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protection fonctionnelle et harcelement moral
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Aux termes de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires[1], l’agent public bénéficie de la protection fonctionnelle s’il est victime d’une infraction commise à l’occasion ou en raison de ses fonctions.

 

La protection fonctionnelle désigne ainsi l’ensemble des mesures de protection et d’assistance due par l’Administration, notamment la prise en charge des frais d’avocat ou le montant de la consignation afférente à sa constitution de partie civile exposés par le fonctionnaire.

Ce n’est qu’à compter de la loi du 20 avril 2016 modifiant la rédaction de l’article 11 précité que le législateur a expressément inclus les faits de harcèlement moral dans ceux justifiant l’octroi de la protection fonctionnelle. Jusqu’à cette modification, et dans le silence de la loi, le droit pour un agent victime de harcèlement moral de bénéficier d’une mesure de protection fonctionnelle n’avait qu’une origine jurisprudentielle (Conseil d’État, 12 mars 2010, N° 308974, Mentionné dans les tables du recueil Lebon).

 

Poursuivant son œuvre créatrice, la Haute Juridiction de l’ordre administratif a très récemment précisé les conditions dans lesquelles l’Administration est fondée à mettre fin à une mesure de protection fonctionnelle octroyée à raison d’agissements constitutifs de harcèlement moral[2].

 

Dans cette espèce, un fonctionnaire s’était vu reconnaître par son administration le droit de bénéficier de la protection fonctionnelle dans le cadre de la procédure contentieuse engagée à raison de faits de harcèlement moral qu’il estimait avoir subi, cette mesure ayant conduit l’Administration à prendre à sa charge les honoraires de l’avocat de l’agent.

Celui-ci avait donc saisi le Tribunal administratif de Paris d’une demande d’indemnisation des préjudices nés du harcèlement moral allégué. Constatant l’absence de harcèlement, le Tribunal avait rejeté la demande de dommages et intérêts de l’agent.

Se fondant uniquement sur ce jugement, l’Administration avait alors mis fin à la prise en charge, au titre de la protection fonctionnelle, des frais d’avocat de l’agent et avait refusé de lui rembourser le montant de la consignation au titre de sa constitution de partie civile devant le juge pénal.

 

L’agent avait alors saisi le Tribunal administratif de Paris d’une demande d’annulation, demande à laquelle il avait été fait droit.

L’Administration avait interjeté appel de cette décision devant la Cour administrative d’appel de Paris qui avait annulé le jugement du Tribunal. C’est dans ces circonstances que le Conseil d’Etat a été saisi par l’agent d’un pourvoi contre l’arrêt d’appel.

 

La question qui se posait en l’espèce était donc de déterminer si le rejet de conclusions indemnitaires fondé sur le fait que les agissements constitutifs de harcèlement moral n’étaient pas établis suffisait pour que l’Administration puisse à bon droit refuser de poursuivre la mise en œuvre de la protection fonctionnelle initialement octroyée.

 

Le Conseil d’Etat rappelle dans un premier temps les conditions de retrait et d’abrogation d’un acte administratif créateur de droit, ce qu’une mesure de protection fonctionnelle constitue indubitablement :

  • Le retrait, c’est-à-dire la disparition rétroactive de l’acte de l’ordonnancement juridique, ne peut intervenir que dans le délai de quatre mois suivant sa signature[3], sauf à ce que l’acte ait été obtenu par fraude[4];
  • L’abrogation, c’est-à-dire la disparition de l’acte pour l’avenir, peut intervenir à tout moment s’il apparaît « à la lumière d’éléments nouvellement portés à la connaissance [de l’Administration] que les conditions de la protection fonctionnelle n’étaient pas réunies ou ne le sont plus»[5] ;

 

Ce faisant, le Conseil d’Etat précise dans un deuxième temps dans quels cas il convient de considérer que les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle ne sont plus remplies : « notamment si ces éléments [nouveaux] permettent de révéler l’existence d’une faute personnelle ou que les faits allégués à l’appui de la demande de protection ne sont pas établis ».

Si la condition tenant à la faute personnelle de l’agent est désormais ancienne et a été reconnue il y a plus de dix ans par le Conseil d’Etat[6], la condition tenant au non-établissement des faits allégués autorisant l’abrogation de la mesure de protection fonctionnelle n’avait jamais été explicitement exprimée.

 

Dans un troisième temps, le Conseil d’Etat poursuit son raisonnement en énonçant un considérant dont la portée générale permet de le qualifier de considérant de principe :

« 4. Considérant, dans le cas où la demande de protection fonctionnelle a été présentée à raison de faits de harcèlement, que la seule intervention d’une décision juridictionnelle non définitive ne retenant pas la qualification de harcèlement ne suffit pas, par elle-même, à justifier qu’il soit mis fin à la protection fonctionnelle ; que, cependant l’administration peut réexaminer sa position et mettre fin à la protection si elle estime, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que les éléments révélés par l’instance, et ainsi nouvellement portés à sa connaissance, permettent de regarder les agissements de harcèlement allégués comme n’étant pas établis ».

