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Déqualification d'un GIE en société créée de fait
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Est-il possible de requalifier un GIE en société créée de fait ?

 

Article rédigé le 21 juin 2021 par Charlotte Crépelle et Me Laurent Houdart

Aujourd’hui de plus en plus de groupement d’intérêt économique (GIE) souhaitent développer une activité à part entière. Dans le secteur de la santé, il peut s’agir des groupements relatifs aux scanners, IRM, gamma caméra ou encore aux TEP (tomographe à émissions) titulaires d’une autorisation de soins et d’équipement de matériels lourds (EML). Cependant pourrait-on envisager une requalification d’un GIE en société créée de fait (SCF) dans l’hypothèse d’un changement de régime d’autorisation d’EML vers une autorisation d’activité ? Quelles seraient les conséquences et les points de vigilances de cette requalification dans la mesure où le régime du GIE est opposé à celui de la SCF ?

 

 

L’objet même des GIE est centré sur la mutualisation des moyens tout en préservant l’indépendance de ses membres car il ne réalise pas de bénéfices pour lui-même. Tel un outil, le GIE met à disposition du matériel pour les médecins des établissements publics de santé ou exerçant en libéral. Dans ces circonstances, ces médecins sont exploitants de l’autorisation d’EML et vont ainsi percevoir les bénéfices de cette exploitation.
Néanmoins, face à la constante évolution du régime des autorisations d’EML quelles seraient les conséquences d’un changement de régime d’autorisation « d’EML » vers une autorisation cette fois-ci « d’activité » ? Il semble qu’envisager cette théorie reste complexe dans la mesure où le GIE percevrait directement des bénéfices et favoriserait ainsi des activités distinctes de son objet social. Se pose la question de la requalification du GIE en SCF où les membres peuvent convenir librement de leur objet et fonctionnement tout en percevant les bénéfices directement

 

Sur la requalification d’un GIE en SCF : des régimes opposés

Dans l’hypothèse d’un changement d’autorisation d’EML vers une autorisation d’activité regroupant la radiologie ainsi que l’imagerie médicale, les exploitants de l’autorisation seront alors contraints de percevoir directement les bénéfices de leur activité. Cette double casquette empêche le GIE d’être porteur d’une autorisation d’activité, ce dernier n’étant plus adapté à ce type d’autorisation.

En effet, la définition du GIE est formelle car « (…) son activité doit se rattacher à l’activité économique de ses membres et ne peut avoir qu’un caractère auxiliaire par rapport à celle-ci (…) »(Article L251-1 du code de commerce), or ici ce n’est plus le cas car le GIE ne peut pas réaliser des bénéfices pour ses activités.

Cependant, le GIE pourra être requalifié en SCF puisque la finalité de ce type de société a justement pour objet la réalisation « directe » de bénéfices, et ne vise pas à favoriser des activités distinctes de son objet social. Dès lors, la requalification du GIE en SCF entraînera l’annulation ou du moins la disparition du groupement initial.

Pour caractériser la société créée de fait, trois éléments doivent être établis de façon distincte par les associés de fait :

En premier lieu, il convient d’établir l’existence d’apports, pouvant être en nature, en numéraire ou en industrie. Sur ce point, par application de l’article 1872 du code civil, les biens apportés à la société restent par principe la propriété de l’apporteur.

En deuxième lieu, il convient également de démontrer l’intention commune des associés de participer aux résultats de l’entreprise commune. Dans cette hypothèse, il faut que les associés de la SCF aient eu l’intention de partager le bénéfice éventuel de la société, et aient accepté de subir le risque de ne pas reprendre tout ou partie de leurs apports, c’est-à-dire de contribuer aux pertes (Com. 21 avril 1992, n°90-20.451). En d’autres termes, il convient ici, de démontrer que les associés de fait avaient eu l’intention de mettre en commun les résultats, bons ou mouvais. (Com. 11 juillet 1977, n°76-10.040).

