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Contrôles de l'assurance maladie et droits de la défense
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Contrôles de l’Assurance maladie et droits de la défense

Article rédigé le 14 mai 2024 par Me Laurent Houdart


À l’heure ou le déconventionnement est envisagé par de nombreux praticiens libéraux qui entendent se libérer des contraintes tarifaires, un autre déconventionnement, cette fois-ci contraint, est également et malheureusement en plein essor ; celui qui résulte de contrôle de l’activité des professionnels de santé par l’assurance maladie et des sanctions qui en résultent.
Ces contrôles sont mal connus et guère appréhendés par les professionnels. Pourtant, il y aurait tout intérêt pour ceux qui en font l’objet d’y apporter une attention particulière et d’assurer leur défense. Mais connaissons-nous la nature de ces contrôles, leurs conséquences, les procédures et les sanctions possibles ?

 

Des sanctions en augmentation

La lutte contre les fraudes (assurés, professionnels et établissements) est incontestablement devenue une priorité de l’assurance maladie. Il suffit de parcourir le rapport diffusé le 28 mars 2023 pour s’en convaincre ; 466M€ de fraudes « constatées », un objectif à 500 M€ pour 2024, 10 500 contentieux engagés en 2023, près de 4 000 procédures pénales (+34% depuis 2022) et 3 400 pénalités financières (+28% depuis 2022).

La part relevant des fraudes commises par les professionnels de santé (Médecins, chirurgiens-dentistes, masseurs-kinésithérapeutes, etc.) est impressionnante : « plus de 70% du préjudice financier émanaient de fraudes commises par les professionnels de santé, moins nombreuses (près de 26%) mais plus coûteuses » 

Chaque CPAM est concernée. Ainsi, dans un communiqué de presse publié le 5 avril 2023 intitulé « lutte contre les fraudes à l’Assurance Maladie : renforcement des contrôles en Côtes d’or », la CPAM de la Côte d’Or a tenu les propos suivants :

« Même si la fraude reste le fait d’une minorité d’acteurs, elle doit être condamnée et traquée. C’est l’engagement de l’Assurance Maladie (Cpam) au regard du poids des dépenses de santé financées par la solidarité nationale (2 milliards d’euros par an en Côte-d’Or) et du déficit de la branche maladie (21 milliards d’euros en 2022).

[…]

En 2023, les actions de contrôles seront amplifiées auprès des assurés et des professionnels. De nouveaux leviers seront utilisés comme par exemple la possibilité de mener des cyber-enquêtes ou de déconventionner temporairement ou en urgence un professionnel fraudeur. »

Bien sûr, cette lutte contre la fraude est nécessaire et aurait probablement dû être engagée plus tôt mais encore faudrait-il que les contrôles soient menés dans des conditions qui permettent aux professionnels de faire valoir leurs droits et en premier lieu, de bénéficier d’une procédure contradictoire, loyale et respectueuse des droits de la défense.

Plusieurs dossiers récents nous permettent de douter que cela soit le cas à chaque fois.

Or le professionnel se trouve confronté à des enquêtes poussées, aux investigations menées auprès de leur patientèle, et même en cas d’ouverture d’une procédure pénale, à la garde à vue et la saisie conservatoire de leurs biens sans souvent y être préparé, et surtout sans possibilité de préparer leur défense contre des accusations parfois extrêmement graves de fraude.

Hormis les cas qui relèvent d’une parfaite escroquerie, nombre de professionnels qui font l’objet d’un contrôle ne prennent conscience du caractère irrégulier de leurs pratiques qu’au moment où ils sont informés du constat de différents griefs, c’est-à-dire à l’issue du contrôle.

Mais du contrôle, nous constatons que bien trop souvent, le professionnel n’en a qu’une idée fausse et au mieux incomplète.

Revenons sur la nature du contrôle et leurs conséquences.

