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COVID-19 : Qui annule les transfert de patients et sur quel fondement ?
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COVID-19 : QUI ANNULE LES TRANSFERTS DE PATIENTS ET SUR QUELS FONDEMENTS ?

Article rédigé le 17 avril 2020 par Me Lorène Gangloff

Si plusieurs transferts de patients, d’une région vers une autre, ont été organisés depuis le début de l’épidémie de Covid-19, certains d’entre eux n’ont pas pu aboutir, mais deux questions centrales se posent : qui annule ces transferts et sur quels fondements ?

 

La disparité dans la propagation du coronavirus sur le territoire français induit une saturation de certains services de réanimation, alors que d’autres établissements de santé disposent encore de capacités inutilisées.

 

C’est dans ce contexte que depuis le 18 mars, plusieurs transferts de patients ont été réalisés, afin d’assurer une prise en charge en réanimation de malades qui n’auraient pu en bénéficier au sein de leur établissement d’origine.

 

Si le principe des transferts semble être validé par le Ministère des Solidarités et de la Santé, qui indique :

« lorsque les capacités de réanimation d’un établissement risquent d’être saturées, par une insuffisance en ressources humaines ou matérielles et lorsque que les possibilités de ressources supplémentaires sont épuisées, un renfort doit être apporté au niveau régional ou supra régional. Il peut cependant être pertinent de procéder au transfert du patient vers un établissement où il n’est pas anticipé de tension dans les 15 jours suivants.»

(Fiche ARS du 24 mars 2020 – stratégie d’organisation, et de mobilisation des ressources humaines et matérielles pour la prise en charge hospitalière des patients covid-19 nécessitant de la réanimation),

depuis le début de l’épidémie plusieurs transferts de patients ont pourtant été arrêtés en cours de réalisation.

 

Le mardi 31 mars, un bus affrété pour transporter huit patients pris en charge au sein d’établissements de santé rémois vers le Centre Hospitalier Régional Universitaire de Tours a ainsi été sommé de faire demi-tour après plus d’une heure de trajet.

 

Quelques jours plus tard, le 6 avril, un transfert aérien de cinq patients hospitalisés au sein des Centres hospitaliers de Metz et Saint-Dizier vers la République Tchèque a été annulé alors que les patients avaient déjà été transportés jusqu’à l’aéroport de Luxembourg.

 

À la lecture des articles de la presse locale et nationale, ces annulations en cours de transfert s’expliqueraient par un manque de coordination entre les différentes instances administratives en charge de leur organisation, en particulier, avec la Cellule nationale de crise.

 

Ces annulations de transferts de patients atteints du Covid-19, qui plus est en cours de réalisation, ne manquent pas de surprendre.

 

Qui dispose de la faculté d’annuler ces transferts et sur quels fondements ces derniers le sont-ils ?

 

 

Qui annule les transferts de patients COVID-19 ?

 

Pour comprendre l’origine de ces annulations, il convient de revenir sur le schéma organisationnel de la gestion des crises sanitaires, qui relève notamment de l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures dont les principes ont été établis par la loi n° 2009-928 du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense et dont les modalités de mise en œuvre ont été précisées par la circulaire ministérielle du 2 janvier 2012.

Aux termes de cette circulaire, « Pour exercer sa responsabilité dans la direction de crise, le Premier Ministre s’appuie sur un dispositif gouvernemental structuré assuré par une cellule interministérielle de crise (CIC) », qui réunit l’ensemble des ministères concernés par ladite crise, notamment le Ministère chargé des Solidarités et de la Santé, au travers du Centre de Crise Sanitaire (CCS), lorsque cette dernière, comme l’épidémie de covid-19, est de nature à emporter des conséquences sanitaires majeures.

 

Aux termes de l’instruction n° DGS/DUS/CORRUSS2013/274 du 27 juin 2013 relative à l’organisation territoriale de la gestion des situations sanitaires exceptionnelles, le Centre de Crise Sanitaire vise notamment à assurer les fonctions suivantes :

 

«  […]

  • suivi et analyse de la situation sanitaire (notamment sur la base des remontées d’informations des ARS) : édition de points de situation nationale,

  • demande d’expertise pour évaluation de la situation : saisine des agences sanitaires, HCSP ou autres expertises,

  • édiction d’instructions et de conduites à tenir,

  • aide à la gestion en région: réponse aux sollicitations des agences, tenues de réunions téléphoniques ou de visioconférences de coordination et d’appui, etc.,

  • élaboration d’une stratégie et mise en œuvre des actions de communication : information et communication aux différents publics (grand public, victimes, professionnels de santé) via des communiqués de presse, questions/réponses, campagnes de communication, etc.),

  • contribution à la réponse interministérielle. »

 

Les interventions du Centre de Crise Sanitaire sont ainsi guidées par les remontées d’information en provenance des Agences régionales de santé et des Agences régionales de santé dites de zone (ARS des chefs-lieux des zones de défense définies à l’article R. 1211-1 du code de la défense) qui agissent, pour leur part, en considération de ses instructions.

