci ne relève pas de la « petite chirurgie » pouvant être pratiquée dans le cadre de consultations de médecine de ville. Les juges du Palais Royal rappellent également que les établissements de santé n’ont pas le monopole de la pratique de cette chirurgie.

 

Les faits de l’espèce

Un médecin ophtalmologiste pratiquait la chirurgie de la cataracte dans ses deux cabinets médicaux sans l’autorisation de l’agence régionale de santé qui l’avait mis en demeure de cesser cette activité et de solliciter l’autorisation prévue à l’article L 6122-1 du code de la santé publique.

Le praticien n’ayant pas déféré à cette injonction, le conseil départemental de l’ordre des médecins de la Vendée avait saisi la chambre de discipline de première instance d’une plainte disciplinaire contre le médecin contrevenant au motif notamment qu’en pratiquant la chirurgie de la cataracte dans ses cabinets médicaux, celui-ci aurait méconnu les obligations résultant de l’article R 4127-71 du code de la santé publique aux termes duquel : 

« Le médecin doit disposer, au lieu de son exercice professionnel, d’une installation convenable, de locaux adéquats pour permettre le respect du secret professionnel et de moyens techniques suffisants en rapport avec la nature des actes qu’il pratique ou de la population qu’il prend en charge. Il doit notamment veiller à la stérilisation et à la décontamination des dispositifs médicaux, qu’il utilise, et à l’élimination des déchets médicaux selon les procédures réglementaires.

Il ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes médicaux ou la sécurité des personnes examinées (…) ».

Statuant sur cette plainte, la chambre de discipline de première instance infligea au médecin contrevenant une sanction d’interdiction d’exercer la médecine pendant trois mois, dont deux mois assortis du sursis.

En appel, la chambre disciplinaire nationale annula la décision de première instance et rejeta la plainte du conseil départemental de l’ordre de la Vendée, estimant que l’activité de chirurgie de la cataracte n’est pas subordonnée à l’obtention préalable de l’autorisation prévue à l’article L 6122-1 du code de santé publique (chambre disciplinaire nationale 18 septembre 2019, n°13757).

Sur le pourvoi du conseil départemental de l’ordre des médecins de , le Conseil d’Etat annula la décision de la chambre disciplinaire nationale, estimant notamment que :

« en jugeant que les activités de soins mentionnées à l’article L.6122-1 du code de la santé publique visent exclusivement des activités pratiquées dans des établissements de santé, pour en déduire que l’activité de chirurgie de la cataracte exercée par M. C… dans ses cabinets n’était pas soumise à autorisation, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a entaché sa décision d’erreur de droit ».

 

Le problème des actes « frontière »

L’article L 6122-1 du code de la santé publique subordonne l’exercice de certaines activités de soins – dont la chirurgie – à l’obtention préalable d’une autorisation administrative délivrée par le directeur général de l’agence régionale de santé, l’exercice desdites activités sans autorisation étant pénalement sanctionné [cf. article L 6125-1 du CSP].

L’article R 6122-25 du code de la santé publique énumère pas moins de 18 activités de soins soumises à autorisation. Pour la plupart d’entre elles, la question de savoir si elles relèvent du champ des activités autorisées ne se pose même pas dans la mesure où il s’agit d’activités hautement spécialisées requérant un environnement technique spécifique et qui, à ce titre, ne peuvent être réalisées qu’en milieu hospitalier.

Quelques-unes en revanche (médecine, chirurgie, psychiatrie) peuvent dans certains cas s’exercer dans des cabinets dits « de ville » car elles ne nécessitent pas forcément l’emploi de moyens techniques importants. C’est le cas notamment de ce que l’on appelle communément « la petite chirurgie ».

Les opérations de la cataracte font partie de ces actes dits « frontière », pour lesquels la question de leur inclusion dans le champ des activités soumises à autorisation est discutée.

En l’espèce, le praticien poursuivi a soutenu devant la juridiction ordinale que la pratique de la chirurgie de la cataracte en cabinet médical n’est pas subordonnée à l’obtention de l’autorisation prévue par l’article L. 6122-1 du code de la santé publique laquelle, selon lui, ne concerne que les établissements de santé.