 

Un contrôle pour de multiples procédures

Peut-être est-ce là une singularité qui échappe à de nombreux professionnels : Le contrôle de l’activité peut déboucher sur une ou plusieurs procédures dont les conséquences peuvent être financières (remboursement d’actes, pénalités financières) conventionnelles (de la suspension temporaire du droit à dépassement au déconventionnement définitif) professionnelles (sanctions ordinales de l’avertissement à l’interdiction d’exercice) et enfin pénales (amendes à peines de prison).

Ces différentes procédures peuvent également se cumuler dans les cas les plus graves et tout dépendra de la qualification retenue entre :

  • Les fautes : Le terme de faute nous apparaît impropre et ne reflète pas la réalité de ce qui est visé, à savoir un fait ou acte irrégulier, non intentionnel. L’exemple typique est celui de l’erreur de cotation, l’absence de certaines mentions sur les prescriptions, de ne pas avoir suivi les bonnes pratiques quelle qu’en soit la justification, etc. Les fautes peuvent alors donner lieu à un « recouvrement de l’indu », voire à des pénalités financières mais guère plus.
  • Les abus : la notion d’abus est à manier avec précaution, sa définition juridique est l’usage excessif d’un droit ayant eu pour conséquence l’atteinte aux droits d’autrui, c’est-à-dire de l’assurance maladie. Notion subjective, elle recouvre l’exagération, l’excessif. Ainsi en est-il de radios non justifiées, de consultations considérées comme non nécessaires aux soins du patients, d’un trop grand nombre de prescriptions mais aussi d’honoraires abusifs en particulier dans le cadre du droit au dépassement. Frontière subjective et entre la faute et la fraude, elle peut glisser plutôt vers l’un ou plutôt vers l’autre suivant l’appréciation des contrôleurs. En sus d’un recouvrement de l’indu, l’Assurance maladie peut engager également une procédure ordinale voire pénale.
  • La fraude : Nous quittons les rivages des simples irrégularités pour aborder celui de l’acte intentionnel. Parmi les principales, citons les facturations d’actes fictifs ou qui ne correspondent pas à l’acte réalisé, les certificats de complaisance, les actes intentionnellement anti-datés. Cette fois ci, aux procédures d’indemnisation de l’assurance maladie peuvent s’ajouter des poursuites devant les juridictions professionnelles et pénales ! examinons la définition que nous en donne l’annexe 1 de la charte du contrôle d’activité des professionnels de santé par l’assurance maladie : « Sont qualifiés de fraude les faits illicites au regard des textes juridiques, commis intentionnellement par une ou plusieurs personnes physiques ou morales (assuré, employeur, professionnel de santé, fournisseur, transporteur, établissement, autre prestataire de services, employé de l’organisme) dans le but d’obtenir ou de faire obtenir un avantage ou le bénéfice d’une prestation injustifiée ou indue au préjudice d’un organisme d’assurance maladie». L’aspect intentionnel est primordial. Nous y reviendrons ultérieurement.

 

 

Le tableau ci-après récapitule schématiquement le lien entre la nature des faits reprochés et les procédures éventuellement engagées.

Nous avons vu que les poursuites pénales sont loin d’être une exception, près de 4000 en 2023 et que les procédures de déconventionnement ont doublé en un an de 45 à 100.

Nous comprenons alors l’importance que revêt à la qualification des faits reprochés au professionnel. Il est souvent trop tard de contester leur nature une fois convoqué devant le tribunal ou la section des assurances sociales du conseil de l’ordre

 

 

De la stratégie de défense

1-L’identification du contrôle

Il importe, dès connaissance de l’avis adressé par le Service médical au début du contrôle d’activité avec – le plus souvent – transmission d’une liste de patients pouvant faire l’objet d’un examen, de constituer son dossier en reprenant les actes, en recherchant les pièces, bref de prendre le contrôle au sérieux et sans attendre la notification du contrôle.

Singularité des contrôles de l’assurance maladie ; son dualisme qui est de nature à générer une confusion certaine dans l’application des règles.