En troisième lieu, l’affectio societatis, c’est-à-dire la volonté commune de collaborer avec les autres associés sur un pied d’égalité doit être prouvée.

En outre, la Cour de cassation a pu juger que la SCF n’est pas caractérisée dès lors que la clientèle n’est pas confondue :

«  (…) qu’en décidant que les deux médecins n’avaient pas eu l’intention ni la volonté de s’associer, pour dénier l’existence d’une société créée de fait entre eux, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat précité (…) Mais attendu qu’ayant analysé les conventions passées entre les deux médecins et retenu qu’il n’en résultait pas qu’ils confondaient leur clientèle, ce que la nature de leurs spécialités de psychiatre et neuropsychiatre tendait à exclure et qu’il était au contraire, expressément stipulé, dans le contrat d’exercice en commun, qu’ils devaient se présenter à leur clientèle sous leur nom personnel et percevoir directement leurs honoraires, la cour d’appel en a exactement déduit, sans dénaturer la convention, que l’on ne se trouvait pas en présence d’une clientèle commune, qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision. » (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 10 février 1998, 95-22.325).

NOTA BENE : La Cour de cassation semble donner plus d’importance à l’affectio societatis et à l’intention de participation aux résultats qu’aux autres éléments (Civ. 1ère 15 octobre 1996 n°94-20.472).

Dès lors que ces trois éléments sont caractérisés, un GIE pourra être requalifié en SCF. En effet à titre d’illustration de requalification il a pu être jugé que :

« (…) si l’existence effective d’une société de fait suppose la réunion des trois éléments constitutifs de toute société, la qualification d’une société de fait masquée par le GIE résulte d’une appréciation globale, indépendamment de l’existence apparente de chacun de ces éléments ; que Robert Salignac ET Michel Ducret qui se sont comportés comme des associés de fait doivent répondre solidairement et indéfiniment des engagements souscrits envers les tiers trompés par l’apparence. » (CA de Paris, 3ème chambre, 6 octobre 1987)

Enfin, il convient de préciser que les tiers n’ont pas à prouver ces trois éléments, seulement l’apparence d’une SCF est nécessaire (Civ.1ère 26 janvier 1983 n°83-10.257).

Pour de plus amples détails, vous pouvez consulter notre article Professionnels libéraux : gare à la qualification de société créée de fait !

 

Les conséquences d’une requalification du GIE en SCF : les points de vigilances

En l’occurrence, même si la SCF tend à ce que les associés de fait déterminent eux-mêmes librement son organisation et son fonctionnement, ce qui représente un avantage considérable dans l’hypothèse d’une requalification, certains éléments sont à prendre en compte.

Tout d’abord, à la différence d’un GIE une SCF est dépourvue de la personnalité morale. Ainsi, la conséquence est telle, qu’elle ne peut conclure un acte juridique. De même, l’ouverture d’une procédure collectivité du chef de la SCF est également exclue.

Ensuite, autre point essentiel à prendre en compte, il s’agit du fait que si un créancier arrive à démontrer l’existence d’une société créée de fait, le créancier pourra exiger de n’importe quel associé le paiement de ses créances qu’il a envers le débiteur, associé de la SCF.

Par ailleurs, dans une SCF puisque les associés de fait ne se représentent pas mutuellement, un associé pourra former une tierce opposition contre la décision rendue à l’égard de l’autre (Com, 11 février 2004 n°01-01.642). De même qu’un associé peut également être exclu du groupement.

Enfin, à la différence des actes établis par le GIE où la responsabilité incombait au cabinet libéral ou à l’établissement public de santé, dans l’hypothèse de la qualification d’une SCF les membres (associés de fait) deviennent à l’égard des tiers directement responsables des conséquences qui découlent des obligations nées des actes accomplis par la SCF.

 

Par conséquent, même si la requalification d’un GIE en SCF reste possible en pratique comme le démontre la jurisprudence, des éléments doivent être pris en compte afin de pouvoir anticiper la mise en place de ce nouveau régime d’autorisation « d’activité ».

 

Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.

Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …). 

Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).

Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.

Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.