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jurisprudence judiciaire
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QUI INDEMNISE LA VICTIME D’UN ACCIDENT MÉDICAL NON FAUTIF ?

Article rédigé le 30 mai 2024 par Marie COURTOIS

 

Cass, 1e Civ, 24 avril 2024, n°23-11.059

 

Dans cet arrêt du 24 avril 2024, la Cour admet un cumul de la responsabilité médicale et de la solidarité nationale lorsque la faute commise par le professionnel de santé n’est pas la cause directe de l’accident médical mais a augmenté les risques de sa survenance et fait perdre une chance à la victime d’y échapper.

 

 

L’indemnisation d’une perte de chance d’échapper à un accident médical : le pourvoi formé par l’ONIAM

 

En l’espèce, une femme présentant des douleurs dans la région latéro-pubienne a été prise en charge au sein d’un centre hospitalier par un chirurgien salarié. Celui-ci a d’abord procédé à une exploration sous anesthésie locale, qui n’a pas permis de déceler une hernie crurale ou inguinale. En raison de la persistance des douleurs de la patiente, il a réalisé une IRM qui a, cette fois, mis au jour cette hernie. Un mois plus tard, le chirurgien procédait à un abaissement du tendon conjoint sur l’arcade crurale et mettait en place une plaque pour fermer l’orifice externe du canal inguinal. Malheureusement, cette intervention a porté atteinte au nerf génito-fémoral de la patiente et a conduit à une névralgie, une douleur très intense.

 

La patiente a assigné en responsabilité et indemnisation le centre hospitalier et son assureur ainsi que l’ONIAM pour le préjudice qu’elle a subi du fait d’un accident médical dont le risque de survenance a été accru par une faute du chirurgien. La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 24 novembre 2022, a accueilli sa demande et a contraint l’ONIAM à indemniser la victime de ses préjudices, déduction faite de l’indemnité mise à la charge du centre hospitalier et de son assureur.

 

L’ONIAM a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Elle s’appuie sur une jurisprudence antérieure de la Cour de cassation selon laquelle lorsqu’une faute a été commise lors de la réalisation de l’acte médical à l’origine du dommage, cette faute est exclusive d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale fondée sur les risques que comportait l’acte (Cass, 1e Civ, 16 novembre 2016, n°15-20.611). Or, l’ONIAM démontre que les fautes reprochées au chirurgien tenant à l’absence de repérage et de traitement de la hernie ainsi qu’à la pose inutile de la plaque, ont été commises lors de la réalisation de l’acte médical. Elle en déduit que peu importe que ces fautes aient augmenté le risque inhérent aux interventions pratiquées puisqu’elles sont exclusives de toute indemnisation au titre de la solidarité nationale.

 

La question posée à la cour est donc la suivante : Les fautes commises dans la prise en charge d’une patiente ayant augmenté le risque d’un accident médical inhérent à l’acte médical et faisant perdre une chance à la patiente d’échapper à sa réalisation, empêchent-elles la victime d’obtenir une indemnisation au titre de la solidarité nationale ? Un cumul de la responsabilité médicale et de la solidarité nationale est-il possible ?

 

L’indemnisation au titre de la solidarité nationale : une indemnisation subsidiaire

 

Selon l’article L.1142-1 du Code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissements dans lesquels sont réalisés les actes de prévention, de diagnostic ou de soins, sont responsables des conséquences dommageables de ces actes si une faute a été commise.

 

Lorsque leur responsabilité ne peut pas être recherchée, les victimes peuvent tout de même obtenir réparation de leurs préjudices au titre de la solidarité nationale. Cette indemnisation présente un caractère subsidiaire :

  • Lorsqu’une faute est la cause du dommage corporel subi par le patient, la réparation incombe au seul responsable (Article L.1142-1 I).
  • En l’absence de faute, la réparation du dommage est possible au titre de la solidarité nationale (Article L.1142-1 II), elle incombe alors à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Cette indemnisation suppose un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale :
    • Qui est directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins.
    • Ayant eu, pour le patient, des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci.
    • Présentant un certain caractère de gravité.

 

L’exception : un complément d’indemnisation possible au titre de la solidarité nationale lorsque la faute n’est à l’origine que d’une perte de chance

 

En principe, c’est à celui qui a commis une faute, et à lui seul, de réparer le dommage qui en a résulté. Toutefois, lorsque la faute commise n’est qu’à l’origine d’une perte de chance, la cour admet qu’un complément d’indemnisation puisse être versé à la victime par la solidarité nationale. Il s’agit de lui assurer une réparation intégrale de son préjudice.

