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DISCIPLINE : TOUTE L’ENQUÊTE ADMINISTRATIVE DOIT ÊTRE COMMUNIQUÉE
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DISCIPLINE : TOUTE L’ENQUÊTE ADMINISTRATIVE DOIT ÊTRE COMMUNIQUÉE

Article rédigé le 8 juin 2020 par Me Xavier Laurent

Le juge administratif rappelle constamment qu’une mesure prise en considération de la personne d’un fonctionnaire doit être précédée de la communication du dossier individuel à l’agent. Cela implique notamment la communication de l’enquête administrative lorsqu’elle a été réalisée. Le Conseil d’Etat poursuit son œuvre prétorienne en précisant récemment que l’intéressé a droit à la communication de toutes les auditions réalisées dans ce cadre, sauf à celles susceptibles de « porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné ». Ce qui ne règle évidemment pas toute la question, loin s’en faut…

 

Conseil d’État, 5 février 2020, N° 433130, publié au recueil Lebon

 

 

Cette affaire apporte des précisions bienvenues sur le droit à communication du dossier individuel d’un agent dès lors qu’il fait l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne (mutation d’office, sanction disciplinaire, non-renouvellement de CDD, etc…).

 

Elle permet notamment aux établissements publics de santé de mieux appréhender leurs obligations en cette matière et de s’assurer ainsi que la procédure mise en œuvre à l’encontre de l’agent est exempte de vice.

 

En cela, l’effort de clarification du Conseil d’Etat est louable. Mais il n’est pas sans soulever de nouvelles questions.

 

Les faits à l’origine du litige

 

En l’espèce, un directeur d’établissement public, dont un décret du Président de la République avait mis fin aux fonctions, sollicitait l’annulation de cette décision, notamment au motif qu’il n’avait pas reçu communication de l’intégralité de son dossier individuel.

 

En effet, la mesure faisait suite à la réalisation d’une enquête administrative après des signalements de harcèlement allégués par certains membres du personnel en l’encontre du directeur, enquête au cours de laquelle plusieurs dizaines d’auditions avaient été menées auprès des agents de l’Etablissement.

 

Or, les procès-verbaux d’audition de ces agents n’avaient pas été communiquées à l’intéressé avant qu’il soit mis fin à ses fonctions.

 

Le Conseil d’Etat a considéré que, faute pour le directeur d’avoir reçu communication de l’intégralité des pièces qu’il était en droit d’obtenir préalablement à l’intervention de la décision ayant mis fin à ses fonctions, cette décision était illégale.

 

L’intérêt de cette jurisprudence est de clarifier quelles pièces doivent figurer au dossier de l’agent.

 

Le principe de la communication intégrale du dossier

 

Après avoir rappelé le principe général et constant selon lequel « un agent public faisant l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, qu’elle soit ou non justifiée par l’intérêt du service, doit être mis à même d’obtenir communication de son dossier », le Conseil d’Etat précise, aux termes d’un considérant de principe, que :

« Lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public, y compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné »

 

Le Conseil d’Etat considère donc qu’en cas d’enquête réalisée par l’administration, celle-ci à l’obligation de communiquer au fonctionnaire visé l’intégralité du contenu de l’enquête, dès lors qu’une décision est entreprise par la suite à son encontre sur le fondement de cette enquête.

 

L’exception tenant au préjudice grave que pourrait subir le témoin

 

La seule limite posée par le Conseil d’Etat à cette communication intégrale est en même temps le talon d’Achille du principe consacré : les procès-verbaux d’audition qui « serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné » n’ont pas à être communiqués.

 

Si cette précision est importante, elle n’en demeure pas moins particulièrement floue : comment déterminer avec un degré de certitude suffisant si un témoignage risque de porter gravement préjudice au témoin ?

 

En outre, comment discuter de cette notion de préjudice grave devant le juge administratif autrement qu’en communiquant l’ensemble des procès-verbaux non communiqués afin de déterminer s’ils devaient être communiqués ? Le serpent semble ici se mordre la queue puisque la communication de ces pièces dans la procédure contentieuse risquerait alors de porter gravement préjudice à la personne qui a témoigné…

 

Un principe inspiré du droit du travail

 

En retenant le principe de communication intégrale du dossier à l’exception des témoignages pouvant porter gravement préjudice aux témoins, le Conseil d’Etat s’est inspiré de sa propre jurisprudence relative aux autorisations de licenciement des salariés protégés (représentants du personnel).

 

Un tel licenciement doit être autorisé par l’inspection du travail et c’est à l’occasion de la contestation de cette autorisation que le juge administratif peut être amené à se prononcer sur la légalité du licenciement d’un salarié de droit privé.

