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Grève du 14 février : les médecins libéraux en rupture avancée
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Grève du 14 février : les médecins libéraux en rupture avancée

 

Article rédigé le 13 février 2023 par Me Laurent Houdart et Me Charlotte Crepelle

À l’heure où l’offre de soins se raréfie, six millions de Français, dont 600 000 sont en affectation de longue durée (ALD), n’ont pas de médecin traitant.
Le 19 janvier 2023, afin de répondre aux besoins des patients en leur permettant un meilleur accès aux soins et de libérer du temps médical, une proposition de loi a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, celle-ci a pour objet de faciliter l’accès aux soins des patients en modifiant le champ de compétence des professionnels de santé.

 

Focus sur le contenu de cette proposition de loi “accès direct”

Cette proposition de loi vise notamment à :

    • revaloriser la profession d’infirmier en pratique avancée (IPA) en étendant leur champ de compétences aux prescriptions de produits de santé et de prestations soumis à la prescription médicale obligatoire ;
    • ouvrir un accès direct, c’est-à-dire sans consultation préalable d’un médecin traitant, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes exerçant dans une structure de soins coordonnés ;
    • introduire la notion de responsabilité collective de participation à la permanence des soins, tant en établissement de santé qu’en ville, afin de garantir un accès aux soins non programmés pendant les horaires de fermeture des services hospitaliers et des cabinets médicaux et élargir à de nouveaux professionnels la permanence des soins ambulatoire.

 

Le 8 février dernier, cette proposition de loi a été discutée en commission des Affaires sociales du Sénat et des garde-fous ont été ajoutés. La commission des Affaires sociales a supprimé la notion de responsabilité collective, inquiétant inutilement les professionnels. Puis, face au nombre de patients n’honorant pas leur rendez-vous médical auprès de leur médecin, elle a adopté un article additionnel, disposant que les partenaires conventionnels peuvent définir les modalités d’indemnisation des médecins au titre des rendez-vous non honorés et dans lesquelles celle-ci est mise à la charge du patient fautif.

 

Des syndicats de médecins libéraux en majeure partie opposés à cette proposition : les raisons expliquées

Malgré ces amendements et alors que les négociations conventionnelles entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins ne sont pas terminées, cette proposition ne séduit pas les syndicats de médecins libéraux, qui la dénoncent et la jugent trop dangereuse. Mais alors, pourquoi cet accès direct divise ? Les raisons sont multiples.

Tout d’abord, pour certains syndicats de médecins ce texte est une menace pour la qualité des soins prodigués aux patients. Ils craignent un risque important d’erreurs de diagnostic. En effet, pour la majeure partie d’entre eux, même si cette proposition de loi s’inscrit dans le cadre d’une coordination des parcours de soins, élargir le champ de compétence notamment des IPA modifierait sensiblement les fonctions de ces dernières et serait risqué.

Pour ces syndicats et même si selon la définition du Conseil national de l’Ordre des infirmiers : « l’infirmière de pratique avancée est une infirmière experte, titulaire d’un master dédié. Après une expérience clinique, elle a acquis les connaissances théoriques, le savoir-faire et le savoir-être nécessaires aux prises de décisions complexes en autonomie dans son champ de compétence, avec la responsabilité de ces actes » ; les IPA dont les activités sont inscrites dans la loi de modernisation du système de Santé de 2016 ne sont pas formées pour établir un diagnostic. De telle sorte, qu’ils estiment que prescrire et diagnostiquer sont deux activités différentes, à ne pas confondre.

Ensuite, ces syndicats de médecins voient en ce texte un réel danger pour l’avenir de la profession de médecin traitant. En effet, permettre aujourd’hui aux IPA de prescrire certains produits de santé et de prestations alors soumis à prescription médicale obligatoire, viendrait contrevenir leurs activités et amoindrir celles des médecins.

Pour rappel, les IPA sont à ce jour autorisés à prescrire :

    • des produits de santé non soumis à prescription médicale obligatoire, il peut s’agir en particulier de dispositifs médicaux ou encore de certains examens de biologie médicale, tels que des vaccins, dont la liste est déterminée arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis de la HAS et de l’ANSM ;
    • des prescriptions d’examens complémentaires ;
    • des renouvellements ou adaptations de prescriptions médicales, avec une précision où dans le cadre du domaine des Urgences, l’IPA peut renouveler ou adapter les actes de rééducation, l’équipement de protection individuelle, les bons de transport et l’arrêt de travail de moins de 7 jours.

 

Les activités autorisées des IPA sont précisées aux articles L. 4311-1 et L. 4301-1 du code de la santé publique et la liste complète des prescriptions autorisées est définie par un arrêté.

Pour bien comprendre la nouveauté qu’apporte la proposition de loi, revenons au texte initialement déposé par la députée, Madame Rist.

L’article 1 de ce texte, prévoit que désormais les IPA pourront prescrire des produits de santé et de prestations soumis à prescription médicale et que la liste détaillant ces produits de santé et prestations sera fixée par décret. Il aurait toutefois été opportun d’en préciser davantage, même si les députés sont venus ajouter de nouvelles compétences pour l’IPA, en matière cette fois de prescriptions d’examens complémentaires, en ajoutant un article 1 bis :

« L’infirmière ou l’infirmier est autorisé à prendre en charge la prévention et le traitement de plaies comprenant la prescription d’examens complémentaires et de produits de santé. Les conditions de cette prise en charge sont définies par décret en Conseil d’État et la liste des prescriptions des examens complémentaires et des produits de santé autorisés est définie par un arrêté, pris après avis de la Haute Autorité de santé. Les résultats des interventions de l’infirmier sont reportés dans le dossier médical et le médecin en est tenu informé. La transmission de ces informations se fait par des moyens de communication sécurisés »

Et c’est justement la question de l’ouverture de la primo-prescription qui est critiquée ici.

Pour certains syndicats de médecins, l’activité des IPA et leur intervention doit rester très encadrée et préservée par le rôle pivot du médecin traitant.

En d’autres termes, en mettant en place un accès direct aux IPA sans consultation au préalable du médecin traitant et en leur permettant de prescrire des actes jusqu’alors dédiés aux médecins en élargissant la possibilité pour eux de prescrire davantage, viendrait, restreindre le champ d’exercice des médecins et surtout la qualité des soins prodigués aux patients. Raison pour laquelle ils tirent la sonnette d’alarme.

Pour ces médecins libéraux, en ce mardi 14 février, faire grève n’est pas un hasard puisque ce même jour le Sénat examine la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins  par la confiance aux professionnels de santé et l’extension du champ de compétence des IPA. Affaire à suivre.

 

Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.

Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …). 

Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).

Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.

Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.