 

Ainsi, la Cour permet à la victime d’obtenir réparation de son préjudice tiré d’une perte de chance en recherchant la responsabilité du professionnel fautif mais aussi en agissant contre l’ONIAM au titre de la solidarité nationale. La jurisprudence de la cour a déjà admis un tel cumul d’indemnisations dans deux hypothèses :

  • Lorsque le patient n’a pas été informé sur les risques d’une intervention au cours de laquelle est survenu un accident médical. En effet, en un tel cas, le patient a perdu une chance de refuser l’intervention (Cass, 1e civ, 11 mars 2020, n°09-11.270).
  • Lorsqu’une faute a été commise dans la prise en charge des conséquences de l’accident médical: cette faute ayant fait perdre une chance d’en limiter les conséquences (Cass, 1e Civ, 22 novembre 2017, n°16-24.769).

 

Jusqu’à un arrêt du 16 novembre 2016, la cour excluait un tel complément fondé sur les risques que comportait l’acte médical, lorsque la faute avait été commise lors de la réalisation de l’acte médical qui est à l’origine du dommage. Toutefois, la Cour de cassation considère dans cet arrêt du 24 avril dernier qu’il est nécessaire de modifier sa jurisprudence antérieure :

  • Le conseil d’état ne retient pas une telle exclusion. Il considère qu’un complément d’indemnisation au titre de la solidarité nationale ne peut être écarté lorsque la réparation consiste uniquement en une perte de chance que dans l’hypothèse où un acte fautif ou le défaut d’un produit de santé est la cause directe de l’accident médical (CE, 15 octobre 2021, n°431291).
  • Cette exclusion conduit à ce que la victime d’un accident médical soit moins bien indemnisée lorsqu’une faute aggravant les risques de sa réalisation a été commise. Elle crée aussi une inégalité de traitement entre les victimes selon que les actes aient été réalisés dans un établissement public ou privé.

 

Afin de permettre au patient d’obtenir une indemnisation intégrale de son dommage corporel, les hauts magistrats, dans cet arrêt du 24 avril 2024, admettent un complément d’indemnisation par la solidarité nationale lorsque la faute commise n’est à l’origine que d’une perte de chance d’échapper à l’accident médical, y compris dans le cas d’une faute ayant accru les risques de survenue d’un accident médical.

 

La Cour de cassation énonce que :

« Dans l’hypothèse où un accident médical non fautif est à l’origine de conséquences dommageables mais où une faute a augmenté les risques de sa survenue et fait perdre une chance à la victime d’y échapper, l’accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l’article L.1142-1. L’indemnité due par l’ONIAM est réduite du montant de celle mise à la charge du responsable de la perte de chance. »

 

Les hauts magistrats rejettent ainsi le pourvoi formé par l’ONIAM et valident le raisonnement de la Cour d’appel de Lyon. En l’espèce, les juges du fond ont souverainement admis que le chirurgien avaient commis des fautes dans la prise en charge de sa patiente et que ces fautes avaient augmenté le risque d’atteinte du nerf génito-fémoral, inhérent à l’intervention, lui faisant ainsi perdre une chance de 50% d’échapper à sa réalisation. Après avoir retenu que l’atteinte du nerf génito-fémoral constituait un accident médical, ils ont affirmé que celui-ci répondait aux conditions prévues par l’article L.1142-1 II du CSP :

  • Il était bien directement imputable à l’intervention chirurgicale pratiquée.
  • Il avait eu, pour la patiente des conséquences anormales au regard de son état de santé
  • Et présentait le caractère de gravité exigé par ce texte.

 

Ainsi, selon les hauts magistrats, la cour d’appel a dit, à bon droit, l’obligation pour l’ONIAM d’indemniser les préjudices subis par la victime, déduction faite de l’indemnité mise à la charge du centre hospitalier et de son assureur.

 

Que retenir ? Si la faute commise par un chirurgien, salarié d’un centre hospitalier engage sa responsabilité au sens de l’article L.1142-1 I, cette faute n’empêche pas la victime d’obtenir, en outre, une réparation sur le fondement du II de ce texte dès lors que celle-ci a augmenté le risque de survenance de l’accident médical faisant ainsi perdre une chance de l’éviter.

 

Etudiante en première année de master, Marie Courtois a rejoint le Cabinet HOUDART & Associés, en qualité de juriste, en septembre 2023.

En charge de la veille juridique et jurisprudentielle, elle met ses compétences rédactionnelles au service du cabinet. Attentive à l’actualité législative, règlementaire et jurisprudentielle liée au domaine médico-social, elle décrypte pour vous les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et les textes récents.