 

Dans le cadre de la procédure d’autorisation, l’inspection du travail « procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d’un représentant de son syndicat » (art. R. 2421-11 du code du travail).

 

Dans une décision de principe, le Conseil d’Etat avait jugé dès 2006 que

« le caractère contradictoire de l’enquête […] impose à l’autorité administrative d’informer le salarié concerné, de façon suffisamment circonstanciée, des agissements qui lui sont reprochés et de l’identité des personnes qui s’en estiment victimes ;

Considérant que le caractère contradictoire de cette enquête implique en outre que le salarié protégé puisse être mis à même de prendre connaissance de l’ensemble des pièces produites par l’employeur à l’appui de sa demande, notamment des témoignages et attestations ; que toutefois, lorsque l’accès à ces témoignages et attestations serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs, l’inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur » (Conseil d’État, Section, 24 novembre 2006, N° 284208, publié au recueil Lebon)

 

Le Conseil d’Etat a par la suite complété sa jurisprudence en ajoutant que :

« il revient au juge d’apprécier, au vu des échanges entre les parties et en ordonnant, le cas échéant, toute mesure d’instruction complémentaire, si le caractère contradictoire de la procédure a été respecté » (Conseil d’État, 7 décembre 2016, N° 388141, mentionné dans les tables du recueil Lebon).

 

C’est donc le juge qui s’assure que les témoignages non-communiqués ne devaient véritablement pas l’être.

 

Il serait bienvenu que le juge administratif opère le même raisonnement vis-à-vis des agents publics en étant le seul destinataire des témoignages non-communiqués afin qu’il évalue s’ils étaient susceptibles ou non de porter gravement préjudice aux témoins.

 

Une jurisprudence à compléter pour assurer son plein effet

 

On le voit, la clarification est importante : lorsqu’une enquête administrative est réalisée et qu’une mesure est prise dans ce cadre à l’encontre d’un fonctionnaire, celui-ci doit pouvoir avoir connaissance de tous les témoignages, avec une limite tenant aux préjudices que risque de subir le témoin.

 

Pour sécuriser leurs décisions de changement d’affectation ou leur procédure disciplinaire, les établissements publics de santé devront ainsi, par principe, communiquer toute l’enquête administrative.

 

Mais la clarification s’obscurcit lorsqu’on constate d’une part que la limite posée à la communication intégrale de l’enquête administrative n’est pas réellement définie (dans quelle mesure un témoignage peut porter gravement préjudice à une personne ? quel type de préjudice ?) et d’autre part que le seul moyen de vérifier si l’administration pouvait légalement ne pas communiquer des PV d’audition la conduit à… communiquer des PV d’audition !

 

Précisons, dans le cas des salariés protégés, que le juge administratif a considéré que le seul caractère nominatif des PV d’audition ne fait pas par lui-même obstacle à la communication ; en revanche, un risque de représailles apparaît comme constituant le préjudice grave que pourrait subir le témoin (CAA de NANCY, 01/10/2019, 17NC01343).

 

Il semble en tout état de cause y avoir un impensé, ou du moins une incomplétude, dans le principe posé par le juge du droit dont il sera intéressant de voir l’application par les juges du fond, mais que l’extension de la jurisprudence applicable aux salariés protégés serait de nature à combler.

 

Avocat depuis 2014, Xavier LAURENT a initialement exercé au sein d’un Cabinet parisien une activité plaidante et de conseil auprès d’entreprises sociales pour l’habitat tant publiques que privées (OPHLM, SA d’HLM), notamment dans le cadre de contentieux immobiliers (droit locatif, copropriété, construction, urbanisme).

Fort d’une solide formation en droit public et désireux de donner une nouvelle orientation à sa carrière, Xavier LAURENT a par la suite intégré un Cabinet spécialisé en droit de la fonction publique, au sein duquel il a exercé en conseil et contentieux pour de nombreuses collectivités territoriales (contentieux du harcèlement moral et des sanctions disciplinaires, conseil en gestion RH, marchés publics, etc…).

C’est en 2018 qu’il a rejoint le pôle social du Cabinet HOUDART ET ASSOCIE.

Au-delà de ses compétences en droit de la fonction publique, Xavier Laurent a eu l’occasion de traiter des dossiers en droits du travail et de la sécurité sociale, lui donnant une vision transversale et une capacité d’analyse complète sur toutes les questions intéressant la gestion des ressources humaines des acteurs du monde de la santé (salariés relevant du code du travail, agents statutaires et contractuels).