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L’éviction-illégale-du-dispositif-d’astreinte-est-indemnisable
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Le Conseil d’Etat continue à tracer le sillon de la réparation intégrale du préjudice et confirme l’importance de ce principe en étendant sa jurisprudence : l’indemnisation de la perte de chance sérieuse de bénéficier de primes et indemnités est consacrée lorsqu’un agent est totalement (et illégalement) privé de la possibilité de participer au service d’astreinte.

 

Un agent ne peut être exclu du dispositif d’astreinte si l’intérêt du service ne le justifie pas

Bien qu’organisés prioritairement sur la base du volontariat, la réalisation d’heures de garde et d’astreinte peut parfois être purement et simplement refusée à un agent.

Tel est le cas de cet adjoint des cadres hospitaliers titulaire qui a été exclu du dispositif mis en place au sein du Centre Hospitalier où il travaillait. Il a alors saisi le Tribunal administratif de Dijon d’une demande d’annulation de cette décision.

Le Tribunal a fait droit à cette demande en considérant non seulement que la décision d’éviction de l’agent du système d’astreinte mis en place dans l’Etablissement ne répondait à aucun motif tiré de l’intérêt du service, mais également que la décision n’était pas motivée en droit.

 

L’application traditionnelle du principe de l’indemnisation financière du service effectivement fait

L’agent a alors formé une deuxième requête devant le Tribunal administratif aux fins d’indemnisation du préjudice morale et financier qu’il estimait avoir subi du fait de l’illégalité de cette décision.

Sa demande ayant été intégralement rejetée en première instance, l’agent a saisi la cour administrative d’appel de Lyon, qui a limité la condamnation de l’Etablissement à la seule réparation de son préjudice moral, estimant qu’il ne pouvait prétendre à l’indemnisation, au titre du préjudice financier, de sujétions qu’il n’avait pas eu à subir.

L’agent a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt d’appel en tant qu’il rejetait sa demande d’indemnisation du préjudice financier.

Par une décision du 26 juillet 2018 n°410724 mentionnée dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel.

 

La transposition du principe de réparation intégrale de l’agent irrégulièrement évincé : réparation de la perte de chance sérieuse de bénéficier de primes et indemnités

Après avoir préalablement cité les principales dispositions relatives aux astreintes dans la fonction publique hospitalières, issues du décret n°2002-9 du 4 janvier 2002 (article 20 : définition de la période d’astreinte ; article 21 : principe du volontariat ; article 23 : amplitude horaire maximale ; article 25 : principe d’une compensation horaire ou indemnisation), le Conseil d’Etat vise l’article 1er du décret n°2003-507 du 11 juin 2003 prévoyant les modalités de calcul de la compensation horaire et de l’indemnisation.

Poursuivant son raisonnement, la Haute Juridiction rappelle d’une part le caractère définitif du jugement ayant annulé la décision évinçant l’agent du dispositif d’astreinte et d’autre part la justification de cette annulation, tirée du défaut de « motif réel se rapportant à l’intérêt du service ».

Enfin, si le Conseil d’Etat ne manque pas d’énoncer explicitement que « l’exercice d’astreintes ne saurait constituer un droit », il n’en demeure pas moins que, dans les circonstances de l’espèce (décision passée en force de chose jugée et motif d’annulation retenu), la cour administrative d’appel ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, « exclure toute possibilité pour l’intéressé d’une indemnisation au titre du préjudice financier subi du fait des décisions fautives du directeur du centre hospitalier ».

Ce faisant, le Conseil d’Etat annule l’arrêt d’appel et renvoie les parties devant la cour administrative d’appel de Lyon afin qu’il soit statué sur le préjudice financier de l’agent.

 

Oui à la réparation intégrale du préjudice fondée sur la perte de chance sérieuse, mais pas à n’importe quelle condition

La cour administrative d’appel avait fait une stricte application d’une jurisprudence classique selon laquelle le fonctionnaire « ne saurait prétendre obtenir réparation de pertes subies du fait qu’il n’a pas perçu d’indemnités de garde ou d’astreinte pendant la période d’éviction irrégulière dès lors que ces compléments de rémunération ne sont prévus par son statut qu’en contrepartie de services de gardes et d’astreintes effectivement faits et non récupérés » (Conseil d’Etat 5 juin 1991, N° 75235 82359).