 

La chambre disciplinaire nationale a repris à son compte ce raisonnement, en estimant  qu’ « il ressort de la combinaison des dispositions précitées des articles L. 1431-2, L. 6122-1 et R. 6122-25, que les « activités de soins » mentionnées à l’article L. 6122-1, article qui figure dans le livre premier, intitulé « établissements de santé », de la sixième partie du code, visent exclusivement des activités d’établissements de santé » ; et la chambre disciplinaire nationale d’en déduire qu’une activité de chirurgie de la cataracte pratiquée dans un cabinet de ville n’est pas subordonnée à l’obtention préalable de l’autorisation prévue à l’article L 6122-1 du code de la santé publique.

Le Conseil d’Etat annule logiquement cette décision qu’elle estime être entachée d’erreur de droit.

 

Les opérations de chirurgie de la cataracte sont soumises à autorisation parce qu’elles nécessitent un environnement technique spécifique

La décision du Conseil d’Etat du 6 avril 2022 s’inscrit dans la droite ligne de celle rendue le 22 juillet 2020 (CE. 22 juillet 2020, n°423313), par laquelle les juges du Palais Royal ont estimé que :

« sont soumis à autorisation les actes chirurgicaux qui, se distinguant des prestations délivrées lors de consultations ou de visites à domicile, nécessitent une anesthésie au sens de l’article D. 6124-91 du code de la santé publique ou le recours à un secteur opératoire, lequel doit être conforme à des caractéristiques fixées par arrêté du ministre chargé de la santé en vertu de l’article D. 6124-302 du même code, prévoyant notamment une zone opératoire protégée propre à garantir la réduction maximale des risques de nature infectieuse ».

 

D’aucuns ont pu penser que les chirurgies du cristallin (dont la majorité concerne la  cataracte) pouvaient échapper à l’obligation d’autorisation préalable de l’ARS au motif qu’elles pouvaient être réalisées sous anesthésie topique (il s’agit d’une anesthésie sans piqûre, par dépôt d’un produit anesthésiant au contact de la structure à anesthésier), alors que l’article D 6124-91 du code de la santé publique relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l’activité d’anesthésie ne vise que les anesthésies générales ou loco-régionales (c’est-à-dire celles requérant l’injection d’un produit anesthésiant).

Mais le Conseil d’Etat rappelle qu’aux termes de l’article R 6121-4 du CSP, les actes médicaux chirurgicaux pratiqués dans des structures pratiquant l’anesthésie ou la chirurgie ambulatoire, sont ceux « nécessitant une anesthésie ou le recours à un secteur opératoire ». Or, tel est le cas de la chirurgie de la cataracte dont la Haute Autorité de Santé a précisé dans un rapport d’évaluation de 2010, qu’elle nécessite le recours à un secteur opératoire quand bien même elle serait pratiquée sous anesthésie topique.

Le Conseil d’Etat en tire ensuite les conséquences sur le plan de la déontologie médicale en considérant que « le fait d’exercer sans autorisation une activité soumise à autorisation en vertu des [dispositions du code de la santé publique] constitue un manquement aux dispositions de l’article R 4127-71 du code de la santé publique » imposant au médecin de pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes médicaux ou la sécurité des personnes examinées.

La décision apparaît logique. L’une des principales finalités du droit des autorisations sanitaires (si ce n’est la principale) étant d’assurer la qualité et la sécurité des soins par le biais de normes techniques de fonctionnement s’imposant au titulaire de l’autorisation, le non-respect de ces normes constitue une atteinte à la qualité des soins et à la sécurité des patients, sanctionnable sur le plan déontologique.

 

L’exercice de la chirurgie ne relève pas du monopole des établissements santé

Le deuxième enseignement pouvant être tiré de cet arrêt du Conseil d’Etat est la confirmation que les activités de soins soumises à autorisation ne visent pas exclusivement les activités pratiquées dans des établissements de santé.

Comme on l’a vu, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins avait cru pouvoir affirmer que les activités de soins autorisées « visent exclusivement des activités d’établissements de santé » en s’appuyant sur le fait que les articles L 6122-1 et R 6122-25 figurent dans le livre premier intitulé « Etablissements de santé » de la sixième partie du code de la santé publique.

Mais dans sa décision du 22 juillet 2020, le Conseil d’Etat avait déjà approuvé le raisonnement de la cour administrative d’appel de Nantes selon lequel « les dispositions des articles L. 6122-1 et R. 6122-25 du code de la santé publique [n’ont] ni pour objet ni pour effet d’attribuer aux établissements de santé le monopole de la chirurgie de la cataracte ».

