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Activités hospitalière non Covid-19
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REPRISE DES ACTIVITÉS HOSPITALIÈRES NON COVID-19 : LES ASSUREURS N’ASSURENT PAS

Article rédigé le 4 mai 2020 par Me Pierre-Yves Fouré et Me Laurent Houdart

La reprise des activités hospitalières non Covid-19 est à l’évidence une priorité absolue de santé publique. Il s’agit de stopper l’hécatombe annoncée des patients qui se sont écartés des soins du fait de la crise sanitaire et de permettre urgemment à ceux qui en ont besoin de retrouver le chemin de l’hôpital afin d’éviter des conséquences graves ou irréversibles. Dans un contexte général marqué par les atermoiements et les réticences des assureurs à dessein de ne pas s’exposer aux conséquences du Covid-19, les équipes hospitalières sont confrontées à des incertitudes inacceptables et inutiles quant à l’effectivité de leur couverture assurantielle. Une clarification des assureurs est désormais indispensable.

 

Chacun a été témoin, dès les premières heures de l’état d’urgence sanitaire, de la polémique née du défaut de contribution des assureurs à l’effort de solidarité nationale pour lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences économiques.

 

Sauf exceptions sporadiques de certains opérateurs mutualistes ayant annoncé, ici le remboursement à leurs sociétaires d’une partie des cotisations d’assurance automobile du fait de la chute drastique de la circulation routière et donc de l’accidentologie sur la voie publique, ou là le versement d’une « prime » forfaitaire de 1 500 à 2 000 euros pour compenser la perte d’activité des PME touchées par la crise, la stratégie d’évitement des opérateurs assurantiels aux conséquences du Covid-19 n’aura échappé à personne. Il est à craindre qu’elle ne se poursuive.

 

La pandémie : risque sociétal contre sinistre assurantiel

 

Le risque d’épidémie, et plus encore le risque de pandémie, est le plus souvent exclu des garanties stipulées par les contrats d’assurance : un assureur considère, traditionnellement, ne pas avoir à assurer un risque systémique de société mais uniquement le sinistre conjoncturel de son assuré, ce qui se matérialise classiquement par un accident (un incendie, un accident de la route, un accident opératoire). Il ne faut pas feindre de découvrir que le modèle économique de l’assureur est essentiellement guidé par sa rentabilité financière à court terme. Beaucoup d’opérateurs assurantiels ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en se hâtant de rappeler que la mobilisation de tous leurs fonds propres ne suffirait pas, de toute façon, à couvrir les pertes d’exploitation subies par les entreprises du fait de la crise sanitaire.

 

L’ire provoquée par certains opérateurs mutualistes précités au sein de la puissante Fédération française des assureurs (FFA) s’est alors prolongée d’annonces en grande pompe, pour imaginer un nouveau régime d’assurance pandémie ou bien la future création d’un « état de catastrophe sanitaire » dont la promulgation par décret, à la manière d’une catastrophe naturelle, permettrait à l’avenir de mobiliser assurances privées et solidarité nationale.

 

Dans l’intervalle et pour répondre à l’urgence immédiate, les pouvoirs publics ont pu s’employer pour que le paiement des primes d’assurance par les entreprises les plus touchées soient à tout le moins reporté, ou bien pour solliciter la contribution des assureurs à des fonds de solidarités.

 

De futures assurances des risques de catastrophes sanitaires ?

 

Il est ainsi probable que voit ultérieurement le jour un nouveau « produit » d’assurance des risques de catastrophes sanitaires, dont l’équilibre aura alors été anticipé grâce à de confortables primes, sans oublier les franchises et les plafonds de garantie générateurs de restes à charge pour les assurés.

 

Certains assureurs se sont placés en tête de cette nouvelle trajectoire, et pour cause : non seulement cela permettrait d’illustrer en creux que les contrats d’assurance actuels ne seraient pas mobilisables pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19, mais il s’agira de limiter l’aléa de futures garanties en proportion des primes mise en réserves de sorte que le surplus revienne nécessairement à la solidarité nationale.

 

Après le tsunami sanitaire, le ressac de patients non Covid-19 

 

Le service public hospitalier et les professionnels hospitaliers ont fait l’extraordinaire démonstration de la capacité de l’hôpital public à répondre à la crise sanitaire sans précédent du Covid-19.

 

Malgré la brutalité de la propagation de l’épidémie et l’extrême gravité de ses conséquences cliniques, l’hôpital a su se réorganiser, dans des conditions d’urgence absolue, pour faire face à un afflux sans précédents de patients hospitalisés. D’aucuns le disaient définitivement ankylosé par ses lourdeurs administratives et statuaires ? L’hôpital a bien au contraire démontré son extraordinaire aptitude à s’adapter, décuplant ses capacités d’accueil et de prises en charge de patients devant être admis en réanimation pour faire face au tsunami sanitaire.