 

Mais c’était ne pas faire cas de la décision de section (donc de principe) du Conseil d’Etat du 6 décembre 2013 n°365155 Commune d’Ajaccio :

« 8. Considérant qu’en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre ; que sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l’illégalité commise présente, compte tenu de l’importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, un lien direct de causalité ; que, pour l’évaluation du montant de l’indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions ; qu’enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l’agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d’éviction »

La cour administrative d’appel de Lyon avait ainsi fait le choix de ne pas transposer au cas de l’astreinte la logique prévalant dans la décision Commune d’Ajaccio, probablement en raison du fait que, dans celle-ci, le requérant avait été totalement évincé du service, alors qu’en l’espèce l’agent était « seulement » évincé du dispositif d’astreinte.

Le Conseil d’Etat réaffirme donc avec force le principe de réparation intégrale du préjudice en l’appliquant à une hypothèse d’éviction « résiduelle » : avoir totalement privé d’astreinte un fonctionnaire demandeur est de nature à faire présumer une perte de chance sérieuse de bénéficier de la compensation horaire ou de l’indemnisation dues en contrepartie de la réalisation de l’astreinte.

Toutefois, les juges du Palais Royal rappellent la nécessité, énoncée dans la décision Commune d’Ajaccio, de prendre en compte l’importance de l’illégalité commise par l’Etablissement dans l’établissement du lien direct de causalité entre le préjudice et cette illégalité.

C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat considère que « eu égard à la nature de l’illégalité constatée » tenant notamment au défaut de motif tiré de l’intérêt du service, la cour administrative d’appel ne pouvait pas « exclure toute possibilité pour l’intéressé d’une indemnisation au titre du préjudice financier ».

Il peut s’en déduire que, face à une illégalité de forme tenant à un vice affectant la procédure ou à un défaut de motivation, il serait possible d’exclure le préjudice financier de l’agent tenant à une perte de chance sérieuse de bénéficier d’indemnités pour sujétions qu’il n’avait pas subies.

 

Une balance entre la nécessaire réparation intégrale du préjudice et l’intérêt du service

L’intérêt de cette décision est donc double : rappeler l’exigence de réparation intégrale du préjudice subi par l’agent illégalement évincé, même s’il ne s’agit que d’une éviction « partielle » d’un dispositif spécifique et non d’une éviction intégrale du service, et inclure l’indemnisation de l’astreinte dans la catégorie des primes et indemnités dont l’intéressé avait une chance sérieuse de bénéficier.

Il n’en demeure pas moins que cette décision reste un cas d’espèce : si l’Etablissement démontre, nonobstant l’illégalité de la décision d’exclusion du dispositif d’astreinte, que cette exclusion répondait à l’intérêt du service (par exemple en faisant valoir l’inaptitude de l’agent à travailler de nuit), l’agent ne serait pas fondé à solliciter une indemnisation au titre de sujétions qu’il n’a pas eu à subir.

Avocat depuis 2014, Xavier LAURENT a initialement exercé au sein d’un Cabinet parisien une activité plaidante et de conseil auprès d’entreprises sociales pour l’habitat tant publiques que privées (OPHLM, SA d’HLM), notamment dans le cadre de contentieux immobiliers (droit locatif, copropriété, construction, urbanisme).

Fort d’une solide formation en droit public et désireux de donner une nouvelle orientation à sa carrière, Xavier LAURENT a par la suite intégré un Cabinet spécialisé en droit de la fonction publique, au sein duquel il a exercé en conseil et contentieux pour de nombreuses collectivités territoriales (contentieux du harcèlement moral et des sanctions disciplinaires, conseil en gestion RH, marchés publics, etc…).

C’est en 2018 qu’il a rejoint le pôle social du Cabinet HOUDART ET ASSOCIE.

Au-delà de ses compétences en droit de la fonction publique, Xavier Laurent a eu l’occasion de traiter des dossiers en droits du travail et de la sécurité sociale, lui donnant une vision transversale et une capacité d’analyse complète sur toutes les questions intéressant la gestion des ressources humaines des acteurs du monde de la santé (salariés relevant du code du travail, agents statutaires et contractuels).