 

De fait, aucune disposition du code de la santé publique ne réserve aux établissements de santé le monopole de l’exercice des activités de soins mentionnées à l’article R 6122-25 du CSP.

L’article L 6122-3 dispose même le contraire puisqu’aux termes de ce texte, une autorisation d’activité de soins peut être accordée « à un ou plusieurs médecins » ou à « une personne morale dont l’objet porte, notamment sur l’exploitation d’un établissement de santé, d’une activité de soins ou d’un équipement matériel lourds ».

Soulignons que le code de la santé publique ne conditionne pas la qualification d’établissement de santé à la détention d’une autorisation d’activité de soins, ni à l’exercice d’activités de soins requérant une telle autorisation.

Le législateur, comme la jurisprudence, appréhendent l’établissement de santé uniquement sous l’angle des missions qui lui sont dévolues par la loi, lesquelles sont énumérées à l’article L 6111-1 du code de la santé publique.

Selon ce texte, les établissements de santé :

« –  assurent (…) en tenant compte de la singularité et des aspects psychologiques des personnes, le diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes et mènent des actions de prévention et d’éducation à la santé.

(…) délivrent les soins, le cas échéant palliatifs, avec ou sans hébergement, sous forme ambulatoire ou à domicile, le domicile pouvant s’entendre du lieu de résidence ou d’un établissement avec hébergement relevant du code de l’action sociale et des familles.

    • (…) participent à la coordination des soins en relation avec les membres des professions de santé exerçant en pratique de ville et les établissements et services médico-sociaux,
    • (…)  participent à la mise en œuvre de la politique de santé et des dispositifs de vigilance destinés à garantir la sécurité sanitaire.
    • (…)  mènent, en leur sein, une réflexion sur l’éthique liée à l’accueil et la prise en charge médicale  ;
    • (…) peuvent participer à la formation, à l’enseignement universitaire et post-universitaire, à la recherche et à l’innovation en santé.»

 

Le législateur adopte une approche fonctionnelle de l’établissement de santé, celui-ci se caractérisant avant tout par les missions qu’il exerce, indépendamment de sa forme juridique, de son organisation matérielle, du type de malade pris en charge et même des prises en charge qu’il dispense.

Est-ce à dire pour autant que les structures pratiquant la chirurgie ambulatoire ne peuvent être qualifiées d’établissements de santé ? il serait pour le moins hasardeux de l’affirmer en l’état actuel des textes et de la jurisprudence.

En effet, dans la mesure où elles délivrent des soins sous la forme ambulatoire, ces structures remplissent l’une des missions inscrites à l’article L 6111-1 du CSP, ce qui les rend éligibles à la qualification d’établissement de santé.

D’ailleurs, la jurisprudence administrative a déjà au l’occasion de juger qu’un cabinet de médecine de ville pratiquant une activité de chirurgie ambulatoire peut être regardé comme un établissement de santé au sens des dispositions du code de la santé publique (v. not. CAA Marseille, 30 mars 1999, n°96MA10647, TA Grenoble, 10 juin 1998, n°9500495 et CAA Lyon, 19 novembre 2002, n° 99LY10367).

 

Nicolas Porte, avocat associé, exerce son métier au sein du Pôle organisation du Cabinet Houdart & Associés.

Après cinq années consacrées à exercer les fonctions de responsable des affaires juridiques d’une Agence Régionale de Santé, Nicolas PORTE a rejoint récemment le Cabinet Houdart et Associés pour mettre son expérience au service des établissements publics de santé et plus généralement, des acteurs publics et associatifs du monde de la santé.

Auparavant, il a exercé pendant plus de dix années diverses fonctions au sein du département juridique d’un organisme d’assurance maladie.

Ces expériences lui ont permis d’acquérir une solide pratique des affaires contentieuses, aussi bien devant les juridictions civiles qu’administratives, et d’acquérir des compétences variées dans divers domaines du droit (droit de la sécurité sociale, droit du travail, baux, procédures collectives, tarification AT/MP, marchés publics). Ses cinq années passées en ARS lui ont notamment permis d’exercer une activité de conseil auprès du directeur général et des responsables opérationnels de l’agence et développer une expertise spécifique en matière de droit des autorisations sanitaires et médico-sociales (établissements de santé, établissements médico-sociaux, pharmacies d’officines) et de contentieux de la tarification à l’activité.