FAUTE MÉDICALE : QUID DE LA GARANTIE OFFERTE À L’ASSUREUR ?
Article rédigé le 29 mai 2024 par Marie COURTOIS
Cass, 2e Civ, 15 février 2024, n°21-18.138, publié au bulletin
Le 15 février dernier, la Cour de cassation est venue rappeler une jurisprudence désormais constante : l’assignation en référé en vue de la désignation d’expert pour déterminer les responsables des séquelles de la victime et évaluer ses préjudices, constitue une réclamation à laquelle est subordonnée la garantie de l’assureur de responsabilité civile.
Cette qualification est lourde de conséquences puisqu’elle conduit, en l’espèce, à priver le médecin assuré du bénéfice du décret du 29 décembre 2011 lui offrant une meilleure garantie.
Quels sont les faits ? Une faute commise par un médecin lors d’un accouchement engageant sa responsabilité civile
En 2004, une femme est admise dans une clinique en vue de son accouchement. En raison d’un retard dans sa prise charge par un gynécologue-obstétricien, sa petite fille naît en état de mort apparente et restera très handicapée.
En 2007, ses parents saisissent le juge des référés, par assignation, afin de voir désigner un expert et déterminer ainsi les responsables des séquelles de leur fille et d’évaluer ses préjudices.
En 2012, ils assignent en responsabilité le médecin qui appelle alors son assureur en garantie.
En première instance, les juges du fond considèrent que le médecin engage sa responsabilité en raison du manquement fautif qu’il a commis lors de l’accouchement, manquement qui est à l’origine de la perte de chance pour l’enfant de naître sans séquelle (évaluée à 70%). Ils ajoutent que l’assureur, appelé en garantie, n’est tenu de prendre en charge les frais imputables au médecin condamné que dans la limite d’un plafond de trois millions d’euros.
La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 11 mars 2021, infirme pour partie ce jugement. Si elle retient la responsabilité du médecin et le condamne à verser à la victime des dommages-intérêts, elle considère que la société d’assurance doit sa garantie à hauteur du plafond de huit millions d’euros.
L’assureur forme alors un pourvoi en cassation : il conteste le montant du plafond de garantie.
La garantie de l’assureur de responsabilité civile médicale : que dit le droit ?
Pour comprendre les décisions prises par les juges du fonds, intéressons nous aux dispositions légales et règlementaires en la matière.
Selon l’article L.1142-2 al.1 du Code de la santé publique, l’assurance de responsabilité civile médicale est obligatoire : tous les professionnels de santé exerçant à titre libéral sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative, susceptible d’être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d’atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l’ensemble de cette activité.
Des contrats d’assurance sont donc systématiquement conclus et permettent au médecin, assuré, d’être couvert à hauteur des frais de justice et des dommages-intérêts qui pourraient être mis à sa charge dans l’hypothèse où il engagerait sa responsabilité civile. Toutefois, cette indemnisation connaît un tempérament puisque la loi permet à la société d’assurance de fixer un plafond de garantie au-delà duquel elle refusera de garantir le médecin fautif (Article L.1142-2 al.4). Un plafond minimal est fixé par décret :
- Le décret du 21 mai 2003 prévoyait que le plafond ne pouvait pas être inférieur à trois millions d’euros par sinistre (Article R.1142-4).
- Le décret du 29 décembre 2011 modifie ce plafond minimal et l’élève à huit millions d’euros par sinistre (Article R.1142-4).
La garantie de l’assureur ainsi contractualisée, ne joue donc que dans la limite d’un certain plafond dont le montant minimal est fixé par décret et en cas de sinistre.
Le sinistre est défini par l’article L.251-2 du code des assurances : c’est « un dommage causé à un tiers, engageant la responsabilité de l’assuré, résultant d’un fait dommageable imputable aux activités de l’assuré garanties par le contrat et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations. »
Autrement dit, la garantie de l’assureur peut jouer dès lors qu’un dommage a été causé à un tiers par l’assuré dans le cadre de son activité médicale et que ce dommage a fait l’objet d’une réclamation.
Deux arrêts de la Cour de cassation ont déjà rappelé cette exigence :
- Dans un arrêt de 1972, la première chambre civile avait énoncé que « Dans les assurances de responsabilités, l’assureur n’est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l’assuré par le tiers lésé » (Cass, 1e Civ, 29 février 1972, n°70-12.487, publié).
- Dans un arrêt de 2009, la deuxième chambre civile rappelle que la garantie de l’assureur est subordonnée à une réclamation (Cass, 2e civ, 10 novembre 2009, n°08-20.311, inédit)
Puisque la réclamation conditionne le jeu de la garantie de l’assureur, sa définition est primordiale. Le code des assurances la définit comme « toute demande en réparation amiable ou contentieuse formée par la victime d’un dommage ou ses ayants droit et adressée à l’assuré ou à son assureur ».
