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Qui paye les allocations chômages d'un praticien détaché ?
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Fin de détachement d’un praticien : qui paye les allocations chômages ?

 

Article rédigé le 2 décembre 2022 par Me Laure Depasse

Le statut particulier des praticiens hospitaliers soulève régulièrement des questions de compétence et de responsabilité des autorités dont ils peuvent relever. De telles questions peuvent devenir épineuses s’agissant d’une demande formée par un praticien hospitalier à hauteur de plus de 100 000 euros, comme c’est le cas dans l’affaire qui nous intéresse. En l’occurrence, la question posée était celle de savoir à qui incombait la charge du versement de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) à l’égard d’un praticien hospitalier dont le détachement avait pris fin de manière anticipée. Et c’est à l’issue d’un feuilleton judiciaire qui aura duré plus de dix ans que la Haute juridiction administrative a finalement tranché la question (CE, 9 novembre 2022, n°459166).

 

M. A., praticien hospitalier au centre hospitalier de Cambrai, a été détaché auprès du ministère des Affaires étrangères à compter du mois d’octobre 2004. Toutefois, il a été démis de ses fonctions de détachement pour insuffisance professionnelle au 31 août 2009, et le centre national de gestion des praticiens hospitaliers (CNG), autorité de nomination et compétente pour la gestion de carrière des praticiens hospitaliers, a donc mis fin à son détachement de manière anticipée à compter de cette date – alors que le terme normal était fixé au 31 août 2010.
Le centre hospitalier n’ayant pas procédé à sa réintégration , M. A. a finalement été placé par le CNG en disponibilité d’office à compter du 1er septembre 2009. Il est demeuré dans cette position jusqu’à ce qu’il fasse valoir ses droits à la retraite au 4 juin 2012.
L’intéressé a alors décidé de solliciter le versement des allocations chômages pour la période post-détachement, démarche qui va finalement aboutir sur un contentieux.

 

Compte tenu du détachement, le versement de l’ARE ne relevait pas du centre hospitalier

M. A. a ainsi demandé au centre hospitalier le versement des allocations chômages qu’il estimait lui être dues au titre de la période du 1er septembre 2009 au 4 juin 2012, pour un montant de 105 656,10 euros.

Le centre hospitalier n’ayant pas fait droit à sa demande, M. A. a introduit un recours devant le juge administratif, qui va dans un premier temps lui donner raison : le Tribunal administratif de Paris a en effet décidé de condamner le centre hospitalier à lui verser le montant des allocations chômage qu’il aurait dû percevoir sur la période litigieuse (TA Paris, 10 novembre 2014, n°1307868).

Le centre hospitalier va alors attaquer ce jugement, et cette fois-ci, c’est en faveur du centre hospitalier que la Cour administrative d’appel de Paris a tranché. Plus précisément la Cour, après avoir notamment constaté que le dernier et unique employeur au cours de la période de référence prise en compte pour la détermination des droits aux allocations chômage était le ministère des Affaires étrangères, a considéré que la charge du versement d’une allocation chômage n’incombait pas au centre hospitalier mais seulement à l’État (CAA Paris, 16 décembre 2016, n°14PA05352).

 

La compétence du CNG pour gérer la carrière du praticien était par ailleurs sans incidence

Prenant acte de cette décision, M. A. s’est retourné contre le ministère des Affaires étrangères auprès duquel il a sollicité en septembre 2017 le versement des allocations chômages. Face à un nouveau refus, il saisit de nouveau la juridiction administrative.

Cependant, c’est une nouvelle déconvenue pour le praticien puisque le Tribunal administratif de Paris, désormais soucieux de s’assurer que la demande était bien dirigée vers l’autorité compétente pour en connaître, va considérer que dès lors que l’intéressé relevait du CNG pour la période allant de son placement en disponibilité d’office à sa mise en retraite, il aurait dû former sa demande auprès du ministre de la Santé (autorité de tutelle du CNG) et non du ministre des Affaires étrangères.

Cependant, en voulant trop bien faire, le juge de première instance va finalement faire de l’excès de zèle et être retoqué par la juridiction supérieure.

