PROTECTION DE LA VIE ET OBSTINATION DÉRAISONNABLE : UN ÉQUILIBRE DÉLICAT À TROUVER
Article rédigé le 5 novembre 2024 par Marie COURTOIS
Tribunal Administratif de Melun, 2 août 2024, n°2409481
Le projet de loi sur la fin de vie a fait resurgir les réticences des médecins à l’idée d’accomplir des actes contraires à leur déontologie. Pour les rassurer, la clause de conscience a été brandie : elle permet au médecin de refuser d’accomplir un acte jugé contraire à l’exercice de la médecine. Si l’on vise souvent le refus de donner la mort, elle peut être entendu différemment. Au nom de leur déontologie, les médecins peuvent aussi s’opposer à l’acharnement thérapeutique. Leur conscience leur interdit de s’obstiner déraisonnablement à procurer à une personne des soins inutiles, disproportionnés ou ayant pour seul effet le maintien artificiel de la vie.
L’affaire soumise au Tribunal administratif de Melun illustre parfaitement le dilemme qui peut exister entre le respect du droit à la vie, de la volonté de la famille et la décision des médecins de limiter des traitements pour éviter de tomber dans une obstination déraisonnable. Quel est le rôle du juge face à une telle situation ? Comment déterminer les soins qui relèvent véritablement d’une obstination déraisonnable ?
Par un jugement du 2 août 2024, le tribunal administratif de Melun a suspendu l’exécution de la décision d’une équipe médicale d’un hôpital public de procéder à une limitation des traitements prodigués à une personne atteinte de trisomie 21 et de ne pas procéder à sa réintubation en cas de détresse respiratoire consécutive à son extubation. Cette décision montre l’importance du contrôle effectué par le juge sur les décisions de limitation ou arrêt des traitements.
Le 14 juin 2024, un patient, âgé de 53 ans et atteint de Trisomie 21, est admis à l’hôpital Henri-Mondor suite à une récidive de douleurs abdominales. Le 17 juin 2024, il subit une opération de cholécystectomie. Deux jours plus tard, il présente des difficultés respiratoires en lien avec une infection pulmonaire. Il est transféré dans le service de réanimation chirurgicale où il est intubé et placé sous ventilation artificielle le 22 juin 2024.
Malgré plusieurs tentatives d’extubation entre le 25 juin et le 18 juillet, le patient a été constamment réintubé en raison de détresses respiratoires. Il est désormais alimenté par intra-veineuse grâce à des poches d’alimentation artificielle.
Au regard de l’ensemble de son état médical et en l’absence de progression thérapeutique, l’équipe médicale, a jugé, le 22 juillet 2024 que la poursuite des soins constituait une obstination déraisonnable et a engagé la procédure collégiale prévue à l’article R.4127-37-2 du CSP. Le 26 juillet 2024, il a été décidé de procéder à une extubation du patient en prévoyant, en cas de survenance d’une détresse respiratoire, une absence de réintubation et la mise en place de soins de conforts.
Le frère du patient, en qualité de tuteur, a demandé au juge des référés de suspendre ces décisions et le tribunal administratif de Melun a répondu favorablement à cette demande : il considère que la décision de limitation des soins prise par les médecins était bien entachée d’une illégalité grave et manifeste.
Rappels importants sur le cadre légal
Le tribunal administratif prend soin de rappeler le cadre juridique dans lequel sont enfermées les décisions d’arrêt ou de limitation des traitements au nom de l’obstination déraisonnable.
Selon les articles L.1110-1, L.1110-5 et R. 4127-37-2 du Code de la santé publique, le médecin peut décider de suspendre ou de ne pas entreprendre les actes qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, avec l’accord du patient ou, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie règlementaire.
La décision des médecins est conforme à la loi si les soins qu’elle interrompt sont inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que seul le maintien artificiel de la vie et traduiraient, s’ils étaient poursuivis, une obstination déraisonnable.
Pour aboutir à ce constat, les membres de l’équipe médicale ne peuvent s’être fondés sur le seul seul fait que la personne est dans un état de perte d’autonomie la rendant tributaire d’un mode de suppléance des fonctions vitales.
Il est nécessaire qu’ils aient apprécié l’ensemble des éléments médicaux et non-médicaux du patient pour en déduire qu’une poursuite des traitements constituerait une obstination déraisonnable, ces derniers étant inutiles ou disproportionnés. Au titre de ses éléments figure :
- L’état actuel du patient
- L’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie,
- Sa souffrance,
- Son pronostic clinique,
- La durée de sa prise en charge,
- Son état de conscience.
Attention, s’il s’avère que les soins sont inutiles, disproportionnés ou n’ont d’autre effet que le maintien artificiel de la vie, leur arrêt reste conditionné à l’accord du patient.
L’arrêt des traitements doit être consenti par l’intéressé
La loi distingue deux situations :
- Si la personne est en état d’exprimer sa volonté, elle pourra autoriser ou non l’arrêt des traitements dont il a été établi que la poursuite constituerait une obstination déraisonnable.
