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jurisprudence administrative
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EN ROUTE VERS LE CC : L’ACCÈS AU DOSSIER MÉDICAL PARTAGÉ A SOULEVÉ UNE QPC

 

Article rédigé le 8 juillet 2024 par Marie COURTOIS

 

CE, 10 juin 2024, n°490409

 

Le 10 juin 2024, le Conseil d’état a accepté de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L.1111-17 III du Code de la santé publique, considérant qu’elle présentait un caractère sérieux. Cette décision constitue une première victoire pour le Conseil de l’ordre des médecins.

 

 

Que dit l’article L.1111-17 III du Code de la santé publique ?

 

L’article L.1111-17 a été introduit dans le code de la santé publique par une loi du 7 décembre 2020.

Cette loi, entrée en vigueur le 1e janvier 2022, a intégré le dossier médical partagé (DMP) au sein de l’espace numérique de santé. Il s’agit d’un dossier numérique sécurisé qui permet de conserver en ligne toutes les informations sur la santé d’un patient. Son insertion dans l’espace numérique de santé tend à favoriser la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins.

L’article dont la constitutionnalité est contestée, est celui qui détaille les conditions d’accès à ce dossier médical partagé. Il dispose que :

  • Un professionnel de santé ne peut accéder à ce dossier qu’avec le consentement exprès du patient. Il ne peut être dispensé de son obtention que dans de strictes circonstances :
    • Lorsqu’une personne est hors d’état d’exprimer sa volonté et en présence d’une situation comportant un risque immédiat pour sa santé, dès lors qu’elle ne s’y était pas expressément opposé.
    • Lorsqu’il est médecin régulateur du CRRA, si la personne n’a pas manifesté une opposition expresse à ce que son dossier soit consulté dans une telle situation.
    • Lorsqu’il est médecin de sapeurs-pompiers et que la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, il lui faudra obtenir le consentement du tiers de confiance, sauf si son pronostic vital est engagé.
  • Un professionnel n’ayant pas la qualité de professionnel de santé peut accéder à ce dossier et l’alimenter dès lors qu’il participe à la prise en charge du patient, sous réserve du consentement de ce dernier.

 

Pourquoi cette disposition ne serait-elle pas conforme à la Constitution ?

 

Selon le Conseil de l’ordre, cette disposition porterait atteinte aux droits et libertés garanties par la Constitution.

Elle constituerait notamment, « une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, en prévoyant, sans l’assortir de garanties suffisantes, un droit d’accès à des données couvertes par le secret médical, à des personnes qui n’ont pas la qualité de professionnels de santé. »

 

Un droit d’accès à des données couvertes par le secret médical

 

Le dossier médical partagé contient l’ensemble des éléments diagnostiques et thérapeutiques renseignés par les professionnels de santé à l’occasion d’actes ou de consultations en vue d’assurer une meilleure coordination des soins de la personne prise en charge. On y retrouve donc de nombreuses informations sur la santé du patient et plus précisément :

  • Des données relatives à son titulaire :
    • Des données relatives à la prévention, à la santé et au suivi médical social et médico-social :
      • L’état des vaccinations.
      • Les synthèses médicales et paramédicales
      • Les comptes-rendus de biologie médicale, d’examens d’imagerie médicale, d’actes de diagnostiques et thérapeutiques, d’hospitalisation.
      • Les traitements prescrits.
    • Un historique de soins des 24 derniers mois fourni par l’Assurance maladie.
    • Les données relatives au don d’organes ou de tissus.
    • Les éventuelles directives anticipées.
    • Les données transmises par le titulaire lui-même.
  • L’identité et les coordonnées de ses représentants légaux si le titulaire du dossier est un mineur ou celles de la personne chargée de la protection d’un majeur le cas échéant.
  • L’identité et les coordonnées de la personne de confiance et des proches à prévenir en cas d’urgence.
  • L’identité et les coordonnées du médecin traitant.

 

L’ensemble de ses informations sont couvertes par le secret médical (Article L.1110-4).

 

Il est ainsi contesté que des données médicales, dont le caractère confidentiel est impératif, puissent être accessibles de plein droit à des non professionnels de santé, tels que les assistants sociaux ou les professionnels du social et médico-social exerçant des fonctions d’accompagnement aux soins.

 

Un droit d’accès non assorti de garanties suffisantes

 

Aujourd’hui, il semble raisonnable que les non professionnels de santé mentionnés à l’article R.1110-2 du CSP puissent avoir accès au dossier médical partagé, tout comme les professionnels de santé, et ce, dans le cadre de la prise en charge du patient. De fait, certains de ces professionnels (comme les psychologues, ostéopathes ou éducateurs) sont déjà autorisés à accéder aux informations médicales contenues dans les dossiers patients informatisés (DPI) des établissements de santé.

 

En réalité, le Conseil de l’ordre des médecins ne conteste pas tant l’accès donné au dossier médical partagé à des non professionnels de santé que l’absence de garanties suffisantes qui l’accompagne.

  • Actuellement, si les non professionnels de santé peuvent accéder au DPI, cet accès est strictement limité : ils ne peuvent obtenir que les informations nécessaires à la coordination, à la continuité des soins ou au suivi médico-social et social du patient, dans le cadre de leur mission spécifique.
  • En comparaison, en l’état du droit positif, les non professionnels de santé peuvent accéder à l’intégralité du DMP. Le seul obstacle à cet accès global est la possibilité pour le patient lui-même de limiter l’accès à certaines données, et ce alors que l’usage du DMP n’est pas encore ancré dans les habitudes des citoyens français.

 

 

En tout état de cause, le Conseil d’état, saisi par le Conseil de l’ordre a considéré, à l’issue de son examen, que la question de la conformité de l’article L.1111-17 du code de la santé publique, à la Constitution revêtait un caractère suffisamment sérieux et a décidé de la transmettre au Conseil constitutionnel.

Des personnes n’ayant pas la qualité de professionnels de santé peuvent-elles avoir accès au dossier médical partagé, contenant des données couvertes par le secret médical ?

La réponse sera donnée par le Conseil constitutionnel.

Affaire à suivre…

 

 

 

Etudiante en première année de master, Marie Courtois a rejoint le Cabinet HOUDART & Associés, en qualité de juriste, en septembre 2023.

En charge de la veille juridique et jurisprudentielle, elle met ses compétences rédactionnelles au service du cabinet. Attentive à l’actualité législative, règlementaire et jurisprudentielle liée au domaine médico-social, elle décrypte pour vous les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et les textes récents.