En effet le Conseil d’État, saisi du pourvoi de M. A. par l’effet des dispositions de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, va rappeler et constater que (CE, 9 novembre 2022, n°459166) :

    • lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l’administration détermine les droits en faveur des travailleurs privés d’emplois, il appartient au juge administratif, selon une jurisprudence constante d’examiner les droits de l’intéressé et éventuellement d’annuler ou de réformer la décision qui lui est soumise (voir par exemple CE, 27 juillet 2012, n°347114 ; CE, 16 décembre 2016, n°389642) ;
    • doit être regardé non seulement comme ayant été involontairement privé d’emploi mais également comme étant en recherche d’emploi au sens des articles 5421-1 et L. 5422-1 du code du travail le praticien hospitalier dont le détachement prend fin, y compris de manière anticipée, et qui est placé en disponibilité d’office faute de pouvoir être réintégré ;
    • les circonstances de la fin de détachement et de l’absence de réintégration de l’agent, de même que la nature de l’autorité compétente pour gérer la carrière de l’agent après la fin de son détachement, sont sans incidence sur la détermination de l’employeur auquel incombe le versement des allocations chômages.

 

Dès lors, il en déduit que le motif retenu par le Tribunal administratif de Paris pour rejeter la requête était inopérant puisqu’il lui revenait seulement d’examiner les droits de l’intéressé au versement de l’ARE et de déterminer si oui ou non l’État était bien l’employeur auquel incombait le versement de cette allocation. Ainsi, peu importait que M. A. relevait du CNG pour la gestion de sa carrière sur la période suivant la fin de son détachement.

 

C’est à l’État, employeur public durant le détachement, qu’incombait le versement

Le Conseil d’État rappelle ensuite que lorsque sur la période de référence retenue pour la détermination de ses droits à allocation chômage (art. 3 du règlement général annexé à la convention d’assurance chômage), l’intéressé a travaillé pour plusieurs employeurs publics, la charge de l’indemnisation incombe à celui des employeurs publics qui a employé l’intéressé pendant la période la plus longue période.

Ainsi, est sans incidence la circonstance que le détachement ait pris fin sur le fondement de l’insuffisance professionnelle de l’intéressé. Est également sans incidence le fait que M. A. n’ait pas pu être réintégré faute pour le centre hospitalier de pouvoir lui proposer un emploi vacant. Pour déterminer de qui relevait le versement de l’ARE, il convenait uniquement de vérifier qui a employé M. A. le plus longtemps dans la période de référence applicable (en l’occurrence durant les 36 mois précédant la privation d’emploi). Or durant cette période, M. A. a été exclusivement détaché auprès du ministère des Affaires étrangères : partant, c’est bien à l’État qu’il incombait de verser l’ARE à M. A. pour la période du 1er septembre 2009 au 4 juin 2012.

Le Conseil d’État annule donc la décision de rejet du ministre des Affaires étrangères et condamne l’État à verser à M. A. les sommes correspondant à l’ARE due sur la période litigieuse.

En conclusion, la personne publique en charge du versement des allocations chômages à un praticien hospitalier involontairement privé d’emploi en raison d’une décision mettant fin à son détachement de manière anticipée auprès d’une autre administration, est celle qui l’a employé le plus longtemps dans la période de référence prise en compte pour la détermination des droits à l’ARE, et ce qu’elles qu’ont été les circonstances de la fin de détachement.

Il aura toutefois fallu attendre plus de dix ans avant de parvenir à cette solution définitive, laquelle devrait désormais permettre de clarifier les rôles et charges de chacun et d’éviter tant aux praticiens qu’à l’administration d’avoir à endurer comme dans cette affaire des procédures juridictionnelles particulièrement lourdes avant qu’il puisse être régulièrement statué sur la demande de versement des allocations chômages en cas de fin de détachement anticipée sans réintégration.

 

Avant de rejoindre le cabinet Houdart & associés, Laure DEPASSE a eu l’occasion de travailler en administration et en juridiction, où elle a notamment pratiqué le droit de la fonction publique.
Après être devenue avocate en 2019, Laure DEPASSE a fait le choix de consacrer son activité aux questions de gestion du personnel ainsi qu’aux problématiques d’ordre institutionnel des personnes publiques : elle a ainsi intégré un cabinet d’avocats au sein duquel elle a exercé dans ces domaines, essentiellement auprès de collectivités territoriales et établissements publics locaux.
Forte de ces expériences et souhaitant renforcer et élargir son activité axée sur la gestion des ressources humaines, Laure DEPASSE a rejoint le Pôle social du cabinet Houdart & associés en 2022.
Elle intervient désormais auprès des acteurs des milieux hospitalier, social et médico-social, pour leur offrir un accompagnement à la fois juridique et stratégique en matière de gestion du personnel, tant en conseil qu’en contentieux, principalement en droit de la fonction publique mais également sur des problématiques de droit du travail et droit social, et enfin en matière de transfert de personnel.