- Si la personne n’est pas en état d’exprimer sa volonté, une décision d’arrêt des traitements ne peut être prise qu’à l’issue d’une procédure collégiale. Cette procédure est décrite à l’article R.4127-37-2 :
- Elle prend la forme d’une concertation entre les membres de l’équipe de soins qui sont éclairés par plusieurs avis :
- L’avis motivé d’au moins un médecin appelé en consultant. Attention, il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. En outre, un second avis peut être recueilli, s’il apparait nécessaire.
- L’avis du tuteur, curateur, représentant légal, le cas échéant.
- Elle aboutit à une décision qui doit être conforme aux éventuelles directives anticipées laissées par le patient (Article L.1111-4). En leur absence, la personne de confiance ou à défaut la famille ou les proches du patient doivent avoir été consultés.
- Elle prend la forme d’une concertation entre les membres de l’équipe de soins qui sont éclairés par plusieurs avis :
Le contrôle du juge des référés de la décision prise par l’équipe médicale
Saisi par la famille d’une demande de suspension de la décision médicale d’arrêt des soins, le juge des référés est sommé d’exercer ses pouvoirs de manière particulière. Il doit faire preuve d’une grande prudence dans la mesure où l’exécution de la décision contestée porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Cela explique certainement le nombre conséquent de décisions d’arrêt des traitements suspendus par le juge des référés.
Il doit suspendre toute décision qui serait manifestement illégale :
- Soit parce qu’elle aurait été prise sans le consentement de l’intéressé, ou lorsqu’il était hors d’état d’exprimer sa volonté, sans qu’une procédure collégiale n’ait été mise en œuvre ou correctement mise en œuvre.
- Soit parce qu’elle interromprait des soins sans démontrer leur inutilité, leur disproportion ou le seul effet de maintien artificiel de la vie qu’ils offrent au patient. On lui demande de procéder à une conciliation entre le droit au respect de la vie et le droit du patient à ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable. Dans le cadre de cette mission, le juge des référés doit :
- S’assurer in abstracto que la poursuite du traitement visé pourrait traduire une obstination déraisonnable.
- S’assurer in concreto, au regard de la situation médicale de l’intéressé, que la poursuite du traitement conduirait effectivement à une obstination déraisonnable. Autrement dit, que les soins sont bel et bien, en l’espèce, inutiles, disproportionnés ou n’ont d’autre effet que le maintien artificiel de la vie.
Sur le premier motif d’illégalité, le centre hospitalier fait valoir que la décision de limitation des traitements a bien été prise en suivant la procédure collégiale prévue à l’article R.4127-37-2 du CSP. Plusieurs réunions se sont tenus pour décider de cette limitation des thérapeutiques après l’extubation. Quatre médecins extérieurs au service ont pu exprimer leur avis et le requérant, tuteur du patient a été consulté puisque que le patient n’avait pas pu laisser de directives anticipées. Si le requérant reproche à l’équipe médicale de ne pas avoir consulté des médecins exerçant à l’extérieur de l’hôpital, le juge des référés ne semble pas en tirer une illégalité manifeste.
En revanche, il s’intéresse au second motif d’illégalité. Le juge des référés a d’abord confirmé, qu’in abstracto, la ventilation mécanique, l’alimentation et l’hydratation artificielle sont des traitements qui peuvent traduire une obstination déraisonnable. Toutefois, il considère, qu’in concreto, le maintien du patient sous respirateur et la mise en place d’une alimentation sous intraveineuse ne traduisent pas une obstination déraisonnable :
- Certes, le patient présente, en raison de la trisomie dont il est atteint, une déficience intellectuelle sévère et des troubles cognitifs importants ainsi qu’un début de maladie d’Alzheimer précoce.
- Certes, son état ne s’améliore pas : il est intubé, dans une situation de grande fragilité, et alimenté par une poche-intraveineuse.
- Certes, le projet de trachéotomie évoqué comme une solution est contre-indiqué en raison du comportement non coopérant aux soins de Monsieur et de son faible potentiel de rééducation.
- Toutefois, ces circonstances ne permettent pas de regarder ces soins comme inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie car :
- L’intéressé est conscient.
- Il est capable d’interagir avec ses proches.
- Il n’est pas pris en charge depuis une très longue durée (40 jours de réanimation).
- Son frère est opposé à l’arrêt des soins.
La décision de suspendre l’exécution de la décision d’arrêt des traitements semble surtout être motivée par le fait que le patient est capable d’interagir avec ses proches. Sur une vidéo, ce dernier leur sourit. S’il ne peut donner son consentement et n’a pas laissé de directives anticipées, il ressort des faits que ce dernier continue de profiter de ses proches et de sa vie.
La décision du juge des référés est cruciale : face à un tel enjeu, le moindre doute doit aller en faveur de la vie. C’est ce qu’illustre cette décision. Lorsqu’un équilibre doit être fait entre le droit à la vie et le droit de ne pas subir un acharnement thérapeutique, la balance penche souvent vers le droit à la vie et cela est juste.
Etudiante en première année de master, Marie Courtois a rejoint le Cabinet HOUDART & Associés, en qualité de juriste, en septembre 2023.
En charge de la veille juridique et jurisprudentielle, elle met ses compétences rédactionnelles au service du cabinet. Attentive à l’actualité législative, règlementaire et jurisprudentielle liée au domaine médico-social, elle décrypte pour vous les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et les textes récents.