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La place des enjeux environnementaux dans la commande publique

Article rédigé le 4 mars 2022 par Corentin Soucat et Me Laurent Houdart

 

La place des impératifs environnementaux dans notre société grandit chaque jour. Chaque fait ou chaque évènement est, désormais, examiné sous le prisme environnemental. Ainsi, le monde a constaté que le premier confinement avait permis à la nature de reprendre ses droits en l’absence de toute activité humaine. La commande publique n’échappe pas à la règle. Aujourd’hui, les grands projets publics font, systématiquement, l’objet de contestation politique ou devant les tribunaux dès lors que leur impact écologique serait potentiellement nocif.

 

 

La place des considérations environnementales, au sein de la commande publique, suit, logiquement, son évolution au sein de notre société. Celles-ci prennent donc une place de plus en plus importante dans la commande publique.

Cette place ne va pourtant pas de soi. Il y a vingt ans, le commissaire du gouvernement Denis Piveteau, considérait à propos de clauses sociales d’attribution d’un marché qu’elles étaient « prohibées à partir du moment où elles ne coïncident pas avec l’objet même du marché ou avec les nécessaires conditions de son exécution ». Selon lui, ce type de clause allait à l’encontre de « la neutralité de la réglementation des marchés publics, c’est-à-dire l’idée selon laquelle la dépense publique qui s’effectue à l’occasion d’un marché ne doit pas être l’instrument d’autre chose que de la réalisation du meilleur achat au meilleur coût » (Conclusions de Denis Piveteau sur CE, 25 juillet 2001, Commune de Gravelines, n°229666, publié au recueil Lebon).

 

Un cadre juridique actuel encore très incitatif

Le prisme s’est, peu à peu, inversé. L’écologie n’est plus considérée comme une opinion en tant que telle mais bien comme une nécessité.

Suivant cette évolution, la commande publique a, progressivement, intégré les impératifs écologiques. Dès 2001, l’article 14 du Code des marchés publics prévoyait que « la définition des conditions d’exécution d’un marché peut viser (…) à protéger l’environnement ».

Cette place s’est, par la suite, développée notamment sous l’impulsion du droit de l’Union Européenne. L’impact écologique d’un projet peut, à présent, être un coût au même titre que son prix.

Le cadre juridique actuel demeure assez peu contraignant. Il ouvre la voie, permet la prise en compte d’exigences environnementales mais n’oblige pas les pouvoirs adjudicateurs. Même dans un marché de traitement des déchets qui paraît pourtant l’un des domaines où des stipulations environnementales sont nécessaires, le juge a considéré que le pouvoir adjudicateur n’était pas dans l’obligation de prévoir de telles clauses (CE, 23 novembre 2011, Communauté urbaine de Nice Côtes d’Azur, n°351570, mentionné aux Tables)…

En outre, ce cadre juridique ne confère pas toute liberté aux pouvoirs adjudicateurs dans la détermination de clauses environnementales. Le juge s’attache à toujours vérifier le lien des stipulations du marché avec l’objet de ce même contrat.

L’acheteur doit fixer des critères de sélection qui soient en lien avec cet objet (Article R. 2152-7 du Code de la commande publique). A titre d’exemple, il est impossible de fixer un critère de sélection basé uniquement sur la politique sociale générale de l’entreprise soumissionnaire (CE, 25 mai 2018, Nantes Métropole, n°417580, publié au Recueil ; CE, 15 février 2013, Société Derichebourg polyurbaine, n°363921). Il en va de même pour les conditions d’exécution du marché (TA Rennes, Ord., 9 février 2018, Société Aquaterra Solutions, n°1800194).

Néanmoins, ce lien entre les stipulations du marché et son objet est librement apprécié par le juge administratif. Cette appréciation est donc vouée à évoluer avec le temps.