 

A l’heure de la décrue et du risque toujours présent d’une « second vague » pandémique, le ressac se profile déjà, celui des patients dont le suivi a été brutalement interrompu par la crise sanitaire et les mesures de confinement.

 

L’absolue nécessité de faire revenir les patients non Covid-19 à l’hôpital, comme à la consultation ou à la prise en charge des professionnels libéraux et des établissements d’intérêt collectif ou de droit privé, fait consensus.

 

Dans son édition du 3-4 mai 2020, le journal Le Monde expose que « [s]elon les acteurs de santé, les dégâts collatéraux chez des patients souffrant de cancers ou de maladies cardiovasculaires pourraient faire davantage de morts en France que le Covid-19 ».  Par peur, par crainte de déranger, ou par l’effet d’une sidération collective, nombre de patients seraient vraisemblablement décédés en ayant évité de consulter depuis le début de la crise sanitaire. D’autres se sont exposés et s’exposent encore à des complications graves voire irréversibles.

 

L’effondrement des prises en charge non Covid-19 dans les services d’urgences s’expliquerait pour une large part par une soudaine réduction des accidents de la vie du fait des mesures de confinement. Il serait d’ailleurs d’intérêt d’examiner l’intérêt d’une contribution des assureurs qui consisterait à rembourser aux hôpitaux une partie des primes versées compte-tenu de la forte diminution des activités non Covid-19 depuis la mise en œuvre du confinement. A la manière ce qui a pu être proposé par cet opérateur mutualiste précité en faveur des ses assurés automobilistes.

 

Pour autant, cet effondrement des passages aux urgences (décrit parfois dans des proportions atteignant les 80%) doit également faire craindre une hécatombe de santé publique en raison notamment du recul brutal de certaines prises en charge, par exemple les accidents vasculaires cérébraux ou les infarctus du myocarde. La liste des victimes collatérales du Covid-19 serait également tristement abondée par l’échappement aux soins de nombreux patients atteints de maladies chroniques (pathologies vasculaires, cancers agressifs, transplantations rénales, endocrinologie).

 

La reprise des urgences et des soins non Covid-19 : une priorité absolue de santé publique

 

Pour résorber au plus vite ces diagnostics retardés, ces chirurgies à reprogrammer ou à programmer, les équipes hospitalières sont d’ores et déjà engagées dans l’organisation de la reprise des activités conventionnelles non Covid-19. Les hôpitaux publics incitent fortement les patients à ne surtout pas renoncer aux urgences médicales ou aux soins conventionnels, faisant valoir que les filières non Covid-19 sécurisées ont bien évidemment été déployées.

 

Il est pourtant édifiant de devoir observer que, malgré leur engagement absolu pour éviter autant que faire se peut une prochaine hécatombe chez les patients non Covid-19, nombre d’équipes hospitalières sont confrontées aux réticences de leurs assureurs.

 

Quand les assureurs n’assurent pas, au sens propre comme au sens figuré

 

A l’heure où il s’agit de reprendre d’indispensables activités conventionnelles, beaucoup d’équipes hospitalières sont en tension lorsqu’il s’agit pour elles d’être bien certaines de leur couverture assurantielle si le patient qu’elles feraient (re)venir l’hôpital viendrait à être contaminé par le Covid-19.

 

Plus encore, à l’exception notable de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris (AP-HP), parfaitement préservée puisqu’elle demeure son propre assureur pour ses 39 hôpitaux en vertu d’une dérogation légale maintenue par la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, les hôpitaux sont manifestement déstabilisés par des positions ambiguës voire volontairement anxiogènes de certains opérateurs assurantiels.

 

Par la logique assurantielle implacable décrite au début de ces lignes consistant à exclure catégoriquement la moindre couverture d’un risque sociétal, il n’est plus rare de constater ou d’entendre les assureurs hospitaliers multiplier plus ou moins discrètement de véritables disclaimers à l’égard des établissements publics de santé pour alerter ces derniers qu’ils ne seraient pas assurés en cas de contamination du patient par le Covid-19 et de séquelles associées. Il s’en serait même trouvé certains pour alerter des médecins hospitaliers sur le risque pénal encouru à titre personnel en faisant revenir des patients !

