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Protection fonctionnelle des agents : enjeux et régulation en débat
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Protection fonctionnelle des agents : enjeux et régulation en débat

Article rédigé le 19 septembre 2024 par Me Pierre-Yves Fouré et Marie Courtois

 

Cet article est la suite de notre article précédent : Protection fonctionnelle : protection de l’agent ou de l’institution ?

 

Dans la première partie de cet article consacré à la circulaire du 29 mai 2024, nous vous avons livré notre analyse des conditions d’octroi proposées. Dans sa seconde partie, nous nous intéresserons aux modalités de déclenchement de la protection fonctionnelle et aux modalités de sa mise en œuvre, telles que décrites par cette circulaire.

Comment se déclenche, concrètement, la protection fonctionnelle ? Quelles démarches l’agent doit-il suivre pour en bénéficier ? Mais aussi, quelles sont ses modalités de mise en œuvre ? Jusqu’où l’administration peut-elle aller dans le contrôle des coûts générés par la protection fonctionnelle ?

 

 

Côté pratique : La circulaire détaille les démarches à entreprendre pour obtenir la protection fonctionnelle.

Déclenchement de la protection fonctionnelle : quelques indications pertinentes

Étape 1 : Le dépôt de la demande

D’abord, l’agent victime d’une attaque ou poursuivi devant une juridiction répressive pour faute de service doit en informer sans délai sa hiérarchie.

 Ensuite, selon l’article L.134-6 du CGFP, l’agent doit adresser une demande de protection fonctionnelle par écrit (sur papier libre, formulaire dédié, mail), à l’autorité compétente (souvent, son employeur).

Cette demande doit être motivée et apporter toutes précisions utiles sur les faits ou les poursuites pour éclairer l’autorité compétente dans sa prise de décision. L’agent peut adjoindre à sa demande un compte-rendu des faits, un rapport de son supérieur hiérarchique, des certificats médicaux, des attestations de témoins, l’éventuel récépissé du dépôt de plainte aux services de police ou de gendarmerie ou de la convocation judiciaire. L’agent peut préciser dans sa demande les modalités de la protection fonctionnelle dont il souhaite bénéficier (soutien, assistance juridique).

Aucun délai n’est prévu pour effectuer sa demande, mais plus tôt elle est faite, mieux c’est ! Cela évitera d’avancer les frais d’avocats et le montant des éventuelles condamnations civiles. Attention, elle devra être demandée à chaque nouvelle étape de la procédure (première instance, appel, cassation).

étape 2 : La décision de l’administration

D’abord, il est recommandé à l’administration d’accuser la bonne réception de la demande.

Ensuite, l’administration peut solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction du dossier.

Enfin, dans un souci de bonne administration et dans l’intérêt de l’agent, l’administration est tenue de statuer dans les meilleurs délais sur la demande et apporte une réponse écrite.

  • En cas de refus de la protection fonctionnelle, la décision doit être motivée en fait et en droit et comporter les voies et délais de recours.
    • Le refus ne peut être prononcé que si les conditions d’octroi ne sont pas réunies ou si l’intérêt général le justifie.
    • Le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut rejet de la protection (Article L.231-4 5° du CRPA). Toutefois, dans ce cas, l’agent peut demander la communication des motifs du refus et l’administration doit lui répondre dans un délai d’un mois.
  • En cas d’acceptation, l’autorité administrative devra indiquer dans quelles modalités elle envisage d’accorder la protection. Cette décision est créatrice de droit, elle ne peut être retirée rétroactivement que si elle est illégale et dans un délai maximum de 4 mois suivant la prise de décision. Par contre, la protection peut être abrogée si une des conditions disparait.

 

La mise en œuvre de la protection : le risque d’un rôle démesuré de l’administration

Lorsque l’autorité administrative octroie la protection fonctionnelle, elle s’engage à prendre toutes les mesures adaptées à la nature de la menace ou de l’attaque dont un agent est victime. Qu’il soit victime ou poursuivi, elle l’accompagne tout au long de la procédure avec son avocat. L’administration doit :