Par cette position, le Conseil d’Etat juge que le fait pour un Tribunal de ne pas retenir comme établis des faits de harcèlement moral ne suffit pas pour que l’Administration puisse considérer que les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle ne sont plus remplies, si toutefois le jugement n’est pas devenu définitif, c’est-à-dire qu’il est encore susceptible de recours.

Autrement dit, l’Administration ne peut pas se fonder sur cette seule décision juridictionnelle pour refuser de prendre en charge notamment les frais d’avocat de l’agent.

L’une des implications potentielles de ce principe est que l’Administration devra prendre en charge les frais d’avocat de l’agent dans le cadre de l’appel interjeté contre la décision ne retenant pas la qualification de harcèlement.

 

Le Conseil d’Etat émet tout de même une limite à ce principe en laissant ouverte la possibilité de mettre fin à la protection fonctionnelle si l’Administration considère qu’il ressort des débats intervenus en cours d’instance que les faits de harcèlement ne sont pas caractérisés.

En cela, la Haute Juridiction entend contraindre l’Administration qui veut mettre fin à la protection fonctionnelle à ne pas se fonder uniquement sur une décision juridictionnelle qui n’est pas passée en force de chose jugée, mais à motiver sa décision au regard de faits nouveaux dont elle n’avait pas connaissance avant d’octroyer la protection fonctionnelle, afin de permettre un contrôle du juge sur les motifs présidant à l’abrogation de la mesure.

 

Cette décision du Conseil d’Etat est intéressante par la conciliation qui est faite entre les intérêts divergents en présence.

D’une part, elle s’inscrit sans nul doute dans la dynamique protectrice des droits des agents publics, afin que le bénéfice de la protection fonctionnelle reçoive son plein effet et qu’il ne puisse y être mis fin sans motivation particulièrement circonstanciée. D’autre part, elle préserve le pouvoir discrétionnaire de l’Administration à qui il est reconnu la possibilité de mettre fin à la protection fonctionnelle en l’absence de harcèlement moral dûment établi.

 

Cette décision permet également d’assurer une certaine sécurité juridique en empêchant qu’une décision juridictionnelle non définitive, donc encore susceptible d’être annulée, produise des effets disproportionnés, notamment en terme financier, contribuant à priver l’agent d’un droit effectif à l’appel et à la cassation.

Il convient dès lors de ne pas se précipiter pour refuser de continuer à octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle lorsqu’un jugement de première instance ou un arrêt d’appel énoncent que les faits de harcèlement moral ne sont pas établis : il faut soit attendre que la décision juridictionnelle soit devenue définitive, soit motiver spécifiquement l’abrogation de la mesure, une motivation par référence n’étant alors pas admise.

 


 

[1] I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l’ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire […].

IV.-La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté […].

[2] Conseil d’Etat, 1er octobre 2018, n°412897 Mentionné dans les tables du recueil Lebon

[3] Article L. 242-1 du code de relations entre le public et l’administration :

L’administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers que si elle est illégale et si l’abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision.

[4] Article L. 241-2 du code de relations entre le public et l’administration : Par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré.

[5] Article L. 242-2 du code de relations entre le public et l’administration : Par dérogation à l’article L. 242-1, l’administration peut, sans condition de délai : 1° Abroger une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n’est plus remplie […].

[6] Conseil d’État, Section du Contentieux, 14 mars 2008, N° 283943 : « lorsqu’il est saisi d’une demande d’un militaire sollicitant le bénéfice de la protection prévue par ces dispositions statutaires, le ministre de la défense ne peut refuser d’y faire droit qu’en opposant, s’il s’y croit fondé au vu des éléments dont il dispose à la date de la décision, le caractère de faute personnelle des faits à l’origine des poursuites au titre desquelles la protection est demandée ; que, dans le cas où, à l’inverse, il a accordé la protection, il peut mettre fin à celle-ci pour l’avenir s’il constate postérieurement, sous le contrôle du juge, l’existence d’une faute personnelle ».

Avocat depuis 2014, Xavier LAURENT a initialement exercé au sein d’un Cabinet parisien une activité plaidante et de conseil auprès d’entreprises sociales pour l’habitat tant publiques que privées (OPHLM, SA d’HLM), notamment dans le cadre de contentieux immobiliers (droit locatif, copropriété, construction, urbanisme).

Fort d’une solide formation en droit public et désireux de donner une nouvelle orientation à sa carrière, Xavier LAURENT a par la suite intégré un Cabinet spécialisé en droit de la fonction publique, au sein duquel il a exercé en conseil et contentieux pour de nombreuses collectivités territoriales (contentieux du harcèlement moral et des sanctions disciplinaires, conseil en gestion RH, marchés publics, etc…).

C’est en 2018 qu’il a rejoint le pôle social du Cabinet HOUDART ET ASSOCIE.

Au-delà de ses compétences en droit de la fonction publique, Xavier Laurent a eu l’occasion de traiter des dossiers en droits du travail et de la sécurité sociale, lui donnant une vision transversale et une capacité d’analyse complète sur toutes les questions intéressant la gestion des ressources humaines des acteurs du monde de la santé (salariés relevant du code du travail, agents statutaires et contractuels).