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Politique territoriale mieux affirmée et exercice professionnel mieux coordonné
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1 – La coopération territoriale s’organise aujourd’hui de manière confuse

Le législateur de janvier 2016 a créé divers espaces de coopération entre les acteurs de santé sans s’assurer d’une grande cohérence.

  • Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) doivent élaborer un projet médical partagé qui doit « garantir une offre de proximité ainsi que l’accès à une offre de référence et de recours », (art. L. 6132-1, CSP) ;
  • Les professionnels et établissements qui interviennent dans le champ de la santé mentale doivent élaborer des projets territoriaux de santé mentale (art. L. 3221-2, CSP) qui servent de fondement à la signature, avec l’agence régionale de santé, de contrats territoriaux de santé mentale ;
  • Les contrats locaux de santé, (art. L. 1434-10, CSP), sont conclus entre les agences régionales de santé et les collectivités territoriales et leurs groupements. Ils prévoient la déclinaison du projet régional de santé, par une coordination des politiques publiques impactant la santé et leurs financements autour d’actions de promotion de la santé, de prévention, de politiques de soins et d’accompagnement social et médico-social ;
  • Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui sont constituées à l’initiative des professionnels de santé, sont composées « de professionnels de santé regroupés, le cas échéant, sous la forme d’une ou de plusieurs équipes de soins primaires, d’acteurs assurant des soins de premier ou de deuxième recours, … et d’acteurs médico-sociaux et sociaux concourant à la réalisation des objectifs du projet régional de santé ». (art. L 1434-12, CSP) . Elles ont pour objet de coordonner l’action des professionnels de santé d’un territoire et « ainsi concourir à la structuration des parcours de santé ».Les professionnels formalisent un projet de santé qui peut donner lieu à un contrat territorial de santé conclu avec l’agence régionale de santé. Les actions conduites dans ce cadre sont financées par le Fonds d’Intervention Régional (FIR).

 

La multiplicité de ces structures conduit inéluctablement à des redondances et à de la concurrence. Elle ne facilite pas non plus une bonne identification des acteurs et des projets dans les territoires et donc une bonne articulation entre les acteurs alors que notre système de santé souffre déjà trop de son cloisonnement.

Ce désir de travail en commun existe pourtant entre les différents acteurs dans de nombreux territoires. Certes, la loi de 2016 a plutôt défini les CPTS comme étant une démarche des professionnels de santé libéraux. Cette démarche a été confirmée par l’article 42 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 qui a confié aux partenaires conventionnels, (c’est-à-dire l’assurance maladie et les syndicats représentant les professions libérales), la conclusion d’un accord interprofessionnel pour définir un cadre de développement et de financement pérenne des formes d’exercice coordonné au sein des CPTS. Pour autant, on voit se développer des CPTS qui ont accueilli non seulement des acteurs sociaux et médico-sociaux mais aussi des établissements de santé.

 

2 – L’outil de cohérence territoriale : le projet territorial de santé

L’article 7 du projet de loi prévoit un nouvel outil dont l’objectif est d’assurer une meilleure coordination des actions conduites par les différents acteurs de santé : le projet territorial de santé.

Le projet territorial de santé devra s’appuyer sur le diagnostic territorial partagé prévu au II de l’article 1434-10 du code de la santé publique. Il sera élaboré par les communautés professionnelles territoriales de santé, ainsi que par les établissements et services de santé, sociaux et médico-sociaux du territoire.

L’élaboration du projet territorial de santé sera initiée « par au moins une communauté professionnelle territoriale de santé dont le projet de santé a été approuvé et un établissement ou service de santé, social ou médico-social ». Y seront associés les associations d’usagers agréées ainsi que les collectivités territoriales.

Le projet territorial de santé devra tenir compte des différents projets de santé des CPTS, des GHT, du projet de santé mentale ainsi que des projets médicaux des établissements privés et des établissements sociaux et médicaux sociaux ainsi que des contrats locaux de santé.

Une telle démarche devrait donner plus de cohérence entre les actions conduites par les différents acteurs sur un même territoire et leur donner plus de visibilité.