 

Ce lien intrinsèque entre le niveau national et le niveau régional n’a rien de surprenant puisque les Agences régionales de santé sont chargées de mettre en œuvre au niveau régional la politique de santé et, à ce titre, de contribuer « dans le respect des attributions du représentant de l’Etat territorialement compétent, à l’organisation de la réponse aux urgences sanitaires et à la gestion des situations de crise sanitaire » (article L. 1431-2 du code de la santé publique).

 

Cette articulation indispensable entre le niveau régional et le niveau national a d’ailleurs été formalisée en matière de transferts de patients COVID-19, aux termes de deux documents émanant du Ministère chargé des solidarités et de la santé :

 

  • la fiche ARS du 24 mars 2020 intitulée stratégie d’organisation, et de mobilisation des ressources humaines et matérielles pour la prise en charge hospitalière des patients covid-19 nécessitant de la réanimation ;
  • le Message d’Alerte Rapide Sanitaire (MARS) du 26 mars 2020 ayant pour objet la stratégie d’organisation des transferts de patients COVID-19 nécessitant de la réanimation.

 

A la lecture de la fiche ARS comme du MARS, les transferts de patients susceptibles d’intervenir sont organisés en priorité au niveau infrarégional, toutefois, lorsque ces derniers sont inenvisageables en l’absence d’établissement disposant de capacités suffisantes au sein d’une même région, ces derniers peuvent être planifiés au niveau suprarégional.

 

Dans cette seconde hypothèse, si le transfert peut être organisé alternativement au niveau de l’interrégion ou au niveau national, ce dernier doit impérativement faire l’objet d’une validation par la Centre de Crise Sanitaire.

 

Le Centre de Crise Sanitaire valide non seulement le transfert, mais également le lieu de destination, ainsi que le mode de transport utilisé.

 

Le Message d’Alerte Rapide Sanitaire rappelle, ainsi, que les transferts de patients COVID-19 s’inscrivent dans un schéma national défini et piloté par le Centre de Crise Sanitaire que les Agences régionales de santé sont chargées de mettre en œuvre.

 

En conséquence, chaque transfert de patients envisagé doit faire l’objet d’une alerte auprès du Centre de Crise Sanitaire, qui procède à une étude d’opportunité et le valide ou s’y oppose.

 

Si les différents articles publiés à la suite des annulations sont demeurés imprécis quant à leurs explications, il pourrait être supputé que les établissements de santé et/ou les ARS pour des raisons sans doute légitimes ne se sont pas inscrits dans ce schéma décisionnel.

 

En tout état de cause, le constat est le suivant : à défaut de validation par le Centre de Crise Sanitaire national, les transferts ne pourront être menés bien et ce, même si les opérations de transferts ont déjà débuté.

 

 

Sur quels fondements sont basées ces annulations de transferts de patients COVID-19 ?

 

Si les règles apparaissent désormais établies, elles posent une question d’opportunité.

 

Comment justifier que des patients atteints du COVID-19, dont manifestement certains acteurs avaient considéré que l’état nécessitait un transfert se trouvent finalement rapatriés au sein de leur établissement d’origine après avoir subi les désagréments d’un transport, quel que soit son mode ?

 

Comment expliquer que le Centre de Crise Sanitaire s’oppose aux transferts de patients qui sont, en principe, justifiés par l’amélioration de leur prise en charge ?

 

A regarder de plus près la fiche ARS et le MARS, la validation par le Centre de Crise Sanitaire est justifiée par « la nécessité d’adapter l’orientation des malades en fonction des tensions anticipées dans les régions sur les quinze jours suivants ».

 

Cette justification semble donc fondée sur une considération sanitaire, l’objectif étant d’éviter de transférer des patients au sein d’un établissement qui, compte tenu de ces nouvelles arrivées, se retrouverait en situation de tension, ou encore, d’empêcher le transfert de patients dont l’état ne constituerait pas une urgence vitale au détriment d’autres malades plus gravement atteints.

 

C’est d’ailleurs cette seconde hypothèse qui aurait justifié l’annulation du premier transfert, les patients concernés par le transport n’étant pas pris en charge en service de réanimation, mais en pré-réanimation.

 

Le principe posé est clair et a priori justifié, aucun transfert ne peut intervenir sans validation de la Cellule nationale, mais ce principe ne devrait-il pas admettre certaines exceptions liées à l’appréciation nécessairement légitime des acteurs de terrain, qui sont seuls décisionnaires en dehors des périodes de crise ou tout simplement à des considérations éthiques ?

 

 

 

Avocat au Barreau de Paris depuis janvier 2016, Lorène Gangloff a rejoint le Cabinet Houdart & Associé en janvier 2020 et intervient au sein du pôle Organisation.

Après plusieurs années passées au sein du département santé d’un cabinet de droit des affaires, elle accompagne principalement les professionnels de santé libéraux en conseil (création et fonctionnement de leurs structures d’exercice, opérations de rachat ou fusion de cabinets, relations contractuelles avec les établissements de santé) comme en contentieux (conflits entre associés, ruptures de contrat d’exercice).

Elle assiste également les établissements de santé dans leurs projets de restructuration ou de coopération et les représente dans le cadre d’éventuels contentieux.