  • Faciliter la défense de l’agent, en transmettant tous les documents utiles dans le cadre de la procédure (fonctionnement du service, compétences et moyens à la disposition des agents, notes internes, guides et recommandations), en portant plainte, si l’agent est victime (Attention, l’administration ne peut pas se constituer partie civile en lieu et place de son agent de direction).
  • Payer les frais occasionnés par la procédure (frais de consignation, de citation directe, d’expertise ou commissaire de justice).
  • Prendre en charge ses condamnations civiles lorsqu’elles résultent d’une faute de service et en l’absence de faute personnelle.
  • Réparer son préjudice : Selon l’article L.134-5 du CGFP, l’administration est tenue d’indemniser l’agent des différents préjudices qu’il a subis du fait des atteintes volontaires à l’intégrité physique, des violences, des agissements constitutifs de harcèlement, des menaces, des injures, des diffamations ou des outrages.
    • L’indemnisation a lieu même si les auteurs n’ont pas été identifiés dès lors que les pièces justifiant le préjudice ont été produites.
    • La procédure d’indemnisation ne peut être déclenchée qu’à l’initiative de l’agent et indépendamment de l’engagement dans une procédure contentieuse contre l’auteur de l’acte. L’agent doit adresser sa demande par courrier en y joignant les pièces évaluant et prouvant la réalité de son préjudice.
    • L’administration est tenue d’évaluer le montant des dommages-intérêts, elle n’est pas liée par le montant fixé par le juge pénal.
  • Régler les honoraires de son avocat. En principe, une fois la protection accordée, l’agent n’a à avancer aucun frais d’avocat, ils sont réglés par l’administration. Toutefois, sur le règlement de ces honoraires, les préconisations de la circulaire interrogent. Si elle admet que l’administration doit prendre en charge les frais d’avocat, elle lui enjoint de ne pas le faire dans l’hypothèse où ils seraient « excessifs ». Plus précisément, l’administration reçoit deux recommandations :
    • D’abord, établir systématiquement une convention tripartite définissant les modalités de règlement des honoraires de l’avocat désigné et surtout s’y tenir en refusant de payer des sommes non envisagées par ladite convention. C’est l’agent qui paiera tout surplus.
    • Ensuite, « Ne prendre en charge qu’une partie des honoraires lorsque le nombre d’heures facturées ou déjà réglées apparait manifestement excessif […] au regard des prestations effectivement accomplies par le conseil pour le compte de son client, des pièces et des justificatifs produits ou de la nature des difficultés présentées par le dossier » (Article 7 du Décret du 26 janvier 2017).

Il ressort clairement de ces recommandations, une volonté de rationner les dépenses liées à la protection fonctionnelle, et ce, en contrôlant les honoraires des avocats.

S’il est de bonne gestion que l’administration ne verse pas, à l’aveugle et sans vérification, les honoraires des avocats choisis par ses agents, les critères et méthodologies proposés par la circulaire sont préoccupants et outranciers.

En effet, elle ne se contente pas de donner, à l’administration, des critères permettant de vérifier l’excessivité des honoraires demandés par les avocats, mais propose, ni plus ni moins, des critères de fixation d’honoraires (alors même que celle-ci est libre par principe). Pire, parmi ces critères figure la rédaction de conclusions (rappelons alors que la procédure pénale est orale et que la défense ne peut se limiter à la rédaction d’actes). Ajoutons que les avocats, pour le versement de leur rémunération par l’administration, seraient tenus de présenter, à titre de justificatif, « les décisions de justice rendues dans les affaires dont ils sont chargés ». C’est grotesque.

Il serait plus judicieux d’inviter l’administration, en cas d’interrogation sur les honoraires, à se rapprocher des institutions professionnelles dont en première intention, le bâtonnier et le conseil de l’ordre des avocats, qui pourront apprécier au mieux la justesse et la mesure de l’honoraire sollicité.

En cas de différends, l’administration aura toujours loisir de saisir le juge administratif.

 

La protection fonctionnelle est essentielle à une heure où les agents sont de plus en plus souvent victimes d’agressions ou mis en cause dans le cadre de leur activité professionnelle. De fait, l’élaboration d’une circulaire était une bonne initiative en vue d’apporter, à l’administration, une aide méthodologique dans la mise en œuvre de cette protection.  Néanmoins, telle qu’elle se présente, la circulaire semble avoir cédé à la la tentation d’une régulation excessive. Elle ne répond pas aux véritables enjeux d’une régulation intelligente et professionnelle de la protection fonctionnelle et de son coût. Il faut escompter que le législateur d’ici le 1e juillet 2025 viendra en refonder les principes fondamentaux et les modalités concrètes de son application.

Rendez-vous au 1e juillet 2025.

Depuis sa prestation de serment (février 2000), Pierre-Yves FOURÉ conseille et défend directeurs d’établissements, cadres et professionnels du monde de la santé (établissements de santé, médecins, établissements médico-sociaux, organismes d’assurance maladie et complémentaires), de l’université, ainsi que tous dirigeants et institutions nationales, déconcentrées ou locales.

Avocat de la défense dans les affaires complexes à forts enjeux de responsabilités (sang contaminé, amiante, surriradiés, accidents graves, harcèlement et conflits professionnels, infractions aux biens), Pierre-Yves FOURÉ est également le conseil de proximité au quotidien comme celui des situations de crises médiatisées.

Pierre-Yves FOURÉ intervient devant les juridictions pénales (juge d’instruction, tribunal correctionnel), disciplinaires (conseil de l’ordre), financières (cour de discipline budgétaire et financière), administratives ou civiles.

Au-delà de sa maitrise des matières juridiques qu’il pratique depuis plus de 20 ans, Pierre-Yves FOURÉ est reconnu pour son engagement dans la défense et la forte dimension humaine de la relation client.

Etudiante en première année de master, Marie Courtois a rejoint le Cabinet HOUDART & Associés, en qualité de juriste, en septembre 2023.

En charge de la veille juridique et jurisprudentielle, elle met ses compétences rédactionnelles au service du cabinet. Attentive à l’actualité législative, règlementaire et jurisprudentielle liée au domaine médico-social, elle décrypte pour vous les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et les textes récents.