Le projet de loi ne propose pas de définition limitative du territoire adéquat pour élaborer le projet territorial de santé. Il est simplement précisé que celui-ci doit être défini à une échelle pertinente pour l’organisation des parcours de santé. Le périmètre sera donc défini par les acteurs eux-mêmes, en fonction des réalités locales et des périmètres déjà retenus pour les démarches qu’il s’agit de mettre en cohérence. Ce pourra être le territoire de démocratie sanitaire (art. L. 1434-9, CSP) à condition qu’il ne soit pas trop vaste pour assurer une bonne coordination des acteurs.

L’élaboration des projets territoriaux de santé sera fortement encouragée et accompagnée, mais ne sera pas strictement obligatoire. Cette démarche devra être portée par les acteurs eux-mêmes.

Le projet territorial de santé sera soumis à l’approbation du directeur général de l’ARS qui se prononcera au regard des objectifs du projet régional de santé après avis du conseil territorial de santé.

 

Si on peut se féliciter de cette démarche qui tend à donner plus de cohérence entre tous les acteurs appelés à définir un projet commun sur un même territoire, la conclusion de contrats territoriaux de santé par le directeur général de l’ARS nous semple ignorer cette démarche.

Le 3° de l’article 7 du projet de loi prévoit en effet que « pour répondre aux besoins identifiés dans le cadre des diagnostics territoriaux », les contrats territoriaux de santé peuvent être conclus par le directeur général de l’ARS « sur la base des projets de santé des équipes de soins primaires et des projets de santé des communautés professionnelles territoriales de santé ».

A quoi vont donc servir les projets territoriaux de santé si, une fois élaborés, seuls quelques acteurs du territoire réunis au sein des équipes de soins primaires et des CPTS sont concernés par la signature de tels contrats. On pourrait s’attendre à ce que les contrats territoriaux de santé soient plutôt « conclus sur la base des projets territoriaux de santé », associant ainsi tous les acteurs à un contrat territorial

 

3 – L’exercice coordonné

La loi de janvier 2016 qui a créé les CPTS, a défini les acteurs qui pouvaient les constituer (cf, supra), mais elle n’a pas défini la structure juridique qui devrait les porter.

Le projet de loi ne répond pas à cette incertitude et c’est très bien ainsi. L’article 7 prévoit seulement que le projet de santé des CPTS est soumis à l’approbation du directeur général de l’ARS.

Dans la définition qui en a été donné en janvier 2016, les CPTS restent essentiellement un outil des professionnels de santé de ville et contribuent fortement à la structuration territoriale des soins ambulatoires. Les négociations qui se déroulent actuellement entre l’assurance maladie et les représentants des professionnels libéraux ainsi que les représentants des centres de santé devraient aboutir à un accord conventionnel interprofessionnel tel qu’il est prévu à l’article L. 162-14-1 II, du code de la sécurité sociale.

Aucune forme juridique ne sera imposée pour bénéficier des financements que cet accord devrait prévoir. Il s’agit là d’une sage position. Précédemment, l’accord conventionnel interprofessionnel signé en avril 2017 et publié par arrêté le 5 aout 2017 a, par contre, obligé les professionnels, d’être dans un centre de santé ou, lorsqu’il s’agit de professionnels libéraux, d’être organisés en société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA) pour en bénéficier.

Nous avons critiqué cet outil juridique souvent inadapté à la démarche des professionnels[1] ( Voir article « Maisons de santé (MSP), Communautés professionnelles de territoire de santé (CPTS), et Société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA) : Faut-il légiférer ? » ) . Dans une SISA, l’adhésion est individuelle. Des professionnels qui sont déjà organisés en société d’exercice libéral (SEL) ou en société civile professionnelle (SCP), ou qui ont constitué une société civile de moyens (SCM) ne peuvent y faire adhérer leur structure d’exercice, ils doivent adhérer en plus personnellement à une SISA s’ils veulent bénéficier des financements prévus dans l’accord conventionnel. Par ailleurs, la SISA est une société civile[2]. La responsabilité aux dettes y est indéfinie et proportionnelle aux parts détenues et peut donc toucher les biens propres et personnels de l’associé, alors que dans une société commerciale (SEL, SCP, SARL), la responsabilité des associés est limitée aux seuls apports.