 

Si l’invocation de ce risque pénal personnel confine à l’inacceptable quand on sait le dévouement des équipes médicales et soignantes dans les circonstances exceptionnelles de cette pandémie, la situation d’un patient qui, malgré les mesures de précaution drastiques déployées, serait contaminé par le covid-19 à l’occasion de sa prise en charge hospitalière devrait à notre sens nécessairement s’inscrire dans le cadre des dispositions protectrices du code de la santé publique.

 

Les articles L.1142-1 et L.1142-1-1 du code organisent en effet un partage du risque indemnitaire entre d’un côté, l’Office national des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) pour les cas les plus graves (décès, incapacité permanente de plus de 25% ou conséquences graves) et de l’autre côté, les assureurs hospitaliers pour les autres cas, avec cette importante précision que s’il est rapporté la preuve d’une « cause étrangère » de l’infection nosocomiale, l’engagement de la responsabilité hospitalière et donc de la garantie de l’assureur est alors exclue.

 

A cet égard, pour se prémunir d’une preuve qu’une infection n’aurait pas été contractée au cours d’une hospitalisation, ne pourrait-il pas être imaginé de déployer des tests virologiques par polymérisation en chaîne (plus communément désigné par son acronyme britannique PCR pour Polymerase Chain Reaction) à l’admission puis à la sortie du patient, voire, s’il devait s’agir d’un séjour n’excédant pas la durée moyenne d’incubation du Covid-19 de cinq jours, par des tests sérologiques sur prélèvements sanguins conservés en sérothèque, sans exclusive naturellement de toute indication à pratiquer un examen d’imagerie par tomodensitométrie (TDM) ?

 

Entendons-nous bien, il n’est bien évidemment pas question pour les équipes hospitalières de se lancer à corps perdu dans une reprise tous azimuts des activités hospitalières non Covid-19 ; les prises en charge ni vitales ni primordiales sans perte de chance doivent pouvoir être différées, jusqu’au sortir de l’état d’urgence sanitaire. Le fondement absolu de la déontologie médicale – primum non nocere– est plus que jamais d’actualité.

 

Accompagner les équipes hospitalières et les garantir d’une couverture assurantielle effective 

 

Mais l’urgence sanitaire non Covid-19 est déjà là et il serait inconcevable que les assureurs ne prennent pas toute leur part à l’effort de solidarité nationale en accompagnant les équipes hospitalières pour juguler les risques juridiques en les garantissant d’une couverture assurantielle bien effective, au côté de l’ONIAM.

 

Qui pourrait imaginer que l’excessive pusillanimité des opérateurs assurantiels puisse dissuader les médecins hospitaliers d’apporter au patient « des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science » requis par l’article R.4127-32 du code de la santé publique à titre de premier devoir envers les patients !

 

L’article L.1142-2 du code de la santé publique prévoit qu’une « dérogation à l’obligation d’assurance (…) peut être accordée par arrêté du ministre chargé de la santé aux établissements publics de santé disposant des ressources financières leur permettant d’indemniser les dommages dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d’un contrat d’assurance ».

 

En cas de blocage persistant des assureurs, faudra-il envisager de recourir plus largement à cette possibilité de dérogation en permettant aux hôpitaux publics, à l’échelle de leurs mutualisations régionales ou nationale, de recourir à l’auto-assurance en régie, à l’instar du grand CHU francilien ?

 

Face à cette nouvelle urgence de santé publique, une clarification des assureurs sur la reprise des activités hospitalières non Covid-19 est devenue indispensable. Sauf à devoir conclure que, décidément, l’intérêt de l’hôpital ne sera jamais vraiment celui de son assureur et que la protection du service public exige un régime spécifique.

 

 

Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.

Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …). 

Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).

Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.

Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.

Depuis sa prestation de serment (février 2000), Pierre-Yves FOURÉ conseille et défend directeurs d’établissements, cadres et professionnels du monde de la santé (établissements de santé, médecins, établissements médico-sociaux, organismes d’assurance maladie et complémentaires), de l’université, ainsi que tous dirigeants et institutions nationales, déconcentrées ou locales.

Avocat de la défense dans les affaires complexes à forts enjeux de responsabilités (sang contaminé, amiante, surriradiés, accidents graves, harcèlement et conflits professionnels, infractions aux biens), Pierre-Yves FOURÉ est également le conseil de proximité au quotidien comme celui des situations de crises médiatisées.

Pierre-Yves FOURÉ intervient devant les juridictions pénales (juge d’instruction, tribunal correctionnel), disciplinaires (conseil de l’ordre), financières (cour de discipline budgétaire et financière), administratives ou civiles.

Au-delà de sa maitrise des matières juridiques qu’il pratique depuis plus de 20 ans, Pierre-Yves FOURÉ est reconnu pour son engagement dans la défense et la forte dimension humaine de la relation client.