 

Un juge de plus en plus attentif aux considérations environnementales

Les juridictions de l’Union Européenne interprète également de plus en plus largement ce lien entre stipulations et objet du marché. Selon le Tribunal de l’Union Européenne, la mise en œuvre d’un critère relatif au « bien être des salariés » n’est pas sans lien avec l’objet d’un marché portant sur un service d’assistance pour des collaborateurs du Parlement Européen (T. UE, 10 février 2021, Sophia Group, aff. T-578/19).
L’appréciation, par le juge du lien entre l’objet du marché et les stipulations d’un marché, va donc également dans le sens d’une mise en œuvre plus aisée des considérations environnementales au sein des marchés et suit également l’évolution de la place de ses exigences au sein de notre société.
Ce relâchement du lien entre objet du marché et stipulations du marché s’inscrit dans un cadre jurisprudentiel plus large, favorable à la prise en compte de l’environnement notamment dans la jurisprudence du juge administratif.
En effet, les juridictions administratives se montrent de plus en plus attentives aux enjeux environnementaux. L’un des plus grands symboles de cette prise en compte est, bien-sûr, l’arrêt du Conseil d’Etat « Grande Synthe ». Par cette décision, qui n’avait rien d’évident, le Conseil d’Etat a enjoint au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 31 mars 2022 (CE, 1er juillet 2021, Commune de Grande Synthe, n°427301, publié au Recueil).
Différentes décisions revêtant une dimension assez symbolique, autre que la décision Grande Synthe ont également marqué l’année 2021. Le Conseil d’Etat n’a pas hésité à annuler différentes autorisations portant dérogation à la législation « espèces protégées » dans le cadre du projet de CDG Express ou encore concernant des infrastructures pour les Jeux Olympiques Paris 2024(TA Montreuil, 9 novembre 2020, Commune de Mitry-Mory, n°1906180; CAA Paris, ord.,6 avril 2021, Mouvement national de lutte pour l’environnement-93 et nord-est parisien et autres, n°21PA00910).
Il n’a pas, non plus, hésité à interdire la pratique de l’intégralité des chasses traditionnelles alors même que l’avis de la CJUE sur ce sujet ne portait que sur la chasse à la glue.
Ces décisions ne sont, certes, pas directement liées à la commande publique et il n’est pas question ici de débattre de la portée de ces décisions ni même de savoir si la jurisprudence du juge administratif va assez loin dans la protection des intérêts environnementaux. Elles permettent uniquement de constater la place grandissante des considérations environnementales dans l’office du juge administratif.
La place de ces considérations au sein de la commande publique étant faite, le débat porte donc, désormais, sur leur importance et leur influence en la matière.
Suivant le fil de cette lente évolution, le législateur a décidé de poursuivre, en ce sens, en permettant au droit de la commande publique de passer à l’étape supérieure en matière de prise en compte des considérations environnementales.

Un droit de la commande publique astreignant dans le futur, à la prise en compte des considérations environnementales ?

En effet, comme évoqué, jusqu’ici le Code de la commande publique ne faisait que permettre cette prise en compte, dorénavant, il va bientôt la contraindre. C’est ce qui découle de la très volumineuse loi « Climat et résilience » (Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets).

Ces dispositions imposeront au pouvoir adjudicateur l’obligation de prendre en compte les considérations environnementales dans les critères d’attribution (6°, du II de l’article 35 de la loi n°2021-1104) mais également dans les conditions d’exécution des marchés (3°, du II de l’article 35 de la loi n°2021-1104).

En l’absence de décret d’application, ces dispositions n’ont pas encore été codifiées au sein du Code de la commande publique et ne sont donc toujours pas applicables.

Bien sûr, en attendant l’entrée en vigueur de ces dispositions, qui devra nécessairement intervenir avant 2025 (IV de l’article 35 de la loi n°2021-1104), de nombreuses questions restent sans réponse. Comment seront-elles interprétées par le juge administratif ? Quelle portée donnera-t-il à ces dernières ? Comment sanctionnera-t-il le non-respect de ces dispositions ? Les décrets créeront-ils des exceptions à ces obligations ?

Alors certes, la portée de ces obligations ne sera, sans doute, pas toute de suite effective. Les pouvoirs adjudicateurs useront peut-être de toute leur imagination pour réduire au maximum la portée de ces dispositions. Le juge administratif se montrera, possiblement, quelque peu conciliant avec ces derniers dans un premier temps.

Cependant, force est de constater que notre droit de la commande publique a encore franchi un cap dans cette prise en compte des exigences environnementales.

 

Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.

Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …). 

Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).

Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.

Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.