 

Le projet de loi n’envisage pas de modifier le statut juridique des SISA.  La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a étendu les missions des SISA en leur donnant la possibilité de salarier des auxiliaires médicaux réalisant des actes de pratique avancée et ainsi de facturer ces actes à l’Assurance maladie, mais le cadre juridique des SISA reste le même.

 

Dans de nombreux territoires, des acteurs de terrain s’organisent aujourd’hui pour coordonner leurs actions. Ils peuvent éventuellement bénéficier de financements à titre expérimental dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement pour 2018. Dans le cadre des appels à manifestation d’intérêt lancés par le ministère, un intéressement collectif peut par exemple être ainsi envisagé en complément du paiement à l’acte (Expérimentation IPEP : incitation à une prise en charge partagée), ou une rémunération collective peut se substituer au paiement à l’acte (Expérimentation PEPS : paiement forfaitaire en équipe de professionnels de santé). Or, nous ne disposons pas de cadre juridique permettant le partage de rémunération entre les professionnels de santé participant à ces expérimentations ni la possibilité de partager ces rémunérations entre des acteurs de ville et des acteurs hospitaliers lorsqu’un établissement y est partie prenante.

 

Le II de l’article 19 du projet de loi prévoit d’habiliter le gouvernement à légiférer par ordonnance afin de favoriser le développement de l’exercice coordonné au sein des CPTS, des équipes de soins primaires, des centres de santé et des maisons de santé « en adaptant leurs objets, leurs statuts et leurs régimes fiscaux ou en créant de nouveaux cadres juridiques ».

 

L’objectif est de faciliter la création de ces structures, l’exercice de leurs missions, leur organisation et leur fonctionnement. Il s’agira aussi de permettre le versement d’indemnités, de rémunérations ou d’intéressements collectifs ou individuels aux personnes physiques ou morales qui en sont membres et de rendre possible le versement par l’assurance maladie à une maison de santé de tout ou partie de la rémunération résultant de l’activité de ses membres ainsi que de prévoir l’emploi et la rémunération par la structure de professionnels qui participent à ses missions ainsi que le personnel intervenant auprès des médecins pour les assister dans leur pratique quotidienne.

 

Nous avons en effet besoin d’avoir un cadre juridique qui permette à la fois,

  • d’organiser une réelle coordination des professionnels de santé pour assurer une fluidité d’accès à ces professionnels et une meilleure prise en charge ambulatoire des maladies chroniques et des personnes âgées à domicile ;
  • de permettre à des personnes morales (centres de santé, établissements de santé publics et privés, établissements sociaux et médico-sociaux) d’être associés dans une même structure avec des professionnels libéraux ;
  • que la gouvernance de telles structures soit souple et notamment permette d’y entrer et d’en sortir facilement.

 

 


 

Pour remplir l’ensemble de ces conditions, il sera soit nécessaire de faire évoluer les structures existantes, soit d’en créer de nouvelles. Il y a là un chantier déterminant pour répondre aux besoins d’une organisation des soins réellement coordonnée que nous suivrons avec attention.

[1]Voir article « Maisons de santé (MSP), Communautés professionnelles de territoire de santé (CPTS), et Société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA) : Faut-il légiférer ? » sur le Blog du cabinet HOUDART et Associés, octobre 2018.

[2]Article L. 4041-1, CSP.

Claude Evin est avocat depuis avril 2004, associé au sein du Cabinet Houdart au 1er septembre 2016.

Il a auparavant exercé diverses responsabilités politiques : élu municipal et régional, député, ministre.

Au cours de son activité parlementaire et ministérielle il a constamment travaillé sur les questions relatives à la santé et à la protection sociale : président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale et rapporteur de nombreux textes de loi sur ces sujets.

Sa connaissance du secteur hospitalier s'est forgée dans le cadre de diverses responsabilités notamment au sein de la Fédération hospitalière de France. Appelé à préfigurer l'Agence régionale de santé d'Ile de France en octobre 2009, il en a assuré la direction générale jusqu'en aout 2015, date à laquelle il a repris son activité d'avocat.