Dans cette affaire, une réclamation est intervenue avec certitude en 2012. En effet, à cette date, les parents de la petite fille assignent en responsabilité le médecin fautif. Cette assignation correspond sans aucun doute à l’hypothèse envisagée par le texte : c’est une demande en réparation contentieuse formée par les représentants légaux de la victime d’un dommage subi par elle. Ainsi en 2012, puisque le fait dommageable prévu au contrat est caractérisé et qu’une réclamation est faite à l’assuré par le tiers lésé, la garantie de l’assureur peut être déclenchée.
Toutefois, la question posée aux juges consiste à déterminer si une autre réclamation a eu lieu antérieurement à cette assignation en responsabilité du médecin. Plus précisément, il s’agit de savoir si l’assignation en référé en vue de la désignation d’un expert aux fins de déterminer les responsables des séquelles de l’enfant et ses préjudices constitue une réclamation, laquelle subordonne la garantie de l’assureur.
La réponse à cette question est essentielle pour déterminer le décret applicable au cas d’espèce. En effet, le plafond minimal de la garantie due par l’assureur a été modifié en 2011 : en fonction de la date à laquelle cette garantie est enclenchée, c’est-à-dire de la date de la première réclamation, le montant de ce plafond diffère :
- Si la première réclamation a eu lieu avant l’entrée en vigueur du décret du 29 décembre 2011, le plafond minimal de la garantie est de trois millions d’euros.
- Si la première réclamation a eu lieu après cette date, le plafond est de huit millions d’euros.
Une interprétation stricte de l’article L.251-2 du code des assurances par la cour d’appel
Selon la Cour d’appel, l’assignation du 26 janvier 2007, par laquelle la famille de la victime a saisi le juge des référés aux fins qu’il ordonne une expertise visant à déterminer les responsables des séquelles de l’enfant et à évaluer ses préjudices, n’est pas une réclamation. Cette décision résulte d’une interprétation très stricte de l’article L.251-2 qui vise « la réparation d’un dommage » et non « la détermination des responsables des séquelles de l’enfant et l’évaluation de ses préjudices ».
De cette qualification, la cour d’appel déduit que la première réclamation est l’assignation en responsabilité effectuée en février 2012 et puisque cette réclamation est intervenue après l’entrée en vigueur du décret du 29 décembre 2011 fixée au 1e janvier 2012, elle applique le plafond minimal de huit millions d’euros.
Cette décision se veut protectrice du médecin : la cour d’appel, malgré une jurisprudence contraire, s’emploie à écarter la qualification de réclamation pour appliquer le décret de 2011, qui offre une meilleure couverture au médecin engageant sa responsabilité civile pour faute médicale. Cette solution est louable en opportunité : l’adoption d’une règlementation nouvelle, plus protectrice du médecin, devrait pouvoir lui profiter.
Une cassation conforme à la jurisprudence établie : l’assignation en vue de désigner un expert est une réclamation
Au visa de l’article L.1142-2 alinéas 1 et 3 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2002 et l’article R.1142-4 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 21 mai 2003 et l’article L.251-2 alinéas 1 à 3 du code des assurances, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt en ce qu’il dit que la société d’assurance doit sa garantie à hauteur du plafond de huit millions d’euros.
Elle énonce que « En matière d’assurance obligatoire de responsabilité civile, l’assignation en référé délivrée à l’assuré par le tiers lésé, en vue de la désignation d’un expert aux fins de déterminer les responsables des dommages dont le tiers lésé se prétendait victime et d’évaluer les préjudices, constitue une réclamation à laquelle est subordonnée la garantie de l’assureur. ».
Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence établie. Dans l’arrêt précité du 29 février 1972, la cour de cassation avait considéré « le terme de réclamation visait la manifestation de volonté de la victime d’obtenir réparation du dommage subi ». La Cour de cassation, en confirmant cette solution, s’appuie sur la ratio legis de l’article L.251-2 du code des assurances plutôt que sur une interprétation purement littérale de celui-ci. Il serait absurde de ne pas qualifier l’assignation en référé en vue de désigner un expert, de réclamation, alors même qu’il s’agit de la première étape et l’étape nécessaire à l’obtention de la réparation du préjudice subi.
Par cette qualification, la Cour de cassation permet l’avancement de la date de la première réclamation privant alors corrélativement le médecin du bénéfice du décret du 29 décembre 2011 qui fixe un montant minimal du plafond de garantie plus élevé que celui prévu par le décret du 21 mai 2003 : la garantie n’est due par l’assureur que dans la limite de trois millions d’euros.
Si la qualification de réclamation nous parait conforme à la volonté du législateur, son application semble plus critiquable en l’espèce. En effet, elle conduit à priver le médecin d’une meilleure couverture : en refusant l’application du décret de 2011, la Cour de cassation fait obstacle à l’application d’un régime plus protecteur à l’égard des professionnels.
Etudiante en première année de master, Marie Courtois a rejoint le Cabinet HOUDART & Associés, en qualité de juriste, en septembre 2023.
En charge de la veille juridique et jurisprudentielle, elle met ses compétences rédactionnelles au service du cabinet. Attentive à l’actualité législative, règlementaire et jurisprudentielle liée au domaine médico-social, elle décrypte pour vous les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et les textes récents.