Facturation des actes innovants RIHN pour les patients externes
Article rédigé le 25 octobre 2024 par Me Nicolas Porte
Pilier de la politique publique de soutien à l’innovation en santé, le financement des actes innovants hors nomenclature par le biais d’une dotation de mission d’intérêt général a suscité un contentieux fourni de la part de certains établissements de santé pour qui dotation publique est synonyme de gratuité et de non-responsabilité. Il faut dire que le Conseil d’État, avec sa jurisprudence sur les transports SMUR, leur avait envoyé un (mauvais) signal en ce sens. En matière d’actes innovants, les juridictions du fond se sont montrées plus clairvoyantes sur la compréhension des mécanismes financiers et admettent que les établissements de santé privés doivent y prendre leur part.
Depuis plusieurs années, la facturation des actes de biologie et d’anatomocytopathologie innovants hors nomenclature fait l’objet de recours contentieux entre des établissements de santé privés prescripteurs de ces actes et des hôpitaux publics effecteurs. En cause l’application de deux circulaires des 31 juillet 2015 et 16 avril 2018 fixant de nouvelles règles dérogatoires, que certains établissements privés tentent de faire interpréter à leur profit dans le sens d’une gratuité totale des actes au motif qu’ils sont pris en charge par une dotation nationale de financement des missions d’intérêt général (MIGAC).
Dans une décision du 12 juillet 2024, la Cour administrative d’appel de Nantes contribue à clarifier l’état du droit en la matière en jugeant que les actes, même prescrits par des médecins libéraux dans le cadre de consultations externes, peuvent être facturés aux établissements privés, à charge pour eux de solliciter l’attribution d’une dotation de financement.
Le contexte
Les faits sont les suivants. Un établissement de santé privé commercial, le Pôle de Santé Léonard de Vinci (la clinique) avait prescrit, à trois de ses patients, la réalisation d’examens de génétique relevant de la catégorie des actes de biologie moléculaire dits « hors nomenclature », c’est-à-dire non remboursés par la sécurité sociale.
Ces examens furent réalisés par le laboratoire de biologie médicale du CHU de Rennes qui adressa la facture à la clinique et émis à son encontre en juillet 2020 un titre exécutoire pour le recouvrement de sa créance.
La clinique contesta ce titre exécutoire en faisant opposition devant le tribunal administratif de Rennes.
Pour fonder son recours, la clinique soutenait en substance que les actes de biologie réalisés par le CHU de Rennes ne pouvaient lui être facturés au motif d’une part, que les patients concernés n’étaient pas ses patients, mais ceux des médecins libéraux qui les avaient pris en charge dans le cadre de consultations externes que et d’autre part, la réalisation des actes n’avait pas fait l’objet d’un accord préalable de sa part.
Le tribunal administratif de Rennes rejeta cette argumentation, en estimant que la prescription d’examens de biologie par des praticiens libéraux exerçant au sein de la clinique dans le cadre de consultations externes, ne fait pas obstacle ce que la clinique soit qualifiée d’établissement de santé prescripteur au sens l’instruction ministérielle du 16 avril 2018 relative aux actes de biologie médicale d’anatomopathologie hors nomenclature et qu’elle soit éligible au financement par le dotation de mission d’intérêt général G03.
Concernant le moyen fondé sur l’absence de recueil préalable de l’accord de la clinique, le tribunal administratif jugea que :
« si les dispositions de l’article R 162-17 du code de la sécurité sociale imposent à l’établissement dit « effecteur » qu’il informe l’établissement dit « prescripteur » du tarif des actes, elles n’exigent pas en revanche ni que cette information soit délivrée préalablement à la réalisation desdits actes , ni a fortiori que l’accord préalable de l’établissement « prescripteur » soit recueilli y compris pour les actes hors nomenclature » (TA Rennes 21 juillet 2023, n°2003726).
Saisi de l’appel interjeté par la clinique à l’encontre de ce jugement, la cour administrative d’appel de Nantes, par une décision du 12 juillet 2024, rejeta le recours et confirma le raisonnement des juges de première instance (CAA Nantes 12 juillet 2024, n°23NT02608).
Le dispositif de financement des actes innovants hors nomenclature
Afin de soutenir l’innovation en santé, le Ministère de la santé (Direction générale de l’offre de soins) a mis en place en 2015 un dispositif pérenne de soutien à la biologie médicale et à l’anatomopathologie innovantes au travers du Référentiel des actes Innovants Hors Nomenclature (RIHN). Il s’agit d’une liste d’actes innovants ne bénéficiant pas encore du droit au remboursement par les régimes obligatoires d’assurance maladie, mais que les pouvoirs publics ont décidé de prendre en charge financièrement de façon précoce en conditionnant cette prise en charge à la réalisation d’un recueil prospectif et comparatif de données destiné à permettre la validation de leur efficacité clinique et de leur utilité médico-économique, l’objectif étant de permettre leur intégration in fine dans la liste des prestations remboursables par l’Assurance Maladie [Instruction N° DGOS/PF4/2015/258 du 31 juillet 2015].