En effet, il ne faut pas confondre contrôle médical et contrôle administratif

Le contrôle médical, encadré par la réglementation (articles L. 315-1 et R. 315-1 et suivants) « porte sur tous les éléments d’ordre médical qui commandent l’attribution et le service de l’ensemble des prestations de l’assurance maladie […]. » et est donc réalisé par des médecins-conseils.

Il n’en est pas de même du contrôle administratif, dont les principes sont inscrits dans la Charte du contrôle de l’activité :

« La Caisse a compétence, dans le respect du secret professionnel, pour vérifier :

– que la facturation ou la demande de remboursement est conforme à l’activité du professionnel de santé,

– que la facturation ou la demande de remboursement est conforme aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur,

– que l’ensemble des conditions administratives auxquelles est subordonnée la prise en charge est rempli,

– que les dépenses présentées au remboursement, y compris les dépassements d’honoraires, ne méconnaissent pas la réglementation en vigueur et les engagements conventionnels »

 

Si, dans les deux hypothèses de contrôle, la caisse doit, à l’issue de l’analyse de l’activité, transmettre les résultats du contrôle mené et le professionnel doit pouvoir demander à être entendu, la procédure de contrôle administratif n’étant pas encadrée par des dispositions législatives ou règlementaires et les obligations des agents de la caisse à l’égard des professionnels étant plus légères, les professionnels manquent de garanties procédurales et de visibilité et tombent plus facilement dans les chausse-trappes procédurales.

Il est donc essentiel, dès le début du contrôle, d’identifier le régime procédural dans lequel le contrôle se déroule et ainsi de pouvoir exercer les droits dont le professionnel dispose et ce, avant qu’une procédure de sanction ne soit engagée ne laissant que peu de temps et rendant plus difficile une défense argumentée.

 

2-La suspicion de fraude et l’absence de contradictoire

La suspicion de fraude ouvre un « pouvoir d’inquisition » aux agents de la caisse qui peuvent enquêter sans que la personne visée par le contrôle en soit informée et ce, du début à la fin de la procédure.  « L’Assurance Maladie s’engage à informer le professionnel de santé sur les conclusions d’un contrôle, sauf en cas de suspicion de fraude pénalement répréhensibles. »

Dans ce cadre, les agents de la caisse disposent de pouvoir d’enquête extrêmement larges, leur permettant d’obtenir la communication de nombreux documents, sans que puisse leur être opposé le secret médical et de procéder à l’audition de patients.

Lorsqu’il existe une « suspicion de fraude », le dossier est susceptible d’être directement transmis au Procureur, le professionnel n’ayant alors eu aucune connaissance du dossier en amont de son éventuelle audition par les officiers de police judiciaire, généralement dans le cadre d’une garde à vue ou, encore une fois, le professionnel ne pourra utilement discuter et contester les faits qui lui sont reprochés pièces en main !

Mais qu’est ce qu’une « suspicion de fraude » si ce n’est une appréciation subjective, laissée à la seule appréciation de la caisse, non soumise au contradictoire et qui autorise alors la caisse a mener toutes les investigations qu’elle souhaite sans en informer à un seul moment le professionnel. Bien plus, dans certains cas, le professionnel a pu être interrogé comme s’il s’agissait d’un contrôle pour fautes et lui a été caché qu’il faisait en réalité l’objet d’une procédure pour fraude !

Est-ce bien là, la mise en œuvre des grands principes édictés par la charte des contrôles d’activité qui reposent, écrit on, sur :

  • « un encadrement strict par la loi et les règlements de la grande majorité des procédures ;
  • un attachement fort au respect de la présomption d’innocence, du contradictoire, de l’équité de traitement, de règles de cumuls des contentieux. »

 

Les contrôles sont justifiés, les fraudes doivent être sanctionnés mais les professionnels doivent être en situation de pouvoir se défendre, de se justifier et de ne pas supporter une présomption de fraude !

 

Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.

Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …). 

Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).

Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.

Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.