Cette prise en charge financière précoce s’effectue par le biais d’une dotation de financement au titre de la mission d’intérêt général « MERRI G03 », attribuée aux établissements de santé sur le fondement de l’article L 162-22-13 du code de la sécurité sociale.
Aux termes de ce texte, les établissements de santé, qu’ils soient publics, privés à but non lucratif ou privés commerciaux, peuvent bénéficier d’une dotation de financement MIGAC.
Les conditions de prise en charge financière des actes inscrits au RIHN ont été précisées dans une instruction ministérielle du 16 avril 2018 (Instruction n° DGOS/PF4/DSS/1A/2018/101 du 16 avril 2018), qui fixe les principes suivants.
Dans les cas où l’acte est prescrit et réalisé dans le même établissement de santé, il est éligible à un financement par cette dotation.
Dans les cas où l’acte est prescrit et réalisé dans des établissements de santé distincts, il peut également être financé par cette dotation.
Dans chacun des deux cas précédents, l’acte peut être financé si le patient est en consultation externe, en prestation hospitalière sans hospitalisation ou en prestation hospitalière avec hospitalisation.
L’acte hors nomenclature n’est éligible au financement que s’il est prescrit et/ou réalisé pour des patients assurés sociaux.
Le financement de la dotation « MERRI G03 » est attribué aux établissements de santé sur la base de déclaration par ces derniers via le PMSI (FICHSUP), selon des modalités décrites dans la circulaire du 31 juillet 2015.
Celle-ci précise que « l’établissement qui exécute les actes pour ses besoins internes ou à la demande d’un autre établissement public est le seul à pouvoir les comptabiliser dans le recueil ; afin d’éviter une double comptabilisation, l’établissement demandeur ne recensera pas ».
Seule l’activité annuelle de l’établissement de santé déclarée de l’année n-1 est prise en compte pour déterminer le montant de la dotation à verser à l’établissement de santé lors de l’année n.
Ces modalités de prise en charge définies par la circulaire de 2015 ont posé de sérieuses difficultés aux établissements publics de santé réalisant des actes hors nomenclature au bénéfice de patients adressés par des établissements de santé privés.
En effet, ces actes n’étaient pas financés par la dotation MERRI G03 puisqu’ils ne pouvaient être comptabilisés dans le recueil du PMSI, et lorsque les établissements publics de santé les facturaient aux établissements privés prescripteurs, certains d’entre eux contestaient en justice les titres de recettes émis à leur encontre et obtenaient gain de cause devant les tribunaux. Dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’Etat rendue à propos des transports sanitaires SMUR (CE.8 février 2017, n°393311, polyclinique Saint-Jean), certaines juridictions administratives considéraient – à tort – que puisque les actes réalisés sont inscrits au RIHN, ils doivent être financés par la dotation « MERRI G03 » , sans se soucier de savoir si les établissements publics effecteurs pouvaient effectivement percevoir les financements correspondants (v. not. CAA Marseille 3 mars 2023, Hôpital Privé Clairval / AP-HM, n°21MA00071).
La circulaire du 16 avril 2018 est venue corriger cette anomalie dommageable pour les finances hospitalières en prévoyant que :
« Dans le cas où l’acte est prescrit et réalisé dans des établissements de santé distincts, si les actes hors nomenclatures prescrits sont éligibles au financement par la dotation au titre de la mission G03 tel que détaillé au paragraphe 2.b de la présente instruction, l’établissement prescripteur peut demander un financement.
Cette demande de financement est effectuée à l’aide du logiciel dédié de remontée de l’activité. L’établissement qui a réalisé tout ou partie d’une ou plusieurs phases de l’acte pour l’établissement prescripteur – dit établissement effecteur – peut adresser une facture à l’établissement prescripteur pour couvrir les coûts de réalisation de la ou des phase(s) de l’acte effectuées dans son établissement ».
Désormais les établissements publics de santé, principaux effecteurs des actes hors nomenclature, ne sont plus les seuls à devoir en assumer l’avance du coût financier Les établissements de santé privés doivent y prendre leur part en sollicitant au besoin l’attribution d’une dotation « MERRI G03 ».
Une décision conforme aux instructions ministérielles, dont la légalité est contestée
En jugeant que, le CHU de Rennes a pu, sur la base des dispositions précitée de l’instruction du 16 avril 2018, valablement adresser à l’établissement prescripteur, une facture destinée à couvrir les coûts de réalisation des actes qu’il a effectués pour celui-ci », la Cour administrative d’appel de Nantes ne fait qu’appliquer à la lettre les dispositions de l’instruction ministérielle du 16 avril 2018.
Mais cette instruction est-elle conforme aux textes , étant rappelé que si une circulaire peut avoir un portée normative, elle doit néanmoins respecter les normes juridiques qui lui sont supérieures ?
C’est précisément ce que contestait le pôle de Santé Léonard de Vinci, lequel plaidait l’illégalité de l’instruction ministérielle en tant qu’elle créé un lien juridique entre un établissement de santé privé commercial et des patients reçus en consultation par des médecins libéraux disposant de locaux au sein de l’établissement. Selon la clinique requérante, ce lien juridique contrevient aux dispositions des articles L 162-22-6 d) et R 162-33-2 2° du code de la sécurité sociale qui excluent des tarifs forfaitaires (groupes homogènes de séjour) versés aux établissements de santé privés commerciaux les honoraires perçus par les médecins exerçant en leur sein.
La Cour administrative d’appel rejette cette exception d’illégalité en rappelant que les actes de biologie médicale et d’anatomocytopathologie, objets de la circulaire, sont financés par une dotation nationale et non dans le cadre de la tarification à l’activité.
Si l’absence de lien juridique direct entre un établissement de santé privé et un patient reçu dans ses murs en consultation externe par un médecin libéral n’est pas contestable, elle n’a pas en revanche d’incidence sur les modalités de facturation des actes inscrits au RIHN. Rappelons que le financement des actes innovants par la dotation MERRI G03 vise notamment à faciliter l’accès des patients à l’innovation en santé et améliorer leur prise en charge. Les dotations de financement des missions d’intérêt général étant réservées aux établissements de santé, il serait inéquitable que les patients pris en charge en consultation externe dans un établissement de santé privé ne puissent pas, faute de financement, bénéficier des actes innovants. Le mode d’exercice (libéral ou salarié) du médecin prescripteur ne peut avoir d’incidence, sous peine de créer une inégalité dans l’accès aux soins.
Du reste l’instruction ministérielle n’opère pas de distinguo selon le mode d’exercice du médecin prescripteur, dès lors qu’il exerce effectivement dans l’établissement. Tel était le cas en l’espèce puisque les prescriptions médicales étaient rédigées sur des ordonnances à l’en-tête de l’établissement, élément jugé suffisant par les magistrats nantais pour identifier celui-ci comme établissement prescripteur.
En tout état de cause, les praticiens libéraux exerçant en établissement de santé privé sont juridiquement liés à cet établissement par un contrat d’exercice libéral écrit, conformément aux dispositions de l’article R 4127-83 du Code de la santé publique.
Au-delà des prescriptions de la circulaire du 16 avril 2018, le fondement juridique du droit pour l’établissement de santé effecteur de facturer l’acte innovant à l’établissement prescripteur repose à notre sens sur les dispositions des articles L 6145-7 et R 6145-48 du code de la santé publique qui disposent en substance que les établissements publics de santé peuvent, à titre subsidiaire, assurer des prestations de service pour le compte de tiers, dans la limite de leurs moyens matériels et humains indispensables à l’exécution de leurs missions.
C’est d’ailleurs sur la base de ces textes que le tribunal administratif d’Orléans avait rejeté , il y a quelques années, le recours annulation d’un titre de recettes émis par le CHU de Tours pour le recouvrement d’un acte de virologie hors nomenclature au bénéfice d’un patient hospitalisé au sein de la même clinique (TA Orléans, 19 juin 2020, n°1900870, Pôle de santé Léonard de Vinci C/ CHU de Tours).
La décision de la Cour administrative d’appel de Nantes complète cette jurisprudence en confirmant que les actes innovants hors nomenclature réalisés au bénéfice de patients reçus en consultation externe au sein des établissements de santé privés peuvent aussi être facturés, dès lors qu’il peut être établi que l’établissement de santé concerné est bien le prescripteur (voir également dans le même sens, CAA Douai, 2e ch.25 septembre 2024, n°23DA00305).
À l’heure où beaucoup d’entre eux, sont confrontés à de graves difficultés financières, il est de bonne politique que les hôpitaux publics ne soient pas seuls à devoir assumer la charge financière et administrative des actes innovants hors nomenclature, au motif qu’ils en sont très souvent les effecteurs.
Certes les actes innovants sont in fine financés par une dotation publique dédiée, mais l’avance du coût de réalisation des actes et l’accomplissement des formalités déclaratives nécessaires au calcul de la dotation ne sont pas neutres pour les établissements effecteurs.
Nicolas Porte, avocat associé, exerce son métier au sein du Pôle organisation du Cabinet Houdart & Associés.
Après cinq années consacrées à exercer les fonctions de responsable des affaires juridiques d’une Agence Régionale de Santé, Nicolas PORTE a rejoint récemment le Cabinet Houdart et Associés pour mettre son expérience au service des établissements publics de santé et plus généralement, des acteurs publics et associatifs du monde de la santé.
Auparavant, il a exercé pendant plus de dix années diverses fonctions au sein du département juridique d’un organisme d’assurance maladie.
Ces expériences lui ont permis d’acquérir une solide pratique des affaires contentieuses, aussi bien devant les juridictions civiles qu’administratives, et d’acquérir des compétences variées dans divers domaines du droit (droit de la sécurité sociale, droit du travail, baux, procédures collectives, tarification AT/MP, marchés publics). Ses cinq années passées en ARS lui ont notamment permis d’exercer une activité de conseil auprès du directeur général et des responsables opérationnels de l’agence et développer une expertise spécifique en matière de droit des autorisations sanitaires et médico-sociales (établissements de santé, établissements médico-sociaux, pharmacies d’officines) et de contentieux